DROIT

L’évaluation des étudiants en droit et en science politique, un outil à repenser ?

L’évaluation des étudiants en droit et en science politique, un outil à repenser ?
Publié le 16/06/2025 à 08:21

Rarement remise en question, l’évaluation des étudiants dans les universités françaises occupe une place importante dans le cursus de ces derniers et dans la réflexion pédagogique des équipes enseignantes. Plusieurs professeurs et doyens en fac de droit et science politique ont échangé autour de l’utilité et de la finalité de ces évaluations, à l’occasion d’un colloque qui s’est tenu en juin à l’Institut de France, et proposé de nouveaux outils.

En 2023-2024, sur les 1 604 200 inscrits à l’université, 218 300 étaient des étudiants en droit. Sur cette année scolaire, toutes les disciplines ont connu une baisse d’effectifs, sauf… les filières de droit et de STAPS. La cote de popularité de la voie juridique, souvent considérée comme « menant à tout », ne faiblit donc pas. Chaque année, ces étudiants se prêtent au jeu des partiels : les diplômes nationaux ne peuvent être délivrés par les établissements qu'au vu des résultats du contrôle des connaissances et des aptitudes appréciés soit par un contrôle continu et régulier, soit par un examen terminal, soit par ces deux modes de contrôle combinés.

C’est justement pour nourrir une réflexion autour de la question de l’évaluation, rarement remise en question, qu’un colloque était organisé ce mois de juin par la fondation pour l’enseignement et la recherche en droit et science politique « Ius & Politia ». Réunis à l’Institut de France, plusieurs professeurs et doyens de différentes facultés ont échangé autour de l’usage et des finalités de ces évaluations.

Sélection et élection

Il ne faut pas attendre la fin du premier semestre pour être confronté à la première évaluation. Elle prend bien souvent place pendant la sélection qui permet aux étudiants d’arriver dans leur cursus. Romuald Bodin, professeur de sociologie à l’université de Nantes, a étudié le profil des étudiants en droit et en économie et le lien entre sélection et évaluation dans sa faculté depuis la mise en place de Parcoursup en 2019-2020. A Nantes, une sélection a été mise en place pour la filière économique et pas pour la filière droit. « En droit et en économie, on continue de trouver une majorité d'étudiants d'origine favorisée et de bacheliers généraux. Et la sélection ne semble rien changer à ce type de profil », explique le sociologue.

La sélection appliquée en économie a eu des effets contre-intuitifs : « En théorie, si vous sélectionnez des étudiants, ils ont un sentiment d'élection. Or, ce qu'on a observé sur le terrain, ce sont des étudiants en droit qui avaient le sentiment d'élection, et des étudiants en économie qui avaient le sentiment de ne pas être bienvenus dans la filière économique », raconte Romuald Bodin. Pour le chercheur, ce constat s’explique tout d’abord par le fait qu’avec les sélections, de nombreux étudiants arrivent dans la filière économie après avoir été placés sur liste d’attente, et avec le sentiment d’avoir été choisis car quelqu’un d’autre avait décliné avant eux.

Etudiants en droit, étudiants en économie : des différences de traitement

Le sociologue avance une autre explication qui tient aux manières de faire dans ces deux disciplines. Les jeunes juristes « vivent leur première année à l'université comme une sorte de rupture avec ce qu'ils ont vécu dans le passé, et donc aussi comme une ouverture vers un monde complètement nouveau », indique-t-il. « La manière dont les juristes traitent les étudiants, en faisant d’eux des adultes responsables et dignes de considération, rapproche très fortement les étudiants, quelles que soient leurs origines sociales », explique Romuald Bodin qui a observé l’effet inverse dans la filière économique.

En revanche, dans la filière droit, le sociologue note qu’« après les évaluations, il y a une montée d'inquiétude, qui n'est pas régulée par les résultats qui viendraient immédiatement » - car ils arrivent une fois le second semestre déjà bien entamé. Le sociologue note l’absence ou la faible proportion de contrôle continu qui donne lieu à une forme de panique.

« Les étudiants les plus fragiles ont parfois le sentiment que les choses vont mal se passer ou se repasser de la même manière que quand ils étaient dans le secondaire. C'est une période où il y a beaucoup de décrochage, en tout cas de réorientation ou de décision de réorientation. A l'inverse en économie, on va avoir, au second semestre, une bien plus forte régulation de ces angoisses. »

Bachotage et (dé)motivation

« L'évaluation n'est pas simplement une formalité administrative, mais un véritable instrument de pilotage », défend Jean-Christophe Saint Pau, professeur de droit privé et de sciences criminelles à l’Université de Bordeaux. Non sans avoir souligné les nombreux bienfaits des évaluations autant pour les étudiants que pour les enseignants, il souligne un point de difficulté qui a trait à la notation.

« Evaluer par une note fait que les étudiants se concentrent sur cette dernière, sur le fait d'avoir la moyenne, ou d'avoir la mention, ou d'être meilleur que les autres étudiants. Donc c'est une concentration à court terme, qui ne permet pas nécessairement à l’étudiant de s'inscrire dans une démarche à moyen et à long terme, qui consisterait à profiter au maximum de ces apprentissages », explique celui qui est aussi président de la Conférences des doyens des facultés de droit et de science politique.

D'autre part, l'outil d'évaluation ou l'exercice proposé conditionnent également la façon dont les étudiants vont se préparer. Le questionnaire à choix multiples (QCM) est par exemple particulièrement propice au bachotage des annales plutôt qu’à un apprentissage du cours en profondeur.

« A l’inverse », poursuit Jean-Christophe Saint Pau, « avec la dissertation juridique, le cas pratique, ou le commentaire de décision, non seulement les étudiants vont mémoriser leur cours, mais ils vont quand même essayer de s'entraîner sur des exercices déjà corrigés, voire utiliser des manuels que nous proposons, et donc s'entraîner à l'exercice avec une capacité éducative qui paraît plus intéressante. »

L'évaluation joue aussi sur la motivation des étudiants : elle peut être un levier positif lorsque les objectifs fixés dans le cours et l'évaluation proposée sont en cohérence. A l’inverse, si l'évaluation conduit à un taux d'échec très important ou n'est pas alignée par rapport à l'enseignement, l’exercice peut être démoralisant, voire démotivant pour les étudiants. 

Au-delà des oraux et des exercices classiques que sont la dissertation, le commentaire de décision et le cas pratique, les mémoires de recherche, les exposés-discussion et la rédaction d’actes sont des innovations intéressantes. Dispositif encore « embryonnaire », celui d’un portfolio de travaux dirigés, composé par l’étudiant avec des exercices, commentaires d'arrêt et fiches de travail, réalisés tout au long de l’année, sans qu’ils n’aient forcément été notés. 

Présenté à l’enseignant par l’étudiant à la fin de l’année, cet outil permettrait d’estimer si l’étudiant a bien travaillé, sur la durée. « D'ailleurs, on pourrait ne pas forcément le noter, mais simplement valider les ECTS, avance Jean-Christophe Saint Pau. Il y a des portfolios réflexifs de stages, des portfolios numériques de compétences, des portfolios pour les séminaires de recherche… »

« Au moins un tiers de l’année » en examen

La plupart des préoccupations autour de l’évaluation des étudiants en science politique sont similaires à celles de l’évaluation des jeunes juristes, selon Jean-Gabriel Contamin, professeur de science politique à l’université de Lille, sociologue et doyen honoraire de la faculté de droit et de science politique. Pour lui, le premier problème est le fait qu’une partie importante du calendrier est en lien avec les sessions d'examen, au détriment des sessions de formation. « La semaine de révision s’ajoute aux semaines d'examen, au moment des corrections, et d'attente des délibérations. Tout ça se traduit par le fait qu'au moins un tiers de l’année est passée en examen ou proto-examen, par rapport aux semaines de formation », détaille-t-il aussi.

Cette organisation est également pénalisante pour les enseignants, qui consacrent un temps très important à effectuer des corrections, au détriment de l'enseignement et de la recherche. Les formes d’évaluation et notamment la très française dissertation pourraient également gagner à être remises en question. « Les dissertations, je ne sais pas si c'est absolument indispensable, il y a plein de pays qui n'en font pas, souligne Jean-Gabriel Contamin. Et pourtant, ils font des juristes et des politistes. »

 « Je préviens, je vais en choquer certains sur la place ou l'importance de l'évaluation dans les formations », poursuit Jean-Gabriel Contamin pour introduire son propos sur un courant politique et sociologique qui remet en cause le principe même de l’évaluation. L’un des fondements de ce mouvement est « l'analyse bourdieusienne du système d'éducation qui remet en cause la vulgate méritocratique républicaine et voit dans les notes une forme d'attestation institutionnelle des inégalités sociales », explique le sociologue du droit. Selon cette idée, la note est davantage le reflet du capital culturel hérité par l’étudiant que de son mérite.

Pour le doyen honoraire, la mission des enseignants est de mettre à disposition des étudiants un ensemble de connaissances et non de les mettre en compétition entre eux par le biais de l’évaluation. L’évaluation dans les universités témoigne d’un paradoxe de taille : celui « de vouloir évaluer les étudiants en refusant d'être nous-mêmes évalués, précisément parce que ce serait une entrave à notre production et à notre liberté académique ».

Marion Durand


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