En septembre
prochain, le Sénat examinera le projet de loi « pour la confiance dans
l’institution judiciaire » adopté en première lecture à l’Assemblée, le 25 mai
2021. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, sénateur du
Rhône, a invité Damien Savarzeix, procureur de la République près le tribunal
de Chalon-sur-Saône, représentant la conférence nationale des procureurs de la
République ; Jean-Olivier Viout, magistrat honoraire, ancien procureur général
près la cour d’appel de Lyon ; Laurent Ridel, directeur de l’administration
pénitentiaire ; Ivan Guitz, président de l’association nationale des juges
d’application des peines ; et Virginie Peltier, professeure de droit privé et
sciences criminelles, Faculté de droit et de science politique de l’université
de Bordeaux à exprimer leurs observations.
Les réseaux sociaux et les chaînes d’information
continue mettent périodiquement en exergue des faits divers concernant des
récidivistes. Faut-il réviser les principes du droit pénal et de la procédure
pénale au motif que des gens, des minorités influentes, ou des syndicats le
souhaitent ? Par exemple, depuis quelque temps, la présomption d’innocence fait
épisodiquement l’objet d’une remise en cause préoccupante. Considérons la
réaction des policiers suite à l’acquittement de huit jeunes au bénéfice du
doute dans l’affaire de Viry-Châtillon, le 18 avril 2021. Il n’y avait pas de
preuves contre certains des accusés. L’acquittement qui en résulte est
l’application de la présomption d’innocence. Pour ces accusés, insistons, il
n’a pas été possible de renverser la présomption d’innocence qui les protégeait.
Ont surgi une déferlante de critiques et de réactions politiques : « pas de
jugement », « des peines automatiques sans aménagement », au mépris
du principe d’individualisation des peines. Dans un autre périmètre, des
associations de victimes ont tenté de faire instaurer une présomption de
véracité irréfragable de la parole de l’enfant dans des affaires d’infraction
sexuelle. Qu’advient- il dans cette hypothèse de la présomption d’innocence ?
Alors, s’il faut absolument essayer de rapprocher la population de la justice
pénale, gare à ne pas aller trop loin. Virginie Peltier, professeure de droit
privé et sciences criminelles, rappelle que le prononcé des peines inférieures
à un mois d’emprisonnement n’est plus possible, et qu’au-dessous d’un an,
celle-ci doit être aménagée obligatoirement. « À propos de l’impression de
laxisme ressentie par la population, ce qu’elle retient, c’est qu’au- dessous
d’un an, on ne va pas en prison. La loi de programmation et de réforme pour la
justice (LPJ) ne propose pas le schéma attendu par l’opinion publique » en
déduit-elle.
L’INCOMPRÉHENSION DE L’OPINION
PUBLIQUE
L’appréciation de nos concitoyens sur
l’efficacité de notre justice pénale est négative. Le sentiment d’inefficacité,
voire de laxisme repose-t-il sur la réalité ? Les chiffres bruts infirment
l’accusation de laxisme. Au Beauvau de la sécurité, le procureur de la
République de Clermont-Ferrand Éric Maillard rappelait qu’en 2019, 132 000
peines de prison ferme ont été prononcées, contre 88 000 en 2010 et 76 000 en
2000. Les chiffres témoignent du fait que les juridictions prononcent plus de
peines d’incarcérations aujourd’hui. Pourtant, la conviction d’une insuffisante
répression des atteintes aux personnes et aux biens est aujourd’hui bien ancrée
dans les esprits. Certes des décisions de justice choquent par les faibles
peines qu’elles contiennent et la répression paraît à géométrie variable selon
le ressort judiciaire. De plus, la mollesse de quelques décisions ne s’explique
pas seulement par la nécessité d’individualisation de la peine, relève
Jean-Olivier Viout, ancien procureur général près la cour d’appel de Lyon. Mais
c’est bien pourquoi il existe un double degré permettant au parquet de faire
appel des décisions qu’il estime ne pas apporter une réponse adéquate aux faits
poursuivis.
S’agissant spécifiquement des forces de
l’ordre, outre la voix des organisations syndicales des personnels en tenue, il
faut aussi entendre celle, beaucoup plus modérée, des agents et officiers de
police judiciaire, conseille Jean-Olivier Viout. Engagés dans l’avancement des
procédures, ils sont en contact permanent avec l’autorité judiciaire. Le
dialogue avec eux enseigne que les affirmations sur la disparition de la
confiance entre la police et la justice ne reposent pas sur la réalité
quotidienne. Ces personnels comprennent la logique de telle ou telle décision
qui semblerait insuffisamment sévère à d’autres. Quoi qu’il en soit, face à une
décision notoirement insuffisante, les enquêteurs, agents et officiers de
police judiciaire et les parquets communiquent pour apprécier l’opportunité
d’utiliser les voies de recours.
La critique principale de la justice pénale
provient de l’absence de lisibilité à trois niveaux distincts : le recueil et
le traitement des plaintes ; le recours aux alternatives aux poursuites par les
parquets ; et l’écart entre la peine prononcée et celle réellement exécutée. La
réflexion doit se focaliser sur ces trois éléments. Les plaintes et
signalements sont traités très différemment selon le service de police ou de
gendarmerie qui l’enregistre. Beaucoup de plaignants viennent déposer une
plainte en bonne et due forme et se voient répondre qu’une main courante
suffira. Le contenu des mains courantes échappe au parquet, sauf si un
procureur attentif et disponible se fait régulièrement présenter les registres
pour l’évaluer. Ainsi, le rapport sénatorial d’information du 7 juillet 2020
dressant un bilan de la lutte contre les violences au sein de la famille
pointait que n’était que très imparfaitement appliqué sur le territoire le
protocole de novembre 2014, signé entre les ministères de l’Intérieur, de la
Justice et du droit des femmes, qui préconisait, pour ce type d’infraction,
l’abandon de toute main courante et la systématisation d’un procès- verbal de
plainte. Le parquet est destinataire des plaintes dans des délais très
variables, mais il ne l’est pas des mains courantes. L’enregistrement d’une
plainte et la mention en main courante amène vers des processus de traitement
divergents. C’est une première explication de l’illisibilité de la logique de
la réponse pénale, car l’égalité des citoyens devant la loi passe par l’égalité
d’écoute des victimes effectuant la démarche de signalement des faits et par
les réactions qui en découlent.
Un procureur de la République connaît
imparfaitement la réalité des encours au sein des commissariats. Précisons que
la hiérarchie policière ne sait pas toujours elle-même ce qu’il y a en stock et
dans les portefeuilles de ses enquêteurs. Les procureurs ont demandé une action
forte aux chefs de service pour que le comptage et l’identification des
procédures traitées par les enquêteurs soit consultables. Les compagnies de
gendarmerie ont mis en place des bureaux d’ordre aujourd’hui opérationnels.
Avec les services de police, ce travail est plus long mais il est effectué avec
plus d’égalité. Comme le flux de plaintes est énorme, un système
d’enregistrement, de comptage et d’attribution des dossiers par enquêteurs est
devenu central pour mesurer et caractériser le stock.
La seconde cause d’incompréhension provient
de la quantité de recours aux alternatives aux poursuites qui totalise près de
47 % de la réponse pénale. Cette voie nourrit le sentiment d’incompréhension
lorsque l’alternative aux poursuites est vidée de toute substance. Le
classement sous conditions, le travail non rémunéré, l’éloignement de l’auteur
de l’infraction, la médiation pénale ont un impact incontestable, mais qu’en
est-il aujourd’hui du rappel à la loi ? En 1999, le législateur l’a consacré
dans notre Code de procédure pénale. Très rapidement, il a été dévolu à
l’officier de police judiciaire, sans convocation en maison de justice.
Finalement, l’enquêteur, qui rédige son procès-verbal, téléphone au parquet et
indique d’une simple mention en pied de page que l’affaire se solde par un
rappel à la loi. Le rappel à la loi par officier de police judiciaire ressemble
à une variable d’ajustement de l’évacuation des flux pénaux, estime
l’ex-procureur général, car en France, on compte plus de 1 300 000 affaires à
poursuivre par an, et il faut bien que les parquets gèrent ce volume selon la
faculté d’absorption par leur juridiction. C’est pourquoi les rappels à la loi
par officier de police judiciaire se sont transformés en classements sans suite
statistiquement avantageux.
Un courant anglo-saxon de réflexion sur
l’efficacité de la réponse pénale est né il y a 30 ans au Canada, puis s’est
propagé aux États-Unis. Il imprègne tous les programmes les plus efficaces de
traitement de la récidive et s’appelle le what works (qu’est-ce qui
marche). Cette analyse très pragmatique détermine ce que doit être l’activité
judiciaire : qu’est-ce qui marche, pour qui, et à quelles conditions ? L’un des
enseignements de cette recherche universitaire est qu’avant d’agir
efficacement, il faut d’abord évaluer le risque présenté par la personne, puis
définir un niveau de traitement qui soit indexé sur cette donnée. Concrètement,
pour les délinquants à très faible risque de récidive, le rappel à la loi,
c’est-à-dire le traitement minimal, constitue la réponse judiciaire optimale. À
sa création, le rappel à la loi répondait à un besoin. Il a son utilité, même
si incontestablement, il sert d’instrument d’ajustement dans la gestion des
flux. L’apparence de laxisme ou de simplicité ou de manque de fermeté n’est
qu’une apparence. Le rappel à la loi donne des résultats pour la délinquance à faible
risque.
Le dernier sujet qui nourrit la critique de
laxisme tient à la conviction que les peines sont de plus en plus souvent
aménagées avec une tolérance et une souplesse non justifiées. Les services
pénitentiaires d’insertion et de probation, depuis les cinq ou six dernières
années, ne cessent de recevoir des missions nouvelles, avec des dispositions
très généreuses d’aménagement de peine et de méthodes de probation.
Aujourd’hui, ils se trouvent au seuil de la rupture.
DÉLAI = VOLUME/CAPACITÉ
« Ce qui donne la meilleure chance à la
peine d’être exécutée, c’est que l’auteur rencontre son juge. Notre système
judiciaire est organisé de telle manière que lorsque la personne comparait à
l’audience du tribunal, elle fait l’objet d’une convocation ultérieure pour la
deuxième phase qui est l’exécution de la peine » explique Damien Savarzeix,
procureur de la République. La chronologie naturelle suggère qu’elle s’effectue
dans le prolongement direct du prononcé de la sanction. Parvenir à amener
l’auteur à comparaître sans délai devant son juge enclenche le contexte qui
favorise un bon taux d’exécution de la peine. Pour que le rythme fonctionne
valablement, le temps qui s’écoule entre la date de commission du fait et celle
de la convocation devant le juge doit rester raisonnable. Pour l’heure, aucune
étude scientifique n’a démontré de corrélation entre le taux d’absence ou de
carence, et le délai qui court depuis le délit jusqu’à la comparution de son
auteur. Cependant, dans la pratique, les juges observent qu’en-deçà de 18 mois,
75 % des auteurs se présentent à l’audience, entraînant une exécution en
prolongement direct avec la convocation d’un juge d’application des peines
(JAP), le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) ou un écrou.
Au-delà, le taux de carence est proportionnel au temps écoulé. À trois ans,
moins de la moitié du public pénal passe devant son juge, et les difficultés
d’exécution sont alors massives. Donc, comment fait-on pour assurer un délai
raisonnable ? Il se décompose en trois phases. D’abord celle des
investigations, puis celle de la prise de décision par le parquet, et enfin
arrive la convocation devant le juge.
Deux ans deviendraient le délai de droit
commun dans le traitement des enquêtes préliminaires. Heureusement, certaines
sont traitées plus vite. Pour un délit de droit commun, l’enquête peut être
traitée en six mois, même avec une expertise à réaliser, un examen médical à
pratiquer, des constatations à faire, des témoins et des protagonistes à
entendre. La durée dépend des moyens. L’enquêteur n’a pas un dossier à traiter
mais une multitude. Au fond, il divise son temps entre plusieurs procédures.
L’allongement vient de là. De plus, les traitements extra départementaux
induisent des latences supplémentaires. Un dossier subit celles de son service
des enquêtes locales, mais lorsqu’un témoin à entendre (et c’est très fréquent)
ou un acte à réaliser se trouve en dehors de son département, alors il est
adressé à l’extérieur. Là-bas, il va rejoindre le dessous de la pile. Suivant
l’ordre chronologique, il n’est pas pris en charge immédiatement. Cela entraîne
finalement une accumulation de retards dans nombre de procédures pourtant sans
complexité. Le jeu additionnel de ces attentes dans les différents endroits où
circule la plainte se solde par des délais supérieurs à deux ans. La demande
des procureurs de la République d’étendre la durée de l’enquête préliminaire
répond à cette réalité concrète.
Pendant la première phase – celle de
l’enquête – se pose le problème d’adéquation des moyens par rapport aux besoins
et au nombre de procédures à traiter. Par exemple, le plus gros commissariat du
ressort du tribunal de Chalon-sur-Saône reçoit à peu près 500 plaintes par mois
quand il a une capacité de traitement de 350, témoigne Damien Savarzeix. En
conséquence, mécaniquement se constitue un stock de procédures non traitées. Si
l’enquête dure trop longtemps, le public pénal, par nature extrêmement
volatile, devient impossible à localiser. Dans ce cas, adresser la convocation
relève du challenge chronophage, et le délai de rencontre avec le juge augmente
de façon exponentielle. Un palliatif consiste à essayer de prioriser l’activité
des services d’enquête. D’ailleurs, un mouvement organisé par la Direction des
affaires criminelles et des grâces, la Direction générale de la police
nationale et la Direction générale de la gendarmerie nationale entend réduire
les stocks et redimensionner le portefeuille des enquêteurs.
La deuxième phase, celle de la prise de
décision par le parquet, pêche aussi par manque de matériel et de personnel.
Avec un quart de la médiane européenne en termes de moyens et de magistrats du
parquet, la solution adoptée repose sur la prise de décision rapide à partir
d’un minimum d’informations. Un magistrat de permanence en produit 50 à 100 par
jour avec trois éléments : le compte rendu du service des enquêtes qui peut se
résumer à quelques minutes, ou quelques lignes ; les antécédents judiciaires ;
et la politique pénale. C’est une façon de gérer des flux intenses et de
délivrer des réponses quasi instantanées. Toutefois, la vitesse de réalisation
nuit à l’aspect qualitatif. La considération des questions comme le profil de
l’auteur, celui de la victime, l’analyse prospective de risque, l’attente des
territoires, la nocivité sociale d’un individu totalement détaché de la gravité
de ses actes, demanderaient davantage de temps. Ce schéma de prise de décision
rapide rend inaccessible le sur-mesure, malgré la demande très forte de la
société d’une réponse affinée. À cause de la faiblesse de leurs moyens, les
parquets ne peuvent que rarement satisfaire cette attente. Le temps de prise de
décisions a vertigineusement diminué.
La dernière phase – celle de la convocation –
est directement liée à la capacité de jugement pénal de la juridiction. Pour
essayer de la préserver, les procureurs de la République, maîtres de
l’orientation, développent les formules qui évitent le recours au juge. Deux
périmètres sont envisageables. 50 % des orientations sont dévolues à celui des
alternatives aux poursuites au nombre desquels figure le rappel à la loi, « la
troisième voie ». Suite à un rappel à la loi, plus de 65 % des primo
délinquants ne récidivent pas. C’est donc une réponse efficace, indispensable
au maintien de la capacité de jugement pénal. Le second périmètre est celui des
poursuites simplifiées. Elles se classent en deux types : les comparutions sur
reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) et l’ordonnance pénale.
Au total, les parquets dirigent à peu près 75
% de leurs procédures ailleurs qu’à l’audience correctionnelle. Dans nombre de
petites juridictions, cela permet de réduire drastiquement les délais de
convocation à 2 mois, 4 mois, 6 mois. La durée ainsi obtenue entre la date des
faits et la rencontre avec le juge permet une exécution de la peine dans le
prolongement direct de la réponse judiciaire. Dans les plus grosses
juridictions, la capacité de jugement pénal, en dépit des efforts de gestion
des flux, reste insuffisante. L’accroissement des délais de convocation semble
mécanique, 10 mois, 15 mois, 2 ans parfois. Sans surprise, lorsqu’un jugement intervient
trois ans après les événements, ne sont présentes que la moitié des personnes.
Les intéressés auraient pourtant intérêt à venir au tribunal parce que, absents,
s’ils ont des antécédents, la sanction prononcée est très souvent une peine
ferme. Cet enchaînement explique l’accumulation de peines fermes non exécutées.
Pour augmenter la capacité de jugement pénal
des juridictions, concentrer la totalité des moyens de jugement sur la fonction
pénale signifierait abandonner d’autres contentieux, le civil, les affaires
familiales ou l’activité des cabinets spécialisés… ce n’est donc pas une
solution. C’est pourquoi il faut plus de juges et de procureurs. Le magistrat français,
aussi impliqué et imaginatif qu’il soit, n’est pas plus performants que ses
homologues européens. Si nos voisins installent deux juges là où nous n’en
avons qu’un, quatre procureurs là où nous n’en mettons qu’un, il y a bien une
raison, constate le procureur.
EXPLOITER LE TEMPS DE LA PEINE
OU PUNIR ?
Le juge d’application des peines (JAP) est un
peu occulté dans les échanges entre le tribunal correctionnel et
l’administration pénitentiaire. Dans la pratique, il travaille avec des
policiers peut-être moins que les parquetiers et les juges d’instruction. Il
est en contact avec les services d’escorte, il délivre des mandats d’amener,
des mandats d’arrêt. Son rôle ne se cantonne pas à sortir les condamnés de
prison. Il les y remet aussi lorsqu’ils ne respectent pas leurs obligations. Le
JAP demande au cas par cas des enquêtes sur des promesses d’embauche pour des
détenus et sur des projets des libérations conditionnelles. L’application des
peines dans la chaîne pénale correspond
à la face cachée de la justice pénale. Nul
communiqué, nulle caméra dans le prétoire lorsque se prend une décision
d’aménagement de peine, fait remarquer Ivan Guitz, président de l’Association
nationale des juges d’application des peines.
Le JAP adopte deux circuits de fonctionnement.
Le circuit court, où l’intéressé ressort avec une convocation ou deux. L’une
devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation, et le cas échéant
l’autre, devant le juge d’application des peines, si c’est, par exemple, une
peine ferme aménageable. Le circuit long s’impose si l’intéressé n’est pas là,
ou s’il n’est pas domicilié dans le même ressort. C’est du temps gâché par
rapport au sens qu’on peut donner à une peine. La difficulté tient surtout au
côté erratique des procédures qui arrivent jusqu’au stade de l’application des
peines. Les juges se trouvent face à un énorme problème de numérisation et de
communication des décisions par des logiciels sans interface. Cassiopée, API,
Genesis n’offrent pas forcément de passerelles entre eux. Il faut ressaisir les
procédures pénales. Cette activité n’avance pas par manque de personnel. Le
retard sur ce point justifie de repenser le nombre de greffiers, de juges, et
de procureurs dans notre pays. L’outil informatique performant manque pour
afficher rapidement les situations pénales purgées. Aucun souci avec une seule
condamnation, mais avec plusieurs contre des auteurs à signifier qui ne l’ont
pas été, qui ont des condamnations oubliées aux quatre coins du territoire,
c’est plus complexe. Il arrive que, une fois l’intéressé sorti d’une peine
d’incarcération avec ou sans aménagement, ressorte à son encontre un dossier du
type conduite sans permis et refus d’obtempérer datant de cinq ou six ans,
alors que le quidam a éventuellement passé son permis depuis. Pourquoi
conserver dans le circuit de vieilles condamnations « éteintes » ? Dénuées
d’actualité, elles n’ont plus de sens en termes d’exécution. Le juge devrait
disposer de toutes les informations pertinentes en temps réel. Un effort
financier sur les moyens informatiques alloués est vraiment vital.
Pour Ivan Guitz, au cours d’une peine de
trois mois en mandat de dépôt avec incarcération, il ne se passe rien. Le délai
est trop court pour que l’intéressé s’inscrive dans des dispositifs
pénitentiaires. Suite à cet enfermement avec des réductions de peine ou pas,
l’intéressé ressort dans le même état, voire pire parce qu’il s’est découvert
de « nouveaux amis ». La peine est exécutée, certes, mais dans cette
conjoncture, que penser du risque de récidive ? Soulignons que la notion de
choc carcéral, à laquelle certains croient encore, ne dissuade que les honnêtes
gens. Il est bien plus intéressant de mettre à profit la durée de la peine pour
la prévention et contre la récidive. Elle peut être aménagée en peine de
travail d’intérêt général ou autrement. Les critères de décisions sont
nombreux. Quel est le stade de réflexion de l’intéressé par rapport aux faits,
par rapport à son passé pénal ? Est-ce qu’on peut encore essayer de compter sur
un changement positif et une prise en charge de probation réelle, ou est ce
qu’il n’y a rien en tirer ? Auquel cas, effectivement, le JAP demandera
l’incarcération sans hésitation.
Actuellement, une grosse partie des peines
d’emprisonnement fermes exécutées se déroulent sous forme de peines aménagées.
Selon la législation (LPJ, 23 mars 2019), pour toute condamnation jusqu’à un
an, le principe est l’aménagement. La Cour de cassation a renforcé cette
disposition par différents arrêts. En dernier lieu, le 11 mai dernier, la
Chambre criminelle a indiqué que jusqu’à six mois fermes, l’aménagement est
obligatoire. La difficulté pour les juges correctionnels désormais est devenue
non pas de motiver le une peine d’emprisonnement ferme, mais, si elle n’est pas
aménagée, de motiver pourquoi. En conséquence, de nombreuses peines aménagées ab
initio par le tribunal arrivent au juge d’application des peines et le
mettent en difficulté par leurs incohérences. Sont par exemple aménagées des
peines sous forme de bracelet électronique pour des personnes qui ne sont même
pas domiciliées...
L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE,
DERNIÈRE MAIN TENDUE
À propos du travail au sein de la justice,
notamment sur de l’humain compliqué, le risque zéro n’existe pas, estime
Laurent Ridel, directeur de l’administration pénitentiaire. Il accompagne le
magistrat et le fonctionnaire pénitentiaire. Assigner à la justice et à
l’administration pénitentiaire une obligation de résultat serait parfaitement
illusoire et de plus contre-productive pour ses acteurs. Quant à l’obligation
collective de moyens renforcés, elle engage le pouvoir politique, le
législateur, l’exécutif, le directeur de l’administration centrale et l’ensemble
des responsables. L’opinion publique, après chaque drame, met en cause la
justice et s’offusque qu’elle n’ait pas réussi là où tout le reste a échoué.
L’administration pénitentiaire est souvent le bout du cheminement d’individus
pour lesquels, en termes de processus de socialisation, rien n’a marché : ni la
famille, ni l’école, ni les dispositifs sociaux. Pour ces personnes, réclamer
une réussite systématique n’est pas un objectif.
Des études précises manquent sur les
questions de récidive, de réitération, dans toute l’Europe. Les chiffres bruts
relatifs à la réitération nous placent dans la moyenne. Moins d’un délinquant
sortant de prison sur deux y retourne dans les cinq ans qui suivent. Compte
tenu des caractéristiques des publics accueillis, ce résultat n’est pas si
lamentable, indique le directeur. L’administration pénitentiaire retient
actuellement 67 000 détenus et suit à peu près 165 000 personnes en milieu
libre à travers les SPIP. L’ensemble représente plus de 230 000 personnes
surveillées aujourd’hui par l’administration pénitentiaire sur mandat
judiciaire. Le taux d’incarcération en France, hors pandémie, est de l’ordre de
105 détenus pour 100 000 habitants ; c’est exactement la moyenne européenne.
Nous sommes légèrement au-dessus, en termes d’incarcération, de l’Allemagne et
de l’Espagne, mais en deçà de l’Angleterre et de l’Italie. Il n’y a donc pas
d’exception française. Nos magistrats recourent autant que leurs homologues
européens à la prison et à la probation. Notre exception se situe dans
l’encombrement de nos établissements pénitentiaires. Nous sommes la cinquième
nation du Conseil de l’Europe à avoir le taux d’encombrement le plus élevé
après la Belgique, Chypre et d’autres pays qui ne respectent pas les mêmes
standards.
La construction de sites a pris du retard. Le
plan en cours fournira 15 000 places dont certaines ouvriront cette année.
Elles sont indispensables. Sur la question de la réalité des sanctions mises en
œuvre, un indicateur simple donne une information éclairante. La durée moyenne
des séjours en détention augmente considérablement en France : sept mois en
2006, huit mois en 2016, un an en 2021. L’érosion des peines de prison est donc
une contre vérité. Mais encore faut-il que le dispositif d’exécution des
sanctions judiciaires soit accepté par tout le monde. Avant 2019, un tribunal
correctionnel pouvait condamner à deux ans de prison ferme un individu qui
quittait l’audience libre. La procédure passait par le JAP puis par le SPIP.
Pendant ce temps, l’auteur des faits pouvait recroiser sa victime dans la rue.
Quelquefois, plusieurs années après, l’affaire se soldait par un travail d’intérêt
général ou un bracelet électronique. Nos concitoyens ne pouvaient pas
l’admettre.
La loi de 2019 a redonné de la crédibilité au
dispositif. Les courtes peines de prison sont maintenant considérées comme
inutiles. En conséquence, les peines inférieures à un mois ne sont plus
prononcées, et le tribunal correctionnel doit, sauf impossibilité à la barre,
aménager les peines d’emprisonnement jusqu’à un an : semi-liberté, bracelet
électronique, libération conditionnelle, etc. Au-delà d’un an d’emprisonnement,
la peine est vue comme importante. Il y a écrou et mise en détention.
Pour que notre paradigme soit efficace, le
temps de prise en charge pénitentiaire doit être utile à la prévention de la
récidive. Cette dernière se travaille sous deux aspects : son aspect criminologique
englobe la prise de conscience du passage à l’acte, le respect de la victime, la
connaissance des règles sociales, son aspect intégration sociale s’adresse aux
délinquants qui cumulent de multiples handicaps sociaux.
Pour cela, il faut des moyens, alors que,
déjà, les places d’accueil manquent. Néanmoins, combien de détenus ont retrouvé
le chemin du médecin, de la santé physique, mentale en détention ? Combien
d’entre eux ont appris à lire en prison ? Combien ont suivi des programmes de
prévention de la récidive ? Combien de radicalisés ont entamé un chemin
critique envers l’embrigadement ? Oui, la prison est un lieu utile, assure
Laurent Ridel, à condition de surmonter la difficulté de la surpopulation qui
sape beaucoup d’efforts engagés. Sur ce point, on ne peut d’ailleurs pas
opposer personnels et détenus, puisque les conditions de détention des uns sont
les conditions de travail des autres. Tous en partagent les carences.
S’agissant du milieu ouvert, les Services
pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ont développé depuis 20 ans
une méthodologie d’intervention en matière de criminologie opérationnelle. Les effectifs
ont augmenté de 20% en trois ans et augmenteront encore de 20 % d’ici 2023.
L’objectif est de disposer d’un Conseiller d’insertion et de probation (CPIP)
pour environ 60 personnes. Parallèlement, la collaboration en équipe progresse
réunissant des éducateurs, des psychologues, des assistants de services
sociaux, etc. Les services pénitentiaires proposent aux magistrats une offre
pénitentiaire dans chaque département. Elle se compose de places de prison et
de dispositifs en milieu ouvert : bracelet électronique, semi-liberté, stage de
citoyenneté ou de prévention des violences, bracelet anti rapprochement. Le
magistrat a besoin de cet ensemble d’options au moment de trancher pour prendre
une décision adaptée et personnalisée, conscient que le risque zéro n’existe
pas.
Notre société assume mal sa justice. L’esprit
de concorde fait défaut. Les magistrats et les fonctionnaires pénitentiaires
analysent des situations, prennent des risques mesurés, pour diminuer le nombre
de récidives. Le sens des sorties aménagées, préparées, contrôlées réside là.
Toutes les études internationales prouvent qu’elles limitent la réitération et
la récidive de façon permanente et structurelle. Malgré tout, en cas d’échec,
les décideurs sont conspués par les médias. A contrario, si un individu
récidive suite à une sortie sans aucune préparation, ni contrôle organisé, tout
le monde l’accepte. Le populaire « il a payé, il a purgé sa peine jusqu’au
bout » ne délivre pourtant pas le permis de recommencer. La presse ne
devrait-elle pas se concentrer sur ces cas-là avec une égale virulence?
C2M