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Institut Art & Droit : mémoriser le sursitaire

Institut Art & Droit : mémoriser le sursitaire
Publié le 20/01/2022 à 09:17

Gérard Sousi, président fondateur de l’Institut Art & Droit, a invité Jean Faucheur, président de la Fédération de l’Art urbain, à tenir une conférence devant le Cercle de l’union interalliée, en novembre dernier. Son propos évoque l’intérêt de préserver un témoignage de l’art de la rue, à la durée d’exposition nécessairement incertaine.

 



« Parler n'est pas le propre de l'artiste visuel, son domaine est celui de l'atelier, pour ceux qui ont choisi cette voie, ou de la rue, si cela est plus à son goût. C'est dans le silence qu’il élabore son discours au monde, et si l'on dit de son œuvre qu'elle est “bavarde”, nous devrons la prendre comme étant de peu de qualité ! », énonce le président de la fédération de l'art urbain et artiste plasticien Jean Faucheur, invité par l’Institut Art & Droit, qui peut se voir comme un artiste-président ou un président-artiste... curieux couple. Sorti de ses domaines de compétence (dessin et peinture), il est entré dans le monde des collectifs d'artistes, d'association d'artistes et de fédérations, « comme un contrepoids à la solitude de l'atelier ». Depuis les années 80, il s’est plus précisément plongé dans l'énergie dégagée par la rue. Cet espace, tout le monde le côtoie, mais chacun y porte sa propre attention. En ouvrant l’œil, le passant découvre la richesse de détails incongrus, d’accidents artistiques. La rue crie et gesticule. Elle est sale, bruyante, colorée et terne à la fois. Des choses y apparaissent et disparaissent, d'un jour à l’autre. Une trace surgit, se transforme puis s’efface. Déambulant, le piéton s'immobilise devant un signe sur un mur, un trait improbable, une énergie sourde qu’il ressent. « Quand la rue vous prend aux tripes, quand ses détails insignifiants vous happent, vous devenez dépendants, observateurs précis d'un monde qui s'ouvre sur un autre univers fait d'humanité, de rejets, de tensions et de jouissance. L'art urbain est la collection de ces sensations inscrites sur la peau des maisons. Ceci est à mon sens le cadre de l'art urbain... »

 

 


« L'art naît de contraintes, vit de luttes et meurt de liberté »

L'art dans la rue, pour Jean Faucheur, se distingue de l'art dans l'espace public en ce qu'il est sa version non policée, rude et incivile. Il répond bien à cette formule d'André Gide : « C'est un art du défi à l'autorité, et qui bien sûr s'en défit, de cette autorité. C'est un art qui a ses règles, ses hiérarchies opaques, ses contournements. »

L’artiste risque littéralement sa peau et au mieux quelques heures de garde à vue. La pratique demande d’être vigilant, méfiant et de courir vite. Le secret est de mise. La transmission du savoir, surtout dans le graffiti, se fait par des figures tutélaires, des anciens, des historiques.

Cet art ne connaît ni musée, ni conservateur et termine gommé de la surface qu’il occupe. Au mieux, on le garde dans sa mémoire. Aucune archive officielle n’existe, hormis peut-être celles de ses destructeurs : la police, la RATP ou la SNCF.

Paradoxalement, cet art perpétuellement recouvert doit beaucoup aux politiques publiques, véloces à nettoyer les façades. Sa renaissance continue, sa longévité et sa vivacité résultent étrangement du fait d’être pourchassé. Les œuvres demeurent fraîches, juvéniles quand la population de ses auteurs vieillit.

 

 







« Les archives de l'art urbain »

Dès sa création, en 2018, la Fédération de l’Art urbain a entamé une démarche pour préserver la mémoire de ce mouvement fuyant et souterrain, aux frontières de l'art. Les photographies, publications et autres artefacts restent donc les seules preuves de toutes ces productions grattées, graffées, « dazibaotée ». La Fédération a abouti au projet Arcanes, Centre national des ressources numériques de l'art urbain, qui a été présenté et a reçu le soutien d’une pléiade de personnalités du monde de l'art, d’universitaires et d’artistes.

Arcanes propose, à travers un programme d’enregistrement d'archives soigneusement choisies, de traiter un large éventail des pratiques : street art, graffiti, post graffiti, muralisme etc. La proposition prend en compte l’incroyable diversité des expressions, des techniques utilisées et la grande richesse culturelle du mouvement. La base d'informations collectées s'attachera à offrir aux chercheurs et au public des sources fiables et variées de documents numérisés : photographies, films, carnets de croquis, documents judiciaires, publications, éphéméra et divers objets liés à cette culture. Tous les aspects sont recensés dans le projet qui remplit au moins trois missions. Premièrement, il sanctuarise la mémoire d'un art immatériel, dont les traces inéluctablement vouées à disparaître interrogent le concept même de « musée » et de « conservation ». Deuxièmement, il transmet l’histoire de cette partie de l'art urbain, vieille de plus d'un demi-siècle, et la rattache à celle de l'art contemporain dont elle est généralement écartée. Troisièmement, la culture transcontinentale véhiculée interroge sur notre relation à l'autre dans la ville (regroupant 80 % des Français) et sur les entraves aux libertés dans un lieu de circulation a priori sans frontière ni barrières culturelles.

L’idée d’Arcanes a rencontré une vive adhésion tant morale que financière. Le ministère de la Culture (avec la DGCA), le fonds de dotation Agnès B., Dauchez participation, Artprice et l'Institut Art & Droit encouragent son développement.

 

 

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