Le magistrat honoraire et
désormais spécialiste des cold cases signe, cet été, un ouvrage intitulé Sur
les chemins du crime, qui revient sur 42 affaires criminelles et sur sa
carrière au service de la justice. C’est devant le Rotary club de Paris qu’il a
présenté ce travail, déconstruisant au passage les idées reçues et abordant le
crime avec pédagogie. Le JSS y était.
Ce sont les salons feutrés du
premier étage de la brasserie Fouquet’s, boulevard des Champs-Elysées, qui accueillent
la conférence du jour, ce mardi 24 juin.
Le soleil de juin, le décor
élégant et confortable, tranchent avec la brutalité des sujets abordés ce
matin-là : les crimes de sang, les crimes de sexe, et la violence des êtres
humains, cette « noirceur » qui caractérise notre espèce,
comme la décrit Jacques Dallest.
L’ancien procureur général,
habitué des plateaux télé et des affaires médiatiques, se confie cette fois aux
membres du Rotary club de Paris et à leurs invités. La veille, le magistrat
honoraire était encore sur le plateau de l’émission Appel à témoins, sur
M6, consacrée aux cold cases et aux affaires non résolues, dont il est devenu
un spécialiste.
Malgré la gravité du thème,
« pas forcément facile à aborder dès le matin », l’ambiance
est à la bonne humeur. Au menu du Fouquet’s, notamment, la présentation du
dernier livre du magistrat, Sur les chemins du crime, ouvrage dans
lequel Jacques Dallest revient sur 42 meurtres qui ont marqué sa carrière, et
sur lesquels il est intervenu, « Code pénal à la main ».
Jacques Dallest préfère le
dire d’emblée : « Pour ce qui est des atteintes à la vie humaine,
aucun pays n’est épargné. » Pour le magistrat, croire qu’il est possible
d’éradiquer les homicides est illusoire, le crime étant « le plus vieux
compagnon de route de l’humanité ». « Il y aura toujours des
transgressions. »
Et attention à ceux qui se
croiraient au-dessus de tels faits, ou qui penseraient que « ça
n’arrive qu’aux autres ». Chacun peut se trouver mêlé à un crime,
d’une manière ou d’une autre, et surtout « tout le monde peut être
acteur d’un crime », développe le conférencier. « Personne
n’est à l’abri de la colère, de la haine ou de l’humiliation, de ces
moments de faiblesse qui poussent au passage à l’acte. Le crime
transcende toutes les classes sociales ».
« Je reste positif
sur la nature humaine »
Jacques Dallest n’est pas
contredit. Son expérience parle et ne laisse plus de place aux idées reçues ;
après une carrière au plus près de « toutes les délinquances »,
il le réaffirme : la criminalité concerne des profils très différents.
« J’ai été sur des centaines de scènes de crime. J’ai vu des bagarres
entre clochards qui ont dégénéré, j’ai vu un meurtre entre professeurs
d’université. Chaque humain a une part sombre. »
Il prend aussi comme exemples
l’Abbé Pierre, dont les faits de viol qui lui sont reprochés aujourd’hui seraient
passables d’un procès aux assises, ou encore le Maréchal Pétain, qui, « s’il
était décédé en 1938, serait considéré comme un héros de guerre et il y aurait
des rues à son nom ». L’auditoire approuve silencieusement.
Jacques Dallest verse ensuite
dans la pédagogie, rappelant les étapes qui suivent la découverte d’un corps et
le déroulement d’une enquête jusqu’au procès. Il décline les différents rôles
tenus par les magistrats et les spécificités des missions des juges
d’instruction, en précisant les conditions de leur saisie. Après une carrière
au service de la justice, y aurait-il « de quoi devenir cynique ? »,
s’enquiert un invité. « Je reste positif sur la nature humaine »,
rassure le magistrat. « Surtout si vous êtes une femme », rebondit-il,
faisant naître quelques rires.
Mais les chiffres ne mentent
pas : « Les hommes restent toujours bien plus impliqués que
les femmes. Les femmes tuent peu, mais elles tuent bien, étant souvent plus
réfléchies. » Par ailleurs, explique l’ancien procureur, « les
femmes sont beaucoup plus impliquées dans les crimes familiaux et les
infanticides. Elles sont aussi instigatrices, elles ne tuent pas forcément
directement ». De nouveau, les arguments de Jacques Dallest se font
empiriques. « Et, de ce que j’ai pu observer, les hommes écopent de
peines supérieures à celles des femmes, même si elles sont à l’origine du
meurtre. »
L’occasion de faire le point
sur les peines, justement, et sur la tâche complexe de la justice de faire
naître la vérité, à partir d’indices parfois étonnants (Jacques Dallest raconte
cette anecdote, geste à l’appui : un meurtre résolu à partir du sang d’une
victime trouvé dans un moustique écrasé sur un mur). Mais parfois, « la
justice peut passer à côté de la réalité », malgré les moyens « très
importants » qu’elle déploie lors des enquêtes pénales.
« Je pense que Xavier
Dupont de Ligonnès s’est suicidé »
« On ne connaît pas les statistiques
réelles des crimes, indique le magistrat. On connaît les chiffres des
crimes jugés. Il y a des crimes non élucidés. Oui, je pense que le crime
parfait existe. » Cette dernière phrase provoque une question
spontanée chez un invité : « Que pensez-vous de l’affaire Xavier
Dupont de Ligonnès ? »
« Ce n’est pas le crime
parfait, l’affaire est toujours en cours et un mandat d’arrêt international a
été émis à son encontre [ce père de famille est recherché pour le meurtre
de sa femme et de ses quatre enfants, dont les corps ont été découverts en
2011, dans leur maison de Nantes, ndlr]. Mais je pense qu’il s’est suicidé.
Je pense qu’il s’est suicidé et qu’on n’a pas retrouvé son corps. »
Affaire Daval, affaire
Jubillar, affaire Maëlys… Jacques Dallest les évoque tour à tour, et se fait,
le temps de la rencontre, historien du crime, précisant son point de vue sur
les unes et les autres. Les crimes familiaux ne sont pas des crimes de tueurs
en série. Les crimes passionnels ? Non, on parle de crimes conjugaux. Et au-delà
des récits médiatiques autour de ces grandes affaires criminelles, il y a des
familles, des vies ordinaires.
« La violence est un
phénomène de société »
Loin de lui pourtant l’idée
de remettre en cause le fonctionnement de la justice française, si souvent
incomprise. « On veut une justice sévère, mais pas pour soi, juste pour
les autres », regrette-t-il.
Jacques Dallest tient aussi à
rappeler, une nouvelle fois, l’impossibilité d’éradiquer un phénomène comme la
violence : « C’est un mal français : en affichant une loi nouvelle,
on pense régler un problème. En général, quand les choses vont mal,
c’est la faute de la justice. Mais la violence est un phénomène de société. Il
y a un besoin d’apaisement, de renouer nos liens. Il faut que l’on puisse
compter les uns sur les autres. »
Pour Jacques Dallest, il faut
aussi dorénavant que la justice communique mieux sur son rôle, et qu’elle se
penche sur le besoin des familles d’être considérées et écoutées. « L’écoute
ne doit pas être réservée aux avocats et aux médias. La justice doit pouvoir se
tenir auprès des familles et des victimes, c’est ce qu’on a mis en place au
pôle cold cases. Certaines associations le font également très bien »,
rappelle-t-il.
La discussion porte aussi sur
les derniers faits divers qui ont marqué l’actualité : le meurtre d’une
surveillante par un collégien en Haute-Marne, les attentats, la tuerie de masse
en Autriche. Un invité interpelle l’ancien procureur sur « le sentiment
d’insécurité » que vivent aujourd’hui beaucoup de Français, sentiment
pourtant contredit par les chiffres de la criminalité aujourd’hui, bien plus
faibles dans l’Hexagone que dans de nombreux pays.
D’où vient ce climat
anxiogène ? « De ça », répond l’intervenant, montrant son
smartphone. « Avec les réseaux sociaux, on a désinhibé beaucoup de
choses, dont la criminalité. Un meurtre pourrait se produire en Australie et
j’aurais l’info immédiatement ! Mais statistiquement, il y a
moins de criminels, même si notre impression est qu’il y en a beaucoup. »
Et en parlant de téléphone :
si vous voulez commettre le crime parfait… oubliez-le. « Aujourd’hui,
c’est ce qui laisse toutes les traces et c’est ce qui aide les enquêteurs »,
explique Jacques Dallest. La conférence s’achève sur ces notes d’humour (on
l’espère, ndlr) : « Vous voulez tuer votre conjoint ? Laissez
le corps en pleine forêt, ne l’enterrez pas, car vous préserverez l’ADN. »
Jacques Dallest reprend ainsi
en filigrane l’un de ses arguments phares : tout le monde peut être confronté
au crime un jour ou l’autre. « Cela rend philosophe sur l’espèce
humaine. »
Mylène
Hassany