Avec son Baromètre national
des entreprises, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a
récemment fait le point sur l’état de santé des entreprises françaises. Sur
onze mois d’observation, l’organisme a constaté une année contrastée, entre
l’envie croissante d’entreprendre et l’augmentation record du nombre
d’entreprises en difficulté. Le secteur du service a su tirer son épingle du
jeu, tandis que les activités de la construction et de l’immobilier peinent
encore à trouver l’équilibre.
« Face à une conjoncture
morose, les entreprises entre difficultés et résilience ».
C’est ainsi qu’est résumé le Baromètre national des entreprises, publié le 23
décembre 2024 par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce
(CNGTC). Le document s’appuie sur les données des 6 millions d’entreprises
immatriculées au Registre du commerce et des sociétés. Il recouvre les mois de
janvier à novembre 2024, en attendant la prochaine publication du Baromètre
annuel des entreprises, avec des données consolidées sur douze mois. Ces
travaux sont réalisés à partir des données diffusées par le site de formalités
Infogreffe et analysées par l’institut privé d’études économiques Xerfi
Spécific. Par ces récents travaux, le CNGTC compte « mesurer l’impact
des crises cumulées sur la santé du tissu entrepreneurial français ».
Et pour l’année 2024, l’état
de santé des entreprises françaises est contrasté. Le CNGTC observe « une
envie d’entreprendre qui résiste », illustrée par une augmentation de
8,4% des immatriculations, grâce, notamment, à celle du nombre d’entrepreneurs
individuels. À l’inverse, le nombre d’entreprises en difficulté « atteint
des records historiques », en 2024. Et pour cause, les procédures
collectives visant à aider les entreprises en difficulté à retrouver une
situation financière pérenne et à organiser leurs paiements auprès des
créanciers ont augmenté de 17,3%. Pour Victor Geneste, président du CNGTC, le
baromètre « met en évidence une situation paradoxale pour l’année
2024 : la confiance semble revenir chez les entrepreneurs, avec une nette
reprise des immatriculations ; cependant, les difficultés s'accumulent dans de
nombreux secteurs et entraînent une hausse historique des ouvertures de
procédures collectives ».
Selon la note de conjoncture
de l’INSEE, confirmée par les prévisions du Baromètre national des entreprises,
la croissance économique française s’établit, en 2024, aux alentours de 1%. Une
croissance qui « tourne au ralenti », selon le CNGTC, et a été
mise à mal par l’accumulation des crises politiques, les incertitudes
règlementaires et le contexte inflationniste. Pour Xerfi Spécific, le PIB
français ne devrait progresser, en 2025, que de 0,7%, en raison de la
potentielle réduction des investissements des entreprises et des dépenses des
ménages. Dans un tel contexte, le président du CNGTC appelle à
« des mesures incitatives » et à « des réponses […] aux besoins de
simplification et de sécurité » des entrepreneurs.
« Un choc brutal,
mettant à nu les fragilités accumulées » des
entreprises
Alors que le CNGTC observe
une hausse modérée de la création d’entreprise (+8,4%), l’organisme y voit
un « signe de résilience de l’esprit
entrepreneurial français ». Au total, 538 241 entreprises ont été
créées entre janvier et novembre 2024. Pour autant, de nombreuses entreprises
ont rencontré des difficultés. Elles sont 54 256 à avoir fait l’objet d’une
procédure collective (+17,3%) au cours des onze premiers mois de 2024. Et les
causes de ces difficultés sont diverses. D’abord, les entreprises ont dû
entamer le remboursement des prêts garantis par l’État (PGE), contractés lors
de la crise sanitaire, tout en se voyant supprimer, en 2023, les aides
d’urgence. Le baromètre révèle aussi la « difficulté
structurelle » des entreprises « à remplir leurs
carnets de commandes », combinée à un contexte inflationniste et à la
hausse du prix de l’énergie et des matières premières. Autant de causes qui ont
provoqué « un choc brutal, mettant à nu les fragilités
accumulées » des entreprises françaises, commentent les auteurs du
baromètre.
À l’échelle locale, « l’ensemble
des régions situées en France métropolitaine affiche une hausse à la fois des
immatriculations et des entreprises en difficulté, reflétant ainsi la tendance
générale sur les onze premiers mois de 2024 », consigne le document.
En revanche, la progression du nombre d’entreprises en difficulté est
globalement plus marquée par rapport à l’évolution des créations d’entreprises.
Seules les régions des Hauts-de-France, de la Bourgogne-Franche-Comté et du
Centre-Val-de-Loire enregistrent une tendance inverse. Les résultats sont tout
de même plus encourageants, en comparaison avec l’année 2023, durant laquelle
le nombre d’immatriculations était à la baisse dans les régions. Le taux de
procédures collectives, et donc d’entreprises en difficulté, demeure
préoccupant. Alors qu’il avait augmenté d’au moins 30% dans chaque région en
2023, les taux d’entreprises en difficulté ont tous augmenté de 5,2% à 29,6% en
2024.
L’Île-de-France fait partie
des régions les plus préoccupantes, selon le CNGTC. Même si l’organisation des
Jeux olympiques et paralympiques de Paris a encouragé l’augmentation des
immatriculations (+13,5%, soit 5 points de plus que la moyenne nationale), le
nombre de procédures collectives et de radiations ont dépassé la moyenne
nationale. En effet, les procédures collectives ont augmenté de 29,6% et les
radiations étaient en hausse de 14,9% dans cette région. Par ailleurs, les
auteurs s’inquiètent de l’explosion du nombre d’ordonnances portant injonction
de payer, une procédure permettant d’obtenir rapidement le remboursement de
sommes dues par un débiteur ayant qualité de commerçant ou de société. Elles
sont « un indicateur fort de la santé du tissu entrepreneurial »
et « annonciatrices des premières difficultés économiques d’une
entreprise », commentent les auteurs du baromètre. En Île-de-France,
ces injonctions ont bondi de 15,4 %, alors que le territoire national observe
une diminution de 0,7%. L’Occitanie est la région qui enregistre la plus
forte régression du nombre d’ordonnances (-22,6%).
40.000 liquidations
judiciaires et 13.000 redressements judiciaires en 2024
Pour cette année 2024, le
baromètre relève une « légère augmentation » de l’âge moyen
des entreprises soumises à une ouverture de procédure collective. En moyenne,
ces entreprises sont âgées de 8,3 ans, soit une hausse de 7 mois par rapport à
l’année précédente. Aussi, 74% des procédures collectives ont débouché sur des
liquidations judiciaires, contre 77% en 2023. Enfin, 24% des procédures
collectives se sont conclues par une décision de redressement judiciaire,
contre 20,5% en 2023. Qu’il s’agisse de SAS, d’entreprise individuelle ou de
SARL, « la répartition des jugements reste similaire » aux
chiffres énoncés. Dans le détail, ont eu lieu, entre janvier et novembre
2024, 40 010 liquidations judiciaires (+12,7% en un an), 12 977 redressements
judiciaires (+ 35,6%) et 1 200 procédures de sauvegarde (+ 5,2%).
S’agissant des radiations d’entreprises,
ces dernières ont augmenté de 7,9% en un an et ont été majoritairement
volontaires : 53% des entreprises radiées l’ont été de l’initiative du
chef ou de la cheffe d’entreprise. En revanche, la progression de ce type de
radiations est en net recul. Elles ont augmenté de 7,7%, alors que les
radiations à la suite d’une procédure collective ont bondi de 33,3% et que les
radiations d’office se sont envolées à plus de 56,7%. En 2023, les
radiations étaient toutes à la baisse en régions, mais en 2024, la
situation est devenue plus hétérogène : les Hauts-de-France, la Normandie et
l’Auvergne-Rhône-Alpes enregistrent une diminution de leurs radiations, tandis
que les autres régions s’éloignent peu des standards nationaux. Le grand écart
statistique est davantage notable du côté des territoires ultramarins. Par
exemple, la Guadeloupe voit s’envoler le nombre d’entreprises radiées à hauteur
de 91,3% tandis que la Martinique enregistre une baisse de 42% de ses
radiations.
L’immobilier toujours en
berne et les activités de service à l’équilibre
Les activités de construction
se hissent parmi les secteurs les plus en difficulté en 2024. Elles font partie
des deux secteurs (avec l’agriculture-sylviculture-pêche) qui enregistrent une
baisse du nombre d’immatriculations (-2,8%), contrairement aux résultats
nationaux. En parallèle, la construction observe une hausse des procédures
collectives (+23,6%) et des radiations (+16,7%), en plus d’être le premier
secteur visé par les ordonnances portant injonction de payer. En effet, un
quart des ordonnances délivrées l’a été à destination des activités de
construction. Le secteur observe toutefois une baisse du taux de ces
ordonnances (-11,8%). L’immobilier est également un secteur en mal
d’équilibre. Il est, quant à lui, touché par une explosion des procédures
collectives (+ 39,3%) et des ordonnances portant injonction à payer (+27,9%),
en plus d’observer une « hausse minime des immatriculations »
(+ 0,8%). Néanmoins, le secteur enregistre une importante baisse du nombre de
ses entreprises radiées (-14%) et devient l’unique secteur à afficher une telle
diminution entre janvier et novembre 2024.
À l’inverse, les activités de
service sont celles qui ont su tirer leur épingle du jeu, avec une augmentation
de 18,6% des immatriculations et l’une des plus faibles hausses des
procédures collectives (+ 4,7%). Dans une moindre mesure, les activités de
l’information et de la communication affichent un nombre d’immatriculations
d’entreprises (+20,6%) en plus fort progrès par rapport au nombre de procédures
collectives engagées (+17,2%) entre janvier et novembre 2024.
Inès
Guiza