Gérard
Abitbol, président de la délégation Supranationale Méditerranée Provence Côte
d’Azur, Corse, Liguria de l’UAE a organisé à Marseille, le 29 octobre dernier, cette soirée conviviale de débats
autour de la responsabilité médicale, placée sous la présidence de Jean-Raphaël
Fernandez, bâtonnier de l’Ordre des avocats au barreau de Marseille.
Professeurs, médecins, avocats, magistrats, une dizaine d’intervenants ont pris
la parole tour à tour. Focus sur les propos de Maître Abitbol et ceux de
Guylène Nicolas, Maître de conférences à la faculté de droit et de science
politique d’Aix-Marseille.
« Une certaine relativisation des distinctions
traditionnelles »
par Gérard Abitbol, président
de la Délégation Supranationale Méditerranée Provence Côte d’Azur, Corse,
Liguria de l’UAE
En Chine Impériale, la
justice procédait d’une morale fondée sur des principes d’équité, d’autorité
mais également de mansuétude. Sous les Ming et les Quing, nombreux étaient les
juristes également médecins, les deux professions ayant pour objet de « sauver des vies ». Le fonctionnaire
érudit et grand collectionneur de livres du 18e siècle Sun Xingyan avait
d’ailleurs regroupé les ouvrages médicaux et juridiques sous une même rubrique
dans sa bibliothèque.
Aléa thérapeutiques, vaccins
divers et variés, médicaments défectueux, prothèses dangereuses... nombreux
sont les exemples de faits générateurs de préjudices en matière médicale.
Certains ont même défrayé la chronique ces dernières années. On songe tout
particulièrement à l’affaire des prothèses PIP qui offrent des exemples de
dommages de masse. Sous l’influence de la multiplication des dommages subis par
les patients, le domaine de la responsabilité civile n’a eu de cesse de croître
tout au long des deux derniers siècles pour atteindre l’ampleur qu’on lui
connaît aujourd’hui, à tel point qu’on en est venu à se demander si la vie
elle-même pouvait être considérée comme un préjudice réparable (l’affaire
Perruche).
Responsabilité et indemnisation
Le temps est bien loin où les
plaideurs pouvaient soutenir, dans le cadre d’un pourvoi en cassation, que « le
médecin dans l’exercice de sa profession n’est soumis à aucune responsabilité
». Celle-ci ne peut être invoquée contre lui que si, oubliant qu’il est médecin
et se livrant aux passions, aux vices, aux imprudences de l’homme, il
occasionne, par un fait répréhensible, un préjudice réel au malade qui se
confie à ses soins. Mais cette évolution s’est accompagnée d’une transformation
de la notion même de responsabilité : la considération du dommage subi par les
victimes a pris le pas sur l’importance de la faute en tant que fait générateur
de responsabilité, d’où l’extraordinaire développement des mécanismes
d’assurance. Une étude concernant les Etats membres du Conseil de l’Europe, qui
a été présentée lors d’une conférence à Strasbourg en juin 2008, met d’ailleurs
en évidence la généralisation de l’augmentation des primes d’assurance en
Europe, tout particulièrement en France et en Allemagne.
L’évolution de la
responsabilité médicale fait également apparaître une certaine relativisation
des distinctions traditionnelles : distinction entre le droit privé et le droit
public d’une part, et distinction entre la responsabilité contractuelle et la
responsabilité extracontractuelle, d’autre part.
Le droit européen a
naturellement contribué au développement de ce phénomène, en imposant certaines
harmonisations. La responsabilité médicale et du fait des produits médicaux
défectueux représente une parfaite illustration de cette tendance : elle
transcende désormais certaines distinctions fondamentales et, ce faisant, elle
transforme la notion de responsabilité.
Mais, poussée à son
paroxysme, cette transcendance aboutit à la négation même de la notion de
responsabilité, supplantée par celle de solidarité, nationale aujourd’hui, et
peut-être européenne demain.
C’est à Beaumarchais,
dramaturge du XVIIIe siècle, que l’on doit la phrase célèbre : « la difficulté
de réussir ne fait qu’ajouter à la nécessité d’entreprendre ». Objectifs
ambitieux mais combien exaltants, sources de critiques d’autant plus vives
lorsque les choix se sont avérés justes et rigoureux.
La même prudence impose de
mesurer avec précision les charges que des dispositions législatives ou
réglementaires nouvelles peuvent constituer, comme le disait Marcel Achard : « parce qu’elle est chère, la justice, parce
que son temps est tellement limité et précieux, il faut désormais qu’on
l’économise ».
Le droit de la responsabilité
civile est partagé entre la faute et le préjudice, le lien de causalité servant
de « trait d’union » entre les deux.
Pour certains pays, le préjudice prend le pas sur le fait générateur de
responsabilité. Il en résulte un système d’indemnisation que l’on peut
qualifier d’administratif. Ainsi, dans la plupart des pays nordiques (Danemark,
Finlande, Suède), le système est fondé sur l’indifférence à l’égard de la
faute, et bien qu’il y existe une obligation d’assurance, la prise en charge,
en cas de contentieux, est assumée par un groupe d’assureurs considérant qu’un
assureur seul n’aura ni la capacité ni la solvabilité adéquates pour y faire
face.
Pour d’autres pays, comme la
France, un système mixte a été instauré par la loi du 4 mars 2002. Ce système
repose à la fois sur la notion de faute et sur celle d’aléa thérapeutique.
De plus, l’existence d’un
aléa thérapeutique peut donner lieu à la mise en œuvre de la solidarité
nationale.
La faute ressurgit avec plus
de force encore lorsque c’est la responsabilité pénale du médecin qui est envisagée.
À cet égard, en tendant à préciser la définition des délits non intentionnels,
on a considérablement modifié la définition de la faute pénale d’imprudence, et
donc des infractions de coups et blessures involontaires. Selon
l’article 121-3 du Code pénal, lorsqu’une personne physique a, par un acte
fautif, causé indirectement un dommage à la victime, sa responsabilité pénale
ne peut être engagée qu’en cas de « violation manifestement délibérée d’une
obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le
règlement » ou lorsqu’elle a commis une « faute caractérisée et qui exposait
autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer » (C.
pén., art. 121-3, al. 4).
La faute est également
présente lorsque la déontologie médicale conduit à sanctionner un médecin ayant
manqué aux devoirs de sa profession, l’ordre des médecins veille au maintien
des principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à
l’exercice de la médecine et à l’observation, par tous leurs membres, des
devoirs professionnels, ainsi que des règles édictées par le Code de
déontologie.
L’erreur médicale est
directement liée à l’exercice de l’art médical : erreur au niveau du
diagnostic, des choix thérapeutiques ou dans la réalisation de l’acte médical
lui-même.
Contentieux et droit
Nombreux sont les médecins,
s’exprimant aussi bien dans les médias généraux que spécialisés, à affirmer,
sous la forme d’une antienne, que leur exercice professionnel inclurait
désormais le risque de procès que leur intenteraient avec une grande facilité
des patients toujours plus exigeants. La médecine se « judiciariserait »,
c’est-à-dire qu’elle serait soumise à un mode d’évaluation de ses pratiques par
la justice. Ce néologisme récent ne désigne pas seulement le fait que des
litiges seraient réglés devant les tribunaux, ce qui constitue leur mission
légitime, mais qu’il s’agirait d’un mode de régulation de questions sociales
par la voie juridictionnelle.
La jurisprudence du Conseil
d’État, tout comme celle de la Cour de cassation, relative au contentieux de la
responsabilité médicale est toujours aussi abondante et dessine les contours du
droit de la responsabilité médicale. Au-delà de ce droit commun, il conviendra
également de faire le point sur des contentieux encore plus spécifiques :
transfusion, produits de santé, médicaments.
Toutefois, face au
développement des aléas thérapeutiques, le législateur français ne pouvait
multiplier les régimes spéciaux d’indemnisation. C’est la raison pour laquelle,
de manière plus générale, la loi a renforcé le rôle de la solidarité nationale
: « Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service
ou organisme, d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident
médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la
réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit
au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à
des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le
patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de
l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité ». Le
médecin a une obligation de moyen et non de résultat. Rien n’a été modifié en
termes de responsabilités, c’est le droit commun qui continue de s’appliquer,
peu importe la manière dont se déroule la consultation.
Cependant, quoi de plus
désespérant que d’assister aux querelles entre les médecins hospitaliers
publics et leurs confrères libéraux. Crudivorisme, pratiques holistiques des
croyances, des abus et des dérives. La crise sanitaire a favorisé l’essor des
médecines alternatives. Les méthodes abondent la médecine traditionnelle, mais
ne doit-elle pas tirer des leçons de cet attrait pour ces médecines parallèles
?
Une indispensable et urgente
remise en question devrait inciter à dessiner le profil du nouveau médecin du
XXIe siècle. Mais pour ce faire, il faudra quitter les vieux oripeaux de «
Gaulois réfractaires » et accepter des solutions.
Il faut rendre un hommage
particulier à l’action des pouvoirs publics et notamment du Parlement. Pendant
cette crise sanitaire, des pans entiers de notre Législation de Santé ont été
adaptés afin de faire face à cette situation exceptionnelle. Il en est de même
de l’action de nos juridictions suprêmes.
Les Européens ont pris
conscience du danger des médicaments contrefaits. Un fléau sanitaire et
économique, le trafic de faux médicaments peut-être estimé à plusieurs
milliards de dollars, la relative impunité des trafiquants ont aggravé ce
phénomène.
On ne pourra que rappeler la
belle formule que l’on doit au bonheur de plume de Sébastien Combeaud : il ne
s’agit pas « d’instaurer une justice en
Europe, mais de créer une justice pour l’Europe ».
L’harmonisation des
législations représente aujourd’hui l’enjeu le plus important pour l’Europe. En
effet, l’Union européenne, en la matière, repose sur la coexistence d’un double
niveau normatif, les législations nationales et les normes européennes.
La justice est notre passion et nous essayons
en ces quelques instants de vous la faire partager. Elle est aussi un sujet
inépuisable. De plus, c’est l’épine dorsale de la société, sans justice, sans
Etat de droit, la société serait une véritable anarchie.
Mais il faut dire que
participer à l’œuvre de justice n’est pas une mission neutre ni banale. Elle
suppose de hautes compétences et des qualités humaines essentielles au service
du droit, de la défense de la société, de la protection des victimes et dans le
respect de grands principes comme celui du contradictoire.
La tâche est donc lourde de
responsabilité mais elle est passionnante, elle se heurte à des difficultés
matérielles et quelquefois à un manque de reconnaissance, mais quel que soit
notre niveau de responsabilité, nous partageons cette fibre qui nous incite à
dépasser les contingences pour nous consacrer à la justice.
L’autorité judiciaire est
gardienne de la liberté individuelle, il nous appartient d’assurer le respect
de ce principe avec détermination et de rendre un hommage à nos magistrats qui
font un excellent travail dans les tâches qui leurs sont dévolues.
La justice redevient un
élément central de la régulation sociale, où le juge retrouve peu à peu la
place qui est la sienne.
Notre justice et ses
responsables semblent, en effet, avoir fait leur maxime de Tancredi, neveu du
Prince de Salina dans Le Guépard « pour que tout reste comme avant, il faut que
tout change ».
Permettez-moi de conclure et
de laisser la parole à Albert Camus. Dans une conférence, il notait : « c’est parce que le monde est malheureux dans
son essence que nous devons faire quelque chose pour le bonheur, c’est parce
qu’il est injuste que nous devons œuvrer pour la justice, c’est parce qu’il est
absurde enfin que nous devons lui donner ses raisons. Cela signifie qu’il faut
être modeste dans ses pensées et son action, tenir sa place et bien faire son
métier. »