DROIT

INTERVIEW. Le calendrier constitutionnel percuté par la dissolution de l'Assemblée nationale

INTERVIEW. Le calendrier constitutionnel percuté par la dissolution de l'Assemblée nationale
La convocation de nouvelles élections législatives désynchronise le scrutin de la présidentielle
Publié le 10/06/2024 à 16:53

La professeure de droit public et constitutionnel Lauréline Fontaine fait le point sur les enjeux juridiques de l'organisation anticipée de nouvelles élections législatives en France, les 30 juin et 7 juillet prochains.


Synchronisation des scrutins présidentiel et législatif, nomination au Conseil constitutionnel de mars 2025, projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral calédonien… Comment l’agenda constitutionnel sera-t-il influencé par la dissolution de l’Assemblée nationale, survenue le 9 juin dernier à la suite d'une percée du Rassemblement national aux élections européennes ? Professeure de droit public et constitutionnel à la Sorbonne Nouvelle Paris 3, Lauréline Fontaine dresse un premier bilan pour le JSS.

Journal spécial des sociétés : L’article 12 de la Constitution établit que « les élections générales ont lieu vingt jours au moins [...] après la dissolution ». En parallèle, l'article L157 du Code électoral prévoit que « les déclarations de candidatures doivent être déposées [...] à la préfecture au plus tard à 18 heures le quatrième vendredi précédant le jour du scrutin », soit, ici, le 7 juin. Cette disposition pose-t-elle problème avec la tenue des législatives le 30 juin et le 7 juillet prochains ?

Lauréline Fontaine : L’article L157 présente bien une incompatibilité avec l’article 12. Elle n'avait jamais été mise en avant jusqu'à présent car le calendrier organisé par le décret du président de la République n'avait jamais utilisé ce délai minimum de 20 jours. Néanmoins, puisque l’article L157 a été adopté postérieurement à la Constitution [du 4 octobre 1958, ndlr], il ne se passera pas grand-chose. 

Par exemple, à l'occasion d'un conflit lié aux élections, il est probable que l'on puisse invoquer la constitutionnalité de l’article mais le résultat sera nul. Ce sera l'occasion de le changer, mais c'est tout. C’est épiphénoménal : ça n’entrerait en jeu dans cette décision que si des politiques et des juristes très déterminés essayaient de le faire valoir. [Le décret de convocation des élections législatives, paru avant publication, fixe une date limite de dépôt des candidatures au dimanche 16 juin, ndlr.]

JSS : La dissolution de l'Assemblée nationale repousse la réunion du Parlement en Congrès qui devait se tenir avant fin juin au sujet du projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral calédonien. Étant donné que cette révision devait s'appliquer dès le 1er juillet, quelles conséquences le report peut-il avoir ?

L.F. : Une session de 15 jours sera ouverte de manière extraordinaire le deuxième jeudi qui suit les résultats des législatives, soit le 18 juillet. Ça ne change pas grand-chose, à moins que l'on veuille absolument adopter le projet de loi constitutionnelle dans la première quinzaine de juillet – ce qui m’étonnerait. L’élargissement du corps électoral est destiné au prochain scrutin en Nouvelle-Calédonie, c’est-à-dire les élections provinciales, initialement prévues en mai dernier et reportées au plus tard au 15 décembre prochain. Cela reste à l’état gazeux, en quelque sorte. 

JSS : La dissolution de l’Assemblée nationale a entrainé, pour la première fois depuis 2002, une désynchronisation des scrutins présidentiel et législatif, les députés étant élus pour 5 ans. Est-ce qu’ils pourraient être resynchronisés ?

L.F. : Oui, s'il y a une nouvelle dissolution… Et c’est plus que probable que cela arrive si le gagnant de la présidentielle de 2027 ne peut s'accommoder de la composition de l’Assemblée élue dans un mois. Néanmoins, pour l’instant, le calendrier ne changera pas : il était établi de telle sorte à ce que les législatives aient lieu après la présidentielle. Pour le président, cela a acté une forme de nécessité d'obtenir une majorité dès lors qu'il est élu. 

JSS : La dissolution de l’Assemblée nationale pourrait-elle avoir une influence sur les nominations au Conseil constitutionnel de mars 2025, date à laquelle les mandats de trois de ses membres arrivent à leur terme ?

L.F. : Je ne sais pas ce que les trois autorités de nomination [présidence, Sénat et Assemblée nationale, ndlr] vont faire, mais je peux formuler un souhait : qu'elles déconnectent un petit peu la justice constitutionnelle de la chose politique… Et ce, en nommant des personnalités qui se trouvent hors de la case politique. Ce serait intéressant symboliquement parlant et ça provoquerait un vrai changement. 

Alors que le mandat de Laurent Fabius [actuel président du Conseil constitutionnel, ndlr] touchera à son terme dans un petit peu moins d’un an, Gérard Larcher devrait rester président du Sénat ; cela ne fait qu’une autorité que l'on ne connaît pas. Est-ce qu’elle fera évoluer sa pratique ? À mon avis, cela ne dépend pas de ce qu'il se passe maintenant, ni du résultat des législatives. Je pense que ça tient à une évolution des mentalités et de la conception que les politiques ont de la justice constitutionnelle.

JSS : Que remarquez-vous dans la répartition des pouvoirs entre le Parlement et l’exécutif ?

L.F. : J’ai régulièrement des témoignages de parlementaires qui se retrouvent dans des situations où ils sont dans l'ignorance absolue quant à la chose constitutionnelle. C’est très important parce que cela influe sur la capacité du pouvoir exécutif à dicter le tempo et le contenu de la législature. Dans la perspective d'une Assemblée nationale peut-être encore plus fragmentée – elle l’est déjà énormément, de toute façon – la teneur de la majorité présidentielle pourrait changer les choses, si elle s’affaiblit davantage. On verrait soit la capacité du corps exécutif à décider pour l'Assemblée – ou seul – augmenter encore… Soit s’infléchir. 

Propos recueillis par Floriane Valdayron

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