Rarement remise en question,
l’évaluation des étudiants dans les universités françaises occupe une place
importante dans le cursus de ces derniers et dans la réflexion pédagogique des
équipes enseignantes. Plusieurs professeurs et doyens en fac de droit et
science politique ont échangé autour de l’utilité et de la finalité de ces évaluations,
à l’occasion d’un colloque qui s’est tenu en juin à l’Institut de France, et proposé
de nouveaux outils.
En 2023-2024, sur les 1 604
200 inscrits à l’université, 218 300 étaient des étudiants en droit. Sur cette
année scolaire, toutes les disciplines ont connu une baisse d’effectifs, sauf… les
filières de droit et de STAPS. La cote de popularité de la voie juridique, souvent
considérée comme « menant à tout », ne faiblit donc pas. Chaque
année, ces étudiants se prêtent au jeu des partiels : les diplômes nationaux ne peuvent être
délivrés par les établissements qu'au vu des résultats du contrôle des
connaissances et des aptitudes appréciés soit par un contrôle continu et
régulier, soit par un examen terminal, soit par ces deux modes de contrôle
combinés.
C’est justement pour nourrir
une réflexion autour de la question de l’évaluation, rarement remise en
question, qu’un colloque était organisé ce mois de juin par la fondation pour
l’enseignement et la recherche en droit et science politique « Ius &
Politia ». Réunis à l’Institut de France, plusieurs professeurs et doyens
de différentes facultés ont échangé autour de l’usage et des finalités de ces
évaluations.
Sélection et élection
Il ne faut pas attendre la
fin du premier semestre pour être confronté à la première évaluation. Elle
prend bien souvent place pendant la sélection qui permet aux étudiants
d’arriver dans leur cursus. Romuald Bodin, professeur de sociologie à l’université
de Nantes, a étudié le profil des étudiants en droit et en économie et le lien
entre sélection et évaluation dans sa faculté depuis la mise en place de
Parcoursup en 2019-2020. A Nantes, une sélection a été mise en place pour la
filière économique et pas pour la filière droit. « En droit et en économie, on continue de
trouver une majorité d'étudiants d'origine favorisée et de bacheliers généraux.
Et la sélection ne semble rien changer à ce type de profil », explique le sociologue.
La
sélection appliquée en économie a eu des effets contre-intuitifs : « En
théorie, si vous sélectionnez des étudiants, ils ont un sentiment d'élection.
Or, ce qu'on a observé sur le terrain, ce sont des étudiants en droit qui
avaient le sentiment d'élection, et des étudiants en économie qui avaient le
sentiment de ne pas être bienvenus dans la filière économique », raconte
Romuald Bodin. Pour le chercheur, ce constat s’explique tout d’abord par le
fait qu’avec les sélections, de nombreux étudiants arrivent dans la filière
économie après avoir été placés sur liste d’attente, et avec le sentiment
d’avoir été choisis car quelqu’un d’autre avait décliné avant eux.
Etudiants
en droit, étudiants en économie : des différences de traitement
Le
sociologue avance une autre explication qui tient aux manières de faire
dans ces deux disciplines. Les jeunes juristes « vivent
leur première année à l'université comme une sorte de rupture avec ce qu'ils
ont vécu dans le passé, et donc aussi comme une ouverture vers un monde
complètement nouveau », indique-t-il. « La manière dont
les juristes traitent les étudiants, en faisant d’eux des adultes responsables
et dignes de considération, rapproche très fortement les étudiants, quelles que
soient leurs origines sociales », explique Romuald Bodin qui a
observé l’effet inverse dans la filière économique.
En
revanche, dans la filière droit, le sociologue note qu’« après les
évaluations, il y a une montée d'inquiétude, qui n'est pas régulée par les
résultats qui viendraient immédiatement » - car ils arrivent
une fois le second semestre déjà bien entamé. Le sociologue note l’absence ou
la faible proportion de contrôle continu qui donne lieu à une forme de panique.
« Les
étudiants les plus fragiles ont parfois le sentiment que les choses vont mal se
passer ou se repasser de la même manière que quand ils étaient dans le
secondaire. C'est une période où il y a beaucoup de décrochage, en tout cas de
réorientation ou de décision de réorientation. A l'inverse en économie, on va
avoir, au second semestre, une bien plus forte régulation de ces angoisses. »
Bachotage
et (dé)motivation
« L'évaluation
n'est pas simplement une formalité administrative, mais un véritable instrument
de pilotage », défend Jean-Christophe Saint Pau, professeur de
droit privé et de sciences criminelles à l’Université de Bordeaux. Non sans avoir souligné les nombreux
bienfaits des évaluations autant pour les étudiants que pour les
enseignants, il souligne un point de difficulté qui a trait à la notation.
« Evaluer
par une note fait que les étudiants se concentrent sur cette dernière, sur le
fait d'avoir la moyenne, ou d'avoir la mention, ou d'être meilleur que les
autres étudiants. Donc c'est une concentration à court terme, qui ne permet pas
nécessairement à l’étudiant de s'inscrire dans une démarche à moyen et à long
terme, qui consisterait à profiter au maximum de ces apprentissages »,
explique celui qui est aussi président de la Conférences des doyens
des facultés de droit et de science politique.
D'autre
part, l'outil d'évaluation ou l'exercice proposé conditionnent également la
façon dont les étudiants vont se préparer. Le questionnaire à choix multiples (QCM)
est par exemple particulièrement propice au bachotage des annales plutôt qu’à
un apprentissage du cours en profondeur.
« A
l’inverse », poursuit Jean-Christophe Saint Pau, « avec la dissertation juridique, le cas
pratique, ou le commentaire de décision, non seulement les étudiants vont
mémoriser leur cours, mais ils vont quand même essayer de s'entraîner sur des
exercices déjà corrigés, voire utiliser des manuels que nous proposons, et donc
s'entraîner à l'exercice avec une capacité éducative qui paraît plus
intéressante. »
L'évaluation
joue aussi sur la motivation des étudiants : elle peut être un levier
positif lorsque les objectifs fixés dans le cours et l'évaluation proposée sont
en cohérence. A l’inverse, si l'évaluation conduit à un taux d'échec très
important ou n'est pas alignée par rapport à l'enseignement, l’exercice peut
être démoralisant, voire démotivant pour les étudiants.
Au-delà
des oraux et des exercices classiques que sont la dissertation, le commentaire
de décision et le cas pratique, les mémoires de recherche, les exposés-discussion
et la rédaction d’actes sont des innovations intéressantes. Dispositif encore « embryonnaire »,
celui d’un portfolio de travaux dirigés, composé par l’étudiant avec des
exercices, commentaires d'arrêt et fiches de travail, réalisés tout au long de
l’année, sans qu’ils n’aient forcément été notés.
Présenté à l’enseignant par
l’étudiant à la fin de l’année, cet outil permettrait d’estimer si l’étudiant a
bien travaillé, sur la durée. « D'ailleurs, on pourrait ne pas
forcément le noter, mais simplement valider les ECTS, avance
Jean-Christophe Saint Pau. Il y a des portfolios réflexifs de stages, des
portfolios numériques de compétences, des portfolios pour les séminaires de
recherche… »
« Au
moins un tiers de l’année » en examen
La
plupart des préoccupations autour de l’évaluation des étudiants en science
politique sont similaires à celles de l’évaluation des jeunes juristes, selon Jean-Gabriel
Contamin, professeur de science politique à l’université de Lille, sociologue et
doyen honoraire de la faculté de droit et de science politique. Pour lui,
le premier problème est le fait qu’une
partie importante du calendrier est en lien avec les sessions d'examen, au
détriment des sessions de formation. « La semaine de révision s’ajoute
aux semaines d'examen, au moment des corrections, et d'attente des
délibérations. Tout ça se traduit par le fait qu'au moins un tiers de l’année est
passée en examen ou proto-examen, par rapport aux semaines de formation »,
détaille-t-il aussi.
Cette organisation est également
pénalisante pour les enseignants, qui
consacrent un temps très important à effectuer des corrections, au détriment de
l'enseignement et de la recherche. Les formes d’évaluation et
notamment la très française dissertation pourraient également gagner à être
remises en question. « Les
dissertations, je ne sais pas si c'est absolument indispensable, il y a plein
de pays qui n'en font pas, souligne
Jean-Gabriel Contamin. Et pourtant, ils font des juristes et des
politistes. »
« Je préviens, je vais en choquer
certains sur la place ou l'importance de l'évaluation dans les formations »,
poursuit Jean-Gabriel Contamin pour introduire son propos sur un courant
politique et sociologique qui remet en cause le principe même de l’évaluation.
L’un des fondements de ce mouvement est « l'analyse bourdieusienne du système
d'éducation qui remet en cause la vulgate méritocratique républicaine et voit
dans les notes une forme d'attestation institutionnelle des inégalités
sociales », explique
le sociologue du droit. Selon cette idée, la note est davantage le reflet du capital
culturel hérité par l’étudiant que de son mérite.
Pour
le doyen honoraire, la mission des enseignants est de mettre à disposition des
étudiants un ensemble de connaissances et non de les mettre en compétition
entre eux par le biais de l’évaluation. L’évaluation dans les universités
témoigne d’un paradoxe de taille : celui « de vouloir évaluer les
étudiants en refusant d'être nous-mêmes évalués, précisément parce que ce
serait une entrave à notre production et à notre liberté académique ».
Marion Durand