Avocate et médiatrice, Carine Denoit-Benteux fait partie des neuf professionnels de la médiation à avoir été nommée ambassadrice de l’amiable par le garde des
Sceaux en mai dernier. Elle revient pour
le JSS sur le sens de sa mission, et admet que si l’amiable peut s’avérer
chronophage pour les magistrats, il permet, in fine, d’éviter les contentieux à
répétition, grâce à « des accords pérennes, choisis ».
JSS : Pourquoi
peine-t-on en France à avoir une véritable culture de l’amiable ?
Carine Denoit-Benteux :
La culture amiable n’est pas (encore) celle de la culture française,
latine : on est encore loin du fonctionnement anglo-saxon. Les avocats
doivent souvent convaincre leurs clients d’avoir recours à l’amiable. Car ce
qui freine les citoyens, c’est la méconnaissance. Pour eux,
« avocat » égale « contentieux ». Dans l’esprit des
justiciables, la notion de médiation est malheureusement galvaudée.
Je crois qu’il y a un défaut
de communication sur la technicité du processus. Les justiciables ont l’impression que
les modalités de résolution sont moins rigoureuses que celles d'un traitement
judiciaire, et ils imaginent que le médiateur est là pour décider à leur place.
Ils pensent que le processus amiable est synonyme de concessions et ont le
sentiment qu’ils n’auront pas gain de cause, qu’ils n’obtiendront pas justice
de cette façon-là. Ils ne se disent pas : « on va échanger sur nos
positions », ils se disent : « pour y aller, je dois être
prêt à céder ». Or, en amiable, on n'est pas là pour céder. C’est un point très
important.
Et puis, les citoyens n’ont
pas en tête qu’ils peuvent avoir plus dans un processus négocié que dans un
contentieux judiciaire alors que c’est pourtant souvent le cas. L’intérêt des
processus amiables est de pouvoir traiter l’ensemble des points de préoccupation
des justiciables en un même espace-temps ; ce qui n’est pas le cas du
contentieux judiciaire. Quand on leur explique qu’ils vont avoir un vrai gain
de temps, avec la possibilité de mettre tous les sujets sur la table et de
trouver une solution globale, c’est généralement le point de bascule.
Pour les avocats et les magistrats,
l’amiable demande du temps et de l’énergie. Mais je suis convaincue que l’amiable
c’est comme le sport, c’est dur au début et après on se sent mieux !
JSS : Quel outil
pourrait permettre d’infuser cette culture, ce réflexe ?
C.D.-B. : Je
milite pour une formation le plus tôt possible : au collège/lycée, et a
minima à l’université, où tous les étudiants devraient avoir à l'esprit que l’amiable est le principe ; le judiciaire, l'exception. D’ailleurs, c’est un souhait
qu’avait formulé Chantal Arens quand elle était présidente de la cour d’appel
de Paris, lors d’un colloque. Le fait que l’amiable fasse actuellement l’objet
d’un seul module est absolument insuffisant. On ne peut pas réserver une place
secondaire à une modalité de traitement prioritaire.
S’il est important de
sensibiliser, de former bien en amont, c’est parce que les professionnels de la
justice sont dans un rouleau compresseur. Ils n’ont pas le temps ! Alors
certes, la réalité aujourd’hui est que l’on travaille beaucoup sur ce sujet en
formation continue, et d’énormes progrès sont faits en la matière, mais il est
forcément plus long et compliqué de s’y acclimater quand on est déjà
« formaté » au réflexe du judiciaire.
De façon générale, je pense
que tout citoyen devrait avoir ce bagage. Cela sert évidemment au traitement judiciaire,
mais également pour être acteur de la société civile.
JSS : En mai dernier, le ministre de la Justice a présenté, dans le
cadre de la politique de l’amiable comme mode de règlement des litiges et dans
la continuité des États généraux de la Justice, les neuf ambassadeurs de
l’amiable – trois avocats, trois magistrats, trois professeurs de droit - dont
vous faites partie. Quel est l’objectif ? Quelles seront vos missions ?
C.D-B. : Il faut rappeler d’abord que 60% des décisions rendues par
les tribunaux sont des décisions civiles. Les justiciables souhaitent une
justice plus proche, plus simple, plus rapide et les professionnels du droit
ont également besoin de ce changement. Des travaux menés par le CNB en 2020, il
ressortait en effet que les auxiliaires de justice déploraient unanimement le
fonctionnement des procédures en matière civile qui ne permettait pas de
traitement différencié des affaires.
Il existe des instruments nouveaux dont il faut s’emparer, et d’autres,
tels que la procédure participative, la conciliation et la médiation, restent à
déployer voire à généraliser.
C’est à ce
titre que le garde des Sceaux, qui estime que la politique nationale de
l’amiable doit permettre d’offrir aux justiciables une justice civile mieux
adaptée à la diversité des litiges et qu’une justice participative est
souvent une justice mieux comprise et mieux acceptée, nous a mandatés.
La mission
qui nous est donnée est celle d’un accompagnement sur le terrain, à chaque fois par un
trio d’ambassadeurs comprenant un représentant de chaque profession (avocats, magistrats, universitaires), au plus
près des acteurs concernés dans les juridictions et les écoles de formation, afin
qu’ils s’approprient ces instruments et en déploient sereinement l’usage.
Concrètement, notre mission porte sur cinq axes essentiels.
D’abord,
inciter, à l’occasion de déplacements réguliers sur le terrain et à l’aide de
conseils concrets tirés de l’expérience et d’exemples de résolution de cas, les
différents acteurs judiciaires à s’engager dans une démarche d'utilisation
active des outils de l’amiable. Ensuite,
participer à la création et à la structuration dans les juridictions et
les écoles de formation d’un réseau national de référents « justice amiable »,
mais aussi mieux faire connaître les dispositifs existants (conciliation, médiation,
droit collaboratif, procédure participative) et nouvellement créés (audience de
règlement amiable, césure), leur complémentarité et les possibilités qu’offre
leur articulation au service d’une justice plurielle et d’un office renouvelé
du juge.
Derniers
axes phares : concevoir, élaborer et transmettre des outils facilitant
pour tous les acteurs (magistrats, greffiers, équipe autour du juge, avocats, médiateurs,
conciliateurs...) l’utilisation des dispositifs amiables (guide ou kit de la
justice amiable, modèles d'actes, capsules vidéo sur chacun des modes amiables,
outils de suivi et d’évaluation...), la communication sur ces dispositifs et le
déploiement de partenariats locaux ; et enfin, recenser les pratiques
locales pour identifier les facteurs favorables, contribuer à la valorisation
des bonnes pratiques et analyser les freins éventuels d’ordre organisationnel,
humain, juridique, économique ou technique à la diffusion de la culture de
l’amiable.
