DROIT

L’acharnement meurtrier dans le vocabulaire juridique : une nouvelle notion pour qualifier « plus qu’un meurtre de droit commun »

L’acharnement meurtrier dans le vocabulaire juridique : une nouvelle notion pour qualifier « plus qu’un meurtre de droit commun »
Publié le 12/06/2024 à 15:49

Ce concept, publié au Journal Officiel en mai dernier, et qui décrit un déchaînement de violences dont fait preuve un meurtrier, vient s’ajouter à une série de termes prenant en compte les spécificités des féminicides. Il pourrait bien s’avérer « un nouvel outil de réflexion précieux » pour les magistrats, augure la première présidente de la cour d’appel de Poitiers, Gwenola Joly-Coz.

L’adoption de la directive européenne sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes avait franchi un cap symbolique, le 14 mai dernier, en consacrant pour la première fois dans un texte législatif la notion de « contrôle coercitif », ce schéma comportemental pouvant accompagner la violence domestique. 

Un jour après, hasard du calendrier, c’est l’expression d’ « acharnement meurtrier » qui a fait officiellement son entrée dans le lexique juridique français, par l’intermédiaire de la commission d'enrichissement de la langue française, et sur proposition du collège d’experts « Droit et justice ».

Parmi la huitième liste relative au vocabulaire du droit publiée au Journal officiel du 15 mai, à côté des notions de « suicide par police interposée » ou encore de « traçologie », se trouve donc ce concept inédit, traduction française du terme anglo-saxon « overkill » et défini désormais comme un « déchaînement de violences dont fait preuve un meurtrier à l’égard de sa victime », mode opératoire notamment observé dans un grand nombre de féminicides.

« Les termes doivent coller à la réalité »

« Il était urgent qu’on établisse une telle formulation », réagit l’avocate Claude Dumont Beghi, pour qui cette reconnaissance démontre une « prise de conscience de la gravité de certains actes ». « On le constate depuis plusieurs années : des hommes commettent des actes barbares sur leurs compagnes, pointe-t-elle. Or, en droit, il y a la notion de proportionnalité. L’acharnement meurtrier est une réalité objective, les termes que l’on emploie en droit doivent coller à cette réalité. »

Mais si l’appellation est désormais entérinée, elle n’a pas attendu son intronisation pour être utilisée par une poignée de praticiens, Gwenola Joly-Coz en tête, première magistrate à y avoir recouru, sous le vocable de « sur-meurtre », traduction littérale d’overkill. Son intention : « Qualifier le meurtre de femme comme étant plus qu’un meurtre de droit commun », nous affirme-t-elle.

Dans son livre Elle l’a bien cherché paru fin 2023, la Première présidente écrit en effet que le surmeurtre « désigne la sur-violence de l’homme meurtrier qui ne cherche pas qu’à tuer mais à détruire le corps de la victime ». Au JSS, Gwenola Joly-Coz précise qu’elle n’a découvert le concept que très récemment, « grâce à des travaux sur la base de l’étude des cadavres des femmes féminicidées de la cour d’appel de Poitiers ». 

Des caractéristiques récurrentes, comme la diversité des modes opératoires

Pour l’auteure de ces travaux, la médecin légiste et psychiatre Alexia Delbreil, « difficile à dire » toutefois si le phénomène de l’acharnement meurtrier, lui, est nouveau. Bien que constaté par des psychiatres dès le XXe siècle et mis en évidence dans une étude américaine de 1996 portant sur les victimes homosexuelles d’homicides, il ne fait l’objet en France d’aucune étude, et peu de données précèdent les années 2000. Ses propres dossiers, les plus vieux, remontent jusqu’en 1999 seulement.

En revanche, les homicides au sein du couple que la médecin légiste a eu à traiter apportent un certain nombre d’enseignements. Alexia Delbreil tire de ses observations un constat : l’acharnement meurtrier est « très majoritairement une caractéristique masculine ». Une observation qu’elle nuance néanmoins : les femmes auteures étant beaucoup moins nombreuses, cela biaise les statistiques. « Pour l’instant en tout cas, je n’ai pas observé ce comportement chez elles », ajoute-t-elle. En revanche, 40 % des passages à l’acte masculins montrent un acharnement sur la compagne ou l’ex-compagne. 

Par ailleurs, les constats médico-légaux font apparaître des caractéristiques récurrentes. Il peut s’agir d’une multiplicité des coups, nous explique Alexia Delbreil. Dans cette hypothèse, l’acharnement se traduit par « plus de coups que nécessaires pour donner la mort », comme une série de coups de feu ou de coups de couteau, ou bien un passage à tabac à mains nues.

A l’inverse, l’autre spécificité réside dans la diversité des modes opératoires, a pu observer la médecin légiste. Par exemple, des violences qui débutent avec un coup porté sur la tête avec un objet contondant, suivi de coups à mains nues quand la victime est au sol, puis d’une strangulation avec un fil électrique, avant que l’auteur ne place un sac plastique sur la tête de la victime. « A chaque fois, il y a un enchaînement dont l'objectif est d’être certain que plus un seul souffle ne sorte de la victime », résume Alexia Delbreil.

A l’origine de l’acharnement, une « décharge pulsionnelle »

Quant aux mécanismes qui amènent un individu à se livrer à un tel acharnement, « pour l’instant, on en est aux balbutiements, ce n’est pas forcément questionné dans les expertises psychiatriques », admet la médecin légiste et psychiatre. 

Mais d’après son expérience, si les auteurs reconnaissent généralement avoir donné des coups et entraîné la mort de la victime, « il y a très souvent une inadéquation entre le nombre de coups de couteau constatés et ce que disent les auteurs. Ils se souviennent en avoir donné 2 ou 3, quand il y en a eu en réalité 35 ou 40. Et pour ça, ils n’ont pas d’explication. »

Alexia Delbreil décrit des passages à l’acte « uniques et courts », non prémédités pour la plupart. « Quand les coups commencent, il y a une espèce de décharge pulsionnelle. L’auteur se trouve dans un état psychique où le passage à l’acte criminel est une manière de se décharger. Les coups ne s’arrêtent que lorsqu’il est en capacité de réagir par rapport à ce qu’il est en train de faire », rapporte-t-elle.

Si elle parle volontiers d’acharnement meurtrier, et « peut être amenée à utiliser ce terme aux assises », Alexia Delbreil se refuse toutefois à utiliser cette terminologie dans ses rapports médico-légaux, estimant qu’il n’est pas du ressort du médecin légiste de « faire des hypothèses » à ce stade-là. Elle se limite ainsi à décrire précisément le nombre de coups portés, et à expliquer que ceux-ci sont situés sur une zone anatomique qui correspond à des organes vitaux : « On doit laisser le magistrat faire ses déductions à partir de nos constats, pour qu’il choisisse la manière dont il va définir l’infraction au départ. »

Un enjeu de formation

Aux magistrats, donc, de s’emparer de l’acharnement meurtrier, « un nouvel outil de réflexion précieux pour réfléchir à la façon dont les femmes sont tuées », abonde Gwenola Joly-Coz. De l’avis de la Première présidente de la cour d’appel de Poitiers, cet outil doit aider la profession à analyser un cadavre, « pour mieux comprendre ce qu’il s’est passé ». 

La magistrate augure que son utilisation pourra également permettre une plus juste appréciation de la peine et du risque de récidive, mais aussi, en amont, d’avoir « des indices immédiats » dans le cadre d’une enquête, puisqu’un corps retrouvé porteur de signes d’acharnement meurtrier peut orienter les enquêteurs vers la piste d’un meurtre conjugal.

« Si l’on dit au procureur que l’on a découvert un cadavre de femme dans la forêt, que cette femme est à moitié calcinée, et qu’elle présente une multiplicité de coups de couteau, il y aura un grand nombre de chances pour que ce soit le fait du compagnon ou de l’ex compagnon. » Une description qui n’est pas sans rappeler l’affaire Jonathan Daval, condamné en 2020 à 25 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de sa femme.

Pour Gwenola Joly-Coz, il y a là un véritable « enjeu de formation » des magistrats, pour que ses pairs se saisissent de la notion. Une notion qui figurait d’ailleurs, dès février 2024, sous la dénomination de « surmeurtre », dans le livret de formation continue autour des violences faites aux femmes, destiné à l’Ecole nationale de la magistrature et rédigé par la Première présidente ainsi que son « binôme » de dyarchie judiciaire, le procureur général Éric Corbaux.

« Ce dynamisme notionnel est une chance pour les magistrats ! »

« Nous pensons qu’il faut désormais adosser nos pratiques aux concepts qui ont émergé ces dernières années pour nous aider à transformer la casuistique en systémique », y écrivent les deux magistrats. Car l’entrée de l’acharnement meurtrier au Journal Officiel s’inscrit dans un « véritable mouvement qui vient prendre en compte, depuis que l’on compte les féminicides, les spécificités de l'homicide au sein du couple », confirme Alexia Delbreil, à l’instar de la notion d’emprise, ou encore, dernièrement, de contrôle coercitif. 

« Ce dynamisme notionnel extraordinaire est une chance pour les magistrats ! se réjouit Gwenola Joly-Coz. Il n’y a jamais eu autant de notions créées en 10 ans sur un champ d’investigation ! Cela montre à quel point la conversation mondiale autour du sujet des violences faites aux femmes nous amène à avoir besoin de nouveaux termes, de nouvelles façons d’analyser ». 

La Première présidente de la cour d’appel de Poitiers le martèle, la profession a besoin de concepts « pour penser les violences faites aux femmes ». Celle qui a toujours un train d’avance en la matière est déjà en train de plancher sur un nouveau chantier sémantique : celui de l’ITT. Elle en est persuadée, l’incapacité totale de travail, quand elle concerne une victime de violences conjugales, « n’est absolument pas le bon terme pour parler des conséquences de ces violences, et cela doit changer ».

Bérengère Margaritelli

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