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INTERVIEW. Nouvelle procédure de transmission universelle de patrimoine et de liquidation amiable : un décret « lourd de conséquences »

INTERVIEW. Nouvelle procédure de transmission universelle de patrimoine et de liquidation amiable : un décret « lourd de conséquences »
Publié le 24/07/2024 à 15:40

Dès le 1er octobre prochain, un certain nombre de modifications concernant les procédures de liquidation amiable et de transmission universelle du patrimoine (TUP) entreront en vigueur. Un récent décret du 7 juillet 2024 modifie en effet la procédure, en prévoyant entre autres que la publication de l'avis devra se faire non plus dans un journal d’annonces légales mais au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales. Il prévoit également de joindre à la formalité de liquidation amiable déposée au RCS une attestation de régularité fiscale et sociale à jour. Au global, un texte « inadapté »,  « pris à contretemps », estiment les avocats que le JSS a interrogés à ce sujet.

JSS : En tant qu’avocat spécialisé en droit des sociétés, que pensez-vous de cette nouvelle procédure ?

Marie-Françoise Thiery : Les intentions du gouvernement sont louables mais la solution est inadaptée car elle introduit des lourdeurs génératrices d’insécurité alors que les sociétés ont besoin de cette procédure pour lutter contre les lourdeurs juridiques, comptables et administratives génératrices de coûts de fonctionnement improductifs.

La compétitivité de la France va en être impactée négativement alors qu’elle jouissait d’un avantage jusqu’à présent. Il s’agit d’un retour en arrière important dans le processus de simplification de la vie des entreprises qui va ternir, après les vicissitudes du guichet unique, encore plus l’image de notre pays vis-à-vis des sociétés tant françaises qu’étrangères.

Audrey Scheibel et Florence Cotillon : Ce changement est lourd de conséquences pour les TUP dont, contrairement aux fusions, la date de réalisation ne peut être fixée conventionnellement. Publier dans un JAL permettait de choisir la date de parution et donc de maitriser la date de réalisation.


Florence Cotillon, associée spécialisée en droit des sociétés, cabinet Squire Patton Boggs

Non seulement il est totalement impossible de choisir la date de parution au BODACC, mais il faut souvent déposer la demande très en amont pour être assuré d’une publication avant une date butoir lorsqu’on en a une, notamment en province, car les délais de traitement varient énormément d’un département à l’autre. Il sera donc désormais totalement impossible de maîtriser la date de réalisation d’une TUP. 

Thierry Aballea et My-Kim Yang-Paya : La publication d’une dissolution sans liquidation entraînant une TUP est non seulement le point de départ du délai d’opposition des créanciers (30 jours) mais également permets au tiers d’être informés de l’opération de dissolution » et rappellent que « tant les dettes que l’actifs de la société absorbée sont transmis intégralement à la société absorbante. 

Cette publicité est donc primordiale pour toutes les parties prenantes de la société absorbée, comme par exemple le bailleur qui souhaiterait invoquer la non-inscription au registre du commerce et des sociétés du preneur à bail pour justifier un congé avec dénégation du statut des baux commerciaux. Il était donc important que la publicité faite de cette TUP soit unifiée et centralisée.

La publication au Bodacc au lieu d’un journal d’annonces légales vise une centralisation des annonces sur le même support pour toutes les sociétés et peut contribuer ainsi à augmenter la visibilité du point de départ du délai d’opposition. Toutefois, il nous semble que cette mesure a été prise à contretemps. Le portail de la publicité légale des entreprises https://www.pple.fr/ vise à assurer l’accès à l'ensemble des informations diffusées par les sites Infogreffe, Bodacc et actulegales.fr, ce dernier référençant l'ensemble des annonces publiées dans les 600 journaux d'annonces légales (JAL) habilités en France. Il existe donc d’ores et déjà en pratique un point unique d’accès à l’information. L’inconvénient majeur de cette modification est la perte de maîtrise de la date de publication de la dissolution.

JSS : Etes-vous favorable à cette nouvelle organisation ?

Audrey Scheibel et Florence Cotillon : Pour des questions pratiques, notamment en matière comptable et particulièrement en cas de transfert de salariés, ne plus maîtriser la date de réalisation d’une TUP est un inconvénient majeur, qui diminue de beaucoup l’attractivité de ce type d’opération qui était jusqu’à présent simple, efficace et rapide.

Audrey Scheibel, avocate Senior spécialisée en droit des sociétés, cabinet Squire Patton Boggs

Opter pour une fusion simplifiée sera désormais parfois préférable, même s’il s’agit d’une opération plus longue et plus lourde en termes de formalisme. In fine, ces nouvelles dispositions ne vont donc pas du tout dans le sens de la simplification de la vie des affaires sans cesse promise aux entreprises.

Marie Françoise Thiery : Du fait des délais nécessaires et variables induits par l’intervention obligatoire du greffier du RCS et par le traitement de l’annonce par le Bodacc, la date de publication de l’avis de dissolution n’est plus maîtrisée et ni même maîtrisable.


Marie-Françoise Thiery, avocate associée, cabinet Victor

En tant que praticienne, je me verrai contrainte d’indiquer à mes clients qu’une telle procédure risque de ne pas aboutir avant la fin de l’exercice social si elle n’est pas lancée trois mois avant alors qu’ils n’ont pas forcément la visibilité nécessaire pour prendre cette décision. De plus, elle crée une inégalité territoriale, les RCS ne disposant pas tous des mêmes moyens matériels pour traiter les demandes de publication. 

JSS : Que pensez-vous de l’obligation de déposer au greffe lors de la publication de la clôture de la liquidation une déclaration de vigilance et d’une déclaration de régularité fiscale ?

Thierry Aballea et My-Kim Yang-Paya : La mesure vise à empêcher la disparition d’une société dissoute sans s’être acquittée de ses dettes fiscales et sociales.  Selon l’article 1844-8, alinéa 3 du Code civil, « la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu'à la publication de la clôture de celle-ci ». La disparition de la personnalité juridique d'une société n'est rendue opposable aux tiers que par la publication au registre du commerce et des sociétés des actes ou évènements l'ayant entraînée (Com. 23 oct. 2019, no 18-15.475).

Actuellement, le dépôt au greffe des comptes de clôture de la liquidation amiable afin de radier la société en liquidation est « déclaratif », le greffe ne procédant à aucune vérification d’absence de passif.  Il s’ensuit que des sociétés qui n’ont pas désintéressé leurs créanciers peuvent faire l’objet d’une radiation entrainant leur disparition et la fin du mandat de liquidateur sans devoir attester de l’apurement du passif.


My-Kim Yang-Paya, avocate associée, AMCO - AMCBN, spécialiste en droit des sociétés, co-Présidente de la commission droit des sociétés de l’ACE

Cependant, les comptes de clôture d’une liquidation amiable ne peuvent pas laisser subsister des dettes impayées par la société. Le liquidateur amiable désigné par les organes de la société dissoute engage sa responsabilité s’il dissimule des dettes, les comptes de liquidation doivent impérativement être équilibrés.

C’est la raison pour laquelle, la jurisprudence considère, malgré les textes de loi, que la personnalité morale d'une société dissoute et radiée du registre du commerce et des sociétés subsiste tant que ne sont pas intégralement liquidés les droits et obligations nés avant sa dissolution (Com. 20 sept. 2023, no 21-14.252). Toutefois, après la radiation de la société, il est nécessaire de demander la désignation d’un mandataire ad hoc afin de pouvoir agir contre elle compte tenu du défaut de représentant légal par suite de la fin du mandat du liquidateur.


Thierry Aballea (associé au cabinet EvenLaw, membre du CNB, co-président de la Commission Droit des sociétés de l'ACE, ancien membre du Conseil de l’Ordre Paris, président des Bretons du Barreau

L’obligation de fournir avec les comptes de liquidation des attestations justifiant du paiement des cotisations et des impôts permet de refuser la radiation et donc la disparition des sociétés dissoutes mais qui ne sont pas à jour de leurs paiements des dettes fiscales et sociales. Toutefois, l’efficacité de la mesure est limitée. En effet, l’attestation de vigilance et le certificat de régularité fiscale seront délivrés malgré des cotisations, contributions et impôts dus en justifiant d’une contestation de leur montant par l’introduction d’un recours contentieux.

De même, elle ne résout pas le problème des liquidations en déshérence. En effet, nombre de sociétés qui ont des dettes ne clôturent pas la liquidation depuis de nombreuses années mais ont publié la dissolution mettant fin aux fonctions de leurs dirigeants et le liquidateur désigné n’existe plus.  Enfin, nous soulignons que les obligations introduites par le décret n’ont pas d’incidence sur le délai de prescription de l’action des créanciers contre la société, ses dirigeants ou le liquidateur. 

JSS : Pensez-vous que cela permette de lutter efficacement contre les sociétés frauduleuses ?

Marie-Françoise Thiery : Il serait plus utile d’imposer la désignation par la société absorbante d’un mandataire français chargé de veiller à l’acquittement de l’impôt et contributions d’une part et d’autre part d’exiger la production d'une attestation de régularité sociale et d'une attestation fiscale lors du dépôt du dossier de demande de radiation de la société du RCS. Le RCS serait alors dans son rôle et le délai de traitement ne serait plus préjudiciable aux sociétés. 

Propos recueillis par Myriam de Montis


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