Le confinement décrété en mars
2020 a contraint
les employeurs à demander à leurs salariés, pour ceux qui n’étaient pas placés
en activité partielle « totale », à travailler de chez eux.
De fait, le télétravail s’est
imposé tant à l’employeur qu’au salarié, qui est devenu un télétravailleur.
En quelques jours, il a fallu
organiser ce travail à distance : sur quel matériel (principalement les
ordinateurs) le salarié allait-il travailler ? Le sien ou celui fourni par
l’entreprise ? Comment apporter ce matériel ou toute autre documentation chez
le salarié ? Comment préserver la confidentialité ? à quels horaires le salarié serait-il soumis, quand et
comment serait-il joignable ?…
Les entreprises qui avaient déjà
expérimenté le télétravail occasionnel (en raison des grèves de transports de
décembre 2019 par exemple) ou habituel (signature d’un accord collectif mettant
en place le télétravail) ont été moins prises au dépourvu.
Pour autant, la durée du
confinement, les mesures de précaution prises par les employeurs, qui ne
souhaitaient pas prendre le risque de demander à leurs salariés de reprendre
les transports dès le mois de mai 2020, les reconfinements d’octobre 2020 et mars
2021, les préconisations puis les injonctions du ministère du Travail selon
lesquelles « le télétravail est la règle » ont eu pour
conséquence de prolonger le télétravail, certains salariés n’étant, encore à ce
jour, pas retournés sur leur lieu de travail depuis mars 2020.
Et ce télétravail qui perdure, et
qui perdurera encore peut-être, même après la crise, a suscité constats,
questionnements et débuts de réponses.
Si l’on exclut le problème de
l’isolement du salarié et de ses conséquences, il faut bien admettre que
celui-ci a été obligé d’aménager à son domicile un espace de travail – pour y
installer le matériel et éventuellement participer à des visioconférences – ou
à tout le moins d’occuper ne serait-ce que quelques heures par jour un espace
de son domicile pour y travailler (salon, cuisine, chambre…).
La question de l’indemnité
d’occupation a alors fait son grand retour.
L’occupation
du domicile à des fins professionnelles : une question qui n’est pas
nouvelle
La Cour de cassation, aux termes
d’un arrêt du 25 février 1998, a posé un
principe :
"les frais qu’un salarié justifie avoir
exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de
l’employeur doivent lui être remboursés sans qu’ils ne puissent être imputés
sur la rémunération qui lui est due, à moins qu’il n’ait été contractuellement
prévu qu’il en conserverait la charge moyennant le versement d’une somme fixée
à l’avance de manière forfaitaire et à la condition que la rémunération
proprement dite du travail reste au moins égale au SMIC".
Aux termes
d’un arrêt du 8 juillet 2010 (n° 08-45287) la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir
alloué une indemnité d’occupation à un salarié délégué commercial au motif que "l’occupation, à la demande de l’employeur, du domicile du salarié à des
fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci et
n’entre pas dans l’économie générale du contrat de travail ; que si le
salarié, qui n’est tenu ni d’accepter de travailler à son domicile, ni d’y
installer ses dossiers et ses instruments de travail, accède à la demande de
son employeur, ce dernier doit l’indemniser de cette sujétion particulière
ainsi que des frais engendrés par l’occupation à titre professionnel du
domicile".
La Cour de cassation a confirmé
l’obligation de l’employeur de verser une indemnité d’occupation en l’absence
de local professionnel et l’a étendu à l’hypothèse dans laquelle l’occupation du
domicile n’a pas été expressément demandée par l’employeur mais résulte de
l’absence de mise à disposition effective d’un local professionnel (Cass. soc.
12 décembre
2012 n° 11-20.502).
A contrario, dès lors
que l’employeur met à disposition du salarié un local professionnel, le choix
du salarié d’occuper partiellement son domicile à des fins professionnelles
n’ouvre pas droit à l’indemnité d’occupation (Cass. soc. 4 décembre
2013 n° 12-19.667).
Récemment, la Cour de cassation a
précisé les éléments à prendre en compte pour déterminer le montant de
l’indemnité d’occupation :
• le critère
du temps passé à travailler à domicile est inopérant (Cass. soc. 10 mars 2021 n° 19-16.237 et 8 novembre
2017 n° 16-18.499) ;
• le critère
de l’importance de la sujétion imposée au salarié est déterminant : nature
des tâches, contraintes de stockage (Cass. soc. 10 mars 2021 n° 19-16.237).
Le quantum de l’indemnité relève du pouvoir souverain des juges (en
l’espèce 91 euros par mois).
L’indemnité
d’occupation dans le cadre du télétravail
Le télétravail désigne toute
forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également
pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors
de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de
l’information et de la communication.
La législation relative au
télétravail a été modifiée par une ordonnance du 22 septembre
2017 (n° 2017-1387)
qui avait pour but de simplifier le recours au télétravail en vue de son
développement.
Parmi les changements intervenus,
l’alinéa 1 de l’article L.1222-10 du Code du
travail a été supprimé.
Il prévoyait l’obligation pour
l’employeur de prendre en charge tous les coûts découlant directement de
l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels,
abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci.
Ainsi, selon la loi, l’employeur
n’a plus l’obligation de prendre en charge les coûts découlant du télétravail.
Cela étant,
l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005 impose à l’employeur de prendre en charge les
coûts directement engendrés par le télétravail régulier.
Par ailleurs, eu égard à la
jurisprudence de la Cour de cassation, si l’employeur demande au salarié de
télétravailler, il devra l’indemniser de la sujétion constituée par
l’utilisation d’une partie de son domicile.
L’ANI du 26 novembre
2020 relatif au
télétravail rappelle l’obligation de prendre en charge les frais professionnels
mais est taisant quant à l’indemnité d’occupation.
Le télétravail reposant sur un
double volontariat, et l’employeur mettant à disposition du salarié des locaux,
l’indemnité d’occupation ne devrait pas, a priori, être due aux salariés en
télétravail.
Qu’en est-il de la période de
confinement qui a eu pour conséquence un télétravail forcé ? Le salarié peut-il
revendiquer une indemnité d’occupation arguant qu’il n’a pas choisi le
télétravail ?
Les tribunaux n’ont pas encore
statué sur cette question, en admettant qu’elle ait été posée.
Certes, le salarié n’a pas eu le
choix, mais l’employeur non plus. Seul le confinement n’a pas permis aux
salariés de disposer d’un local professionnel et non la volonté de l’employeur
de le priver de ce local.
En revanche, si l’employeur n’est
pas tenu de par les textes ou l’application de la jurisprudence de verser une
indemnité d’occupation aux télétravailleurs, cette indemnité peut faire l’objet
d’une négociation dans le cadre de l’accord collectif mettant en place le
télétravail.
Son principe et son montant
dépendra alors de la volonté des partenaires sociaux.
Martine Riou,
Avocat associé,
Coblence avocats