ÉCONOMIE

L'entrepreneuriat français « entre difficultés et résilience »

L'entrepreneuriat français « entre difficultés et résilience »
Publié le 08/01/2025 à 18:00

Avec son Baromètre national des entreprises, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a récemment fait le point sur l’état de santé des entreprises françaises. Sur onze mois d’observation, l’organisme a constaté une année contrastée, entre l’envie croissante d’entreprendre et l’augmentation record du nombre d’entreprises en difficulté. Le secteur du service a su tirer son épingle du jeu, tandis que les activités de la construction et de l’immobilier peinent encore à trouver l’équilibre.

« Face à une conjoncture morose, les entreprises entre difficultés et résilience ». C’est ainsi qu’est résumé le Baromètre national des entreprises, publié le 23 décembre 2024 par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC). Le document s’appuie sur les données des 6 millions d’entreprises immatriculées au Registre du commerce et des sociétés. Il recouvre les mois de janvier à novembre 2024, en attendant la prochaine publication du Baromètre annuel des entreprises, avec des données consolidées sur douze mois. Ces travaux sont réalisés à partir des données diffusées par le site de formalités Infogreffe et analysées par l’institut privé d’études économiques Xerfi Spécific. Par ces récents travaux, le CNGTC compte « mesurer l’impact des crises cumulées sur la santé du tissu entrepreneurial français ».

Et pour l’année 2024, l’état de santé des entreprises françaises est contrasté. Le CNGTC observe « une envie d’entreprendre qui résiste », illustrée par une augmentation de 8,4% des immatriculations, grâce, notamment, à celle du nombre d’entrepreneurs individuels. À l’inverse, le nombre d’entreprises en difficulté « atteint des records historiques », en 2024. Et pour cause, les procédures collectives visant à aider les entreprises en difficulté à retrouver une situation financière pérenne et à organiser leurs paiements auprès des créanciers ont augmenté de 17,3%. Pour Victor Geneste, président du CNGTC, le baromètre « met en évidence une situation paradoxale pour l’année 2024 : la confiance semble revenir chez les entrepreneurs, avec une nette reprise des immatriculations ; cependant, les difficultés s'accumulent dans de nombreux secteurs et entraînent une hausse historique des ouvertures de procédures collectives ».

Selon la note de conjoncture de l’INSEE, confirmée par les prévisions du Baromètre national des entreprises, la croissance économique française s’établit, en 2024, aux alentours de 1%. Une croissance qui « tourne au ralenti », selon le CNGTC, et a été mise à mal par l’accumulation des crises politiques, les incertitudes règlementaires et le contexte inflationniste. Pour Xerfi Spécific, le PIB français ne devrait progresser, en 2025, que de 0,7%, en raison de la potentielle réduction des investissements des entreprises et des dépenses des ménages. Dans un tel contexte, le président du CNGTC appelle à « des mesures incitatives » et à « des réponses [] aux besoins de simplification et de sécurité » des entrepreneurs.

« Un choc brutal, mettant à nu les fragilités accumulées » des entreprises

Alors que le CNGTC observe une hausse modérée de la création d’entreprise (+8,4%), l’organisme y voit un « signe de résilience de l’esprit entrepreneurial français ». Au total, 538 241 entreprises ont été créées entre janvier et novembre 2024. Pour autant, de nombreuses entreprises ont rencontré des difficultés. Elles sont 54 256 à avoir fait l’objet d’une procédure collective (+17,3%) au cours des onze premiers mois de 2024. Et les causes de ces difficultés sont diverses. D’abord, les entreprises ont dû entamer le remboursement des prêts garantis par l’État (PGE), contractés lors de la crise sanitaire, tout en se voyant supprimer, en 2023, les aides d’urgence. Le baromètre révèle aussi la « difficulté structurelle » des entreprises « à remplir leurs carnets de commandes », combinée à un contexte inflationniste et à la hausse du prix de l’énergie et des matières premières. Autant de causes qui ont provoqué « un choc brutal, mettant à nu les fragilités accumulées » des entreprises françaises, commentent les auteurs du baromètre.

À l’échelle locale, « l’ensemble des régions situées en France métropolitaine affiche une hausse à la fois des immatriculations et des entreprises en difficulté, reflétant ainsi la tendance générale sur les onze premiers mois de 2024 », consigne le document. En revanche, la progression du nombre d’entreprises en difficulté est globalement plus marquée par rapport à l’évolution des créations d’entreprises. Seules les régions des Hauts-de-France, de la Bourgogne-Franche-Comté et du Centre-Val-de-Loire enregistrent une tendance inverse. Les résultats sont tout de même plus encourageants, en comparaison avec l’année 2023, durant laquelle le nombre d’immatriculations était à la baisse dans les régions. Le taux de procédures collectives, et donc d’entreprises en difficulté, demeure préoccupant. Alors qu’il avait augmenté d’au moins 30% dans chaque région en 2023, les taux d’entreprises en difficulté ont tous augmenté de 5,2% à 29,6% en 2024.

L’Île-de-France fait partie des régions les plus préoccupantes, selon le CNGTC. Même si l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris a encouragé l’augmentation des immatriculations (+13,5%, soit 5 points de plus que la moyenne nationale), le nombre de procédures collectives et de radiations ont dépassé la moyenne nationale. En effet, les procédures collectives ont augmenté de 29,6% et les radiations étaient en hausse de 14,9% dans cette région. Par ailleurs, les auteurs s’inquiètent de l’explosion du nombre d’ordonnances portant injonction de payer, une procédure permettant d’obtenir rapidement le remboursement de sommes dues par un débiteur ayant qualité de commerçant ou de société. Elles sont « un indicateur fort de la santé du tissu entrepreneurial » et « annonciatrices des premières difficultés économiques d’une entreprise », commentent les auteurs du baromètre. En Île-de-France, ces injonctions ont bondi de 15,4 %, alors que le territoire national observe une diminution de 0,7%. L’Occitanie est la région qui enregistre la plus forte régression du nombre d’ordonnances (-22,6%).

40.000 liquidations judiciaires et 13.000 redressements judiciaires en 2024

Pour cette année 2024, le baromètre relève une « légère augmentation » de l’âge moyen des entreprises soumises à une ouverture de procédure collective. En moyenne, ces entreprises sont âgées de 8,3 ans, soit une hausse de 7 mois par rapport à l’année précédente. Aussi, 74% des procédures collectives ont débouché sur des liquidations judiciaires, contre 77% en 2023. Enfin, 24% des procédures collectives se sont conclues par une décision de redressement judiciaire, contre 20,5% en 2023. Qu’il s’agisse de SAS, d’entreprise individuelle ou de SARL, « la répartition des jugements reste similaire » aux chiffres énoncés. Dans le détail, ont eu lieu, entre janvier et novembre 2024, 40 010 liquidations judiciaires (+12,7% en un an), 12 977 redressements judiciaires (+ 35,6%) et 1 200 procédures de sauvegarde (+ 5,2%).

S’agissant des radiations d’entreprises, ces dernières ont augmenté de 7,9% en un an et ont été majoritairement volontaires : 53% des entreprises radiées l’ont été de l’initiative du chef ou de la cheffe d’entreprise. En revanche, la progression de ce type de radiations est en net recul. Elles ont augmenté de 7,7%, alors que les radiations à la suite d’une procédure collective ont bondi de 33,3% et que les radiations d’office se sont envolées à plus de 56,7%. En 2023, les radiations étaient toutes à la baisse en régions, mais en 2024, la situation est devenue plus hétérogène : les Hauts-de-France, la Normandie et l’Auvergne-Rhône-Alpes enregistrent une diminution de leurs radiations, tandis que les autres régions s’éloignent peu des standards nationaux. Le grand écart statistique est davantage notable du côté des territoires ultramarins. Par exemple, la Guadeloupe voit s’envoler le nombre d’entreprises radiées à hauteur de 91,3% tandis que la Martinique enregistre une baisse de 42% de ses radiations.

L’immobilier toujours en berne et les activités de service à l’équilibre

Les activités de construction se hissent parmi les secteurs les plus en difficulté en 2024. Elles font partie des deux secteurs (avec l’agriculture-sylviculture-pêche) qui enregistrent une baisse du nombre d’immatriculations (-2,8%), contrairement aux résultats nationaux. En parallèle, la construction observe une hausse des procédures collectives (+23,6%) et des radiations (+16,7%), en plus d’être le premier secteur visé par les ordonnances portant injonction de payer. En effet, un quart des ordonnances délivrées l’a été à destination des activités de construction. Le secteur observe toutefois une baisse du taux de ces ordonnances (-11,8%). L’immobilier est également un secteur en mal d’équilibre. Il est, quant à lui, touché par une explosion des procédures collectives (+ 39,3%) et des ordonnances portant injonction à payer (+27,9%), en plus d’observer une « hausse minime des immatriculations » (+ 0,8%). Néanmoins, le secteur enregistre une importante baisse du nombre de ses entreprises radiées (-14%) et devient l’unique secteur à afficher une telle diminution entre janvier et novembre 2024.

À l’inverse, les activités de service sont celles qui ont su tirer leur épingle du jeu, avec une augmentation de 18,6% des immatriculations et l’une des plus faibles hausses des procédures collectives (+ 4,7%). Dans une moindre mesure, les activités de l’information et de la communication affichent un nombre d’immatriculations d’entreprises (+20,6%) en plus fort progrès par rapport au nombre de procédures collectives engagées (+17,2%) entre janvier et novembre 2024.

Inès Guiza

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