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L’Union des avocats européens s’interroge sur l’évolution de la responsabilité médicale dans le cadre de l’économie durable en Europe

L’Union des avocats européens s’interroge sur l’évolution de la responsabilité médicale dans le cadre de l’économie durable en Europe
Publié le 01/12/2021 à 14:30
Gérard Abitbol, président de la délégation Supranationale Méditerranée Provence Côte d’Azur, Corse, Liguria de l’UAE a organisé à Marseille, le 29 octobre dernier,  cette soirée conviviale de débats autour de la responsabilité médicale, placée sous la présidence de Jean-Raphaël Fernandez, bâtonnier de l’Ordre des avocats au barreau de Marseille. Professeurs, médecins, avocats, magistrats, une dizaine d’intervenants ont pris la parole tour à tour. Focus sur les propos de Maître Abitbol et ceux de Guylène Nicolas, Maître de conférences à la faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille.

 




« Une certaine relativisation des distinctions traditionnelles »

par Gérard Abitbol, président de la Délégation Supranationale Méditerranée Provence Côte d’Azur, Corse, Liguria de l’UAE

 

En Chine Impériale, la justice procédait d’une morale fondée sur des principes d’équité, d’autorité mais également de mansuétude. Sous les Ming et les Quing, nombreux étaient les juristes également médecins, les deux professions ayant pour objet de « sauver des vies ». Le fonctionnaire érudit et grand collectionneur de livres du 18e siècle Sun Xingyan avait d’ailleurs regroupé les ouvrages médicaux et juridiques sous une même rubrique dans sa bibliothèque.

Aléa thérapeutiques, vaccins divers et variés, médicaments défectueux, prothèses dangereuses... nombreux sont les exemples de faits générateurs de préjudices en matière médicale. Certains ont même défrayé la chronique ces dernières années. On songe tout particulièrement à l’affaire des prothèses PIP qui offrent des exemples de dommages de masse. Sous l’influence de la multiplication des dommages subis par les patients, le domaine de la responsabilité civile n’a eu de cesse de croître tout au long des deux derniers siècles pour atteindre l’ampleur qu’on lui connaît aujourd’hui, à tel point qu’on en est venu à se demander si la vie elle-même pouvait être considérée comme un préjudice réparable (l’affaire Perruche).

 









Responsabilité et indemnisation

Le temps est bien loin où les plaideurs pouvaient soutenir, dans le cadre d’un pourvoi en cassation, que « le médecin dans l’exercice de sa profession n’est soumis à aucune responsabilité ». Celle-ci ne peut être invoquée contre lui que si, oubliant qu’il est médecin et se livrant aux passions, aux vices, aux imprudences de l’homme, il occasionne, par un fait répréhensible, un préjudice réel au malade qui se confie à ses soins. Mais cette évolution s’est accompagnée d’une transformation de la notion même de responsabilité : la considération du dommage subi par les victimes a pris le pas sur l’importance de la faute en tant que fait générateur de responsabilité, d’où l’extraordinaire développement des mécanismes d’assurance. Une étude concernant les Etats membres du Conseil de l’Europe, qui a été présentée lors d’une conférence à Strasbourg en juin 2008, met d’ailleurs en évidence la généralisation de l’augmentation des primes d’assurance en Europe, tout particulièrement en France et en Allemagne.

L’évolution de la responsabilité médicale fait également apparaître une certaine relativisation des distinctions traditionnelles : distinction entre le droit privé et le droit public d’une part, et distinction entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité extracontractuelle, d’autre part.

Le droit européen a naturellement contribué au développement de ce phénomène, en imposant certaines harmonisations. La responsabilité médicale et du fait des produits médicaux défectueux représente une parfaite illustration de cette tendance : elle transcende désormais certaines distinctions fondamentales et, ce faisant, elle transforme la notion de responsabilité.

Mais, poussée à son paroxysme, cette transcendance aboutit à la négation même de la notion de responsabilité, supplantée par celle de solidarité, nationale aujourd’hui, et peut-être européenne demain.

C’est à Beaumarchais, dramaturge du XVIIIe siècle, que l’on doit la phrase célèbre : « la difficulté de réussir ne fait qu’ajouter à la nécessité d’entreprendre ». Objectifs ambitieux mais combien exaltants, sources de critiques d’autant plus vives lorsque les choix se sont avérés justes et rigoureux.

La même prudence impose de mesurer avec précision les charges que des dispositions législatives ou réglementaires nouvelles peuvent constituer, comme le disait Marcel Achard : « parce qu’elle est chère, la justice, parce que son temps est tellement limité et précieux, il faut désormais qu’on l’économise ».

Le droit de la responsabilité civile est partagé entre la faute et le préjudice, le lien de causalité servant de « trait d’union » entre les deux. Pour certains pays, le préjudice prend le pas sur le fait générateur de responsabilité. Il en résulte un système d’indemnisation que l’on peut qualifier d’administratif. Ainsi, dans la plupart des pays nordiques (Danemark, Finlande, Suède), le système est fondé sur l’indifférence à l’égard de la faute, et bien qu’il y existe une obligation d’assurance, la prise en charge, en cas de contentieux, est assumée par un groupe d’assureurs considérant qu’un assureur seul n’aura ni la capacité ni la solvabilité adéquates pour y faire face.

Pour d’autres pays, comme la France, un système mixte a été instauré par la loi du 4 mars 2002. Ce système repose à la fois sur la notion de faute et sur celle d’aléa thérapeutique.

De plus, l’existence d’un aléa thérapeutique peut donner lieu à la mise en œuvre de la solidarité nationale.

La faute ressurgit avec plus de force encore lorsque c’est la responsabilité pénale du médecin qui est envisagée. À cet égard, en tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, on a considérablement modifié la définition de la faute pénale d’imprudence, et donc des infractions de coups et blessures involontaires. Selon l’article 121-3 du Code pénal, lorsqu’une personne physique a, par un acte fautif, causé indirectement un dommage à la victime, sa responsabilité pénale ne peut être engagée qu’en cas de « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » ou lorsqu’elle a commis une « faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer » (C. pén., art. 121-3, al. 4).

La faute est également présente lorsque la déontologie médicale conduit à sanctionner un médecin ayant manqué aux devoirs de sa profession, l’ordre des médecins veille au maintien des principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine et à l’observation, par tous leurs membres, des devoirs professionnels, ainsi que des règles édictées par le Code de déontologie.

L’erreur médicale est directement liée à l’exercice de l’art médical : erreur au niveau du diagnostic, des choix thérapeutiques ou dans la réalisation de l’acte médical lui-même.

 

 

Contentieux et droit

Nombreux sont les médecins, s’exprimant aussi bien dans les médias généraux que spécialisés, à affirmer, sous la forme d’une antienne, que leur exercice professionnel inclurait désormais le risque de procès que leur intenteraient avec une grande facilité des patients toujours plus exigeants. La médecine se « judiciariserait », c’est-à-dire qu’elle serait soumise à un mode d’évaluation de ses pratiques par la justice. Ce néologisme récent ne désigne pas seulement le fait que des litiges seraient réglés devant les tribunaux, ce qui constitue leur mission légitime, mais qu’il s’agirait d’un mode de régulation de questions sociales par la voie juridictionnelle.

La jurisprudence du Conseil d’État, tout comme celle de la Cour de cassation, relative au contentieux de la responsabilité médicale est toujours aussi abondante et dessine les contours du droit de la responsabilité médicale. Au-delà de ce droit commun, il conviendra également de faire le point sur des contentieux encore plus spécifiques : transfusion, produits de santé, médicaments.

Toutefois, face au développement des aléas thérapeutiques, le législateur français ne pouvait multiplier les régimes spéciaux d’indemnisation. C’est la raison pour laquelle, de manière plus générale, la loi a renforcé le rôle de la solidarité nationale : « Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme, d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité ». Le médecin a une obligation de moyen et non de résultat. Rien n’a été modifié en termes de responsabilités, c’est le droit commun qui continue de s’appliquer, peu importe la manière dont se déroule la consultation.

Cependant, quoi de plus désespérant que d’assister aux querelles entre les médecins hospitaliers publics et leurs confrères libéraux. Crudivorisme, pratiques holistiques des croyances, des abus et des dérives. La crise sanitaire a favorisé l’essor des médecines alternatives. Les méthodes abondent la médecine traditionnelle, mais ne doit-elle pas tirer des leçons de cet attrait pour ces médecines parallèles ?

Une indispensable et urgente remise en question devrait inciter à dessiner le profil du nouveau médecin du XXIe siècle. Mais pour ce faire, il faudra quitter les vieux oripeaux de « Gaulois réfractaires » et accepter des solutions.

Il faut rendre un hommage particulier à l’action des pouvoirs publics et notamment du Parlement. Pendant cette crise sanitaire, des pans entiers de notre Législation de Santé ont été adaptés afin de faire face à cette situation exceptionnelle. Il en est de même de l’action de nos juridictions suprêmes.

Les Européens ont pris conscience du danger des médicaments contrefaits. Un fléau sanitaire et économique, le trafic de faux médicaments peut-être estimé à plusieurs milliards de dollars, la relative impunité des trafiquants ont aggravé ce phénomène.

On ne pourra que rappeler la belle formule que l’on doit au bonheur de plume de Sébastien Combeaud : il ne s’agit pas « d’instaurer une justice en Europe, mais de créer une justice pour l’Europe ».

L’harmonisation des législations représente aujourd’hui l’enjeu le plus important pour l’Europe. En effet, l’Union européenne, en la matière, repose sur la coexistence d’un double niveau normatif, les législations nationales et les normes européennes.

La justice est notre passion et nous essayons en ces quelques instants de vous la faire partager. Elle est aussi un sujet inépuisable. De plus, c’est l’épine dorsale de la société, sans justice, sans Etat de droit, la société serait une véritable anarchie.

Mais il faut dire que participer à l’œuvre de justice n’est pas une mission neutre ni banale. Elle suppose de hautes compétences et des qualités humaines essentielles au service du droit, de la défense de la société, de la protection des victimes et dans le respect de grands principes comme celui du contradictoire.

La tâche est donc lourde de responsabilité mais elle est passionnante, elle se heurte à des difficultés matérielles et quelquefois à un manque de reconnaissance, mais quel que soit notre niveau de responsabilité, nous partageons cette fibre qui nous incite à dépasser les contingences pour nous consacrer à la justice.

L’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle, il nous appartient d’assurer le respect de ce principe avec détermination et de rendre un hommage à nos magistrats qui font un excellent travail dans les tâches qui leurs sont dévolues.

La justice redevient un élément central de la régulation sociale, où le juge retrouve peu à peu la place qui est la sienne.

Notre justice et ses responsables semblent, en effet, avoir fait leur maxime de Tancredi, neveu du Prince de Salina dans Le Guépard « pour que tout reste comme avant, il faut que tout change ».

Permettez-moi de conclure et de laisser la parole à Albert Camus. Dans une conférence, il notait : « c’est parce que le monde est malheureux dans son essence que nous devons faire quelque chose pour le bonheur, c’est parce qu’il est injuste que nous devons œuvrer pour la justice, c’est parce qu’il est absurde enfin que nous devons lui donner ses raisons. Cela signifie qu’il faut être modeste dans ses pensées et son action, tenir sa place et bien faire son métier. »

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