La presse occidentale abonde d’une
littérature pointant la tentation impériale, voire impérialiste de la Chine,
particulièrement son rôle néfaste en Afrique. Au-delà des arguments de
propagande d’une sphère occidentale en phase de reflux, la réalité pourrait
être sensiblement différente.
Le journal Le Monde s’est mû en
la circonstance en voltigeur de pointe en ce domaine, dénonçant « la
protéiforme guerre d’influence de la Chine pour démontrer sa puissance »,
dans un article en première page paru le 3 septembre 2021, soit trois jours
après le retrait américain de Kaboul et la débâcle de l’Occident.
Une étude exhaustive de l’Institut de
recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) mentionne « une
entreprise tentaculaire, massive, cohérente, globale, tous azimuts,
mondialisée : les mots manquent au profane pour décrire la protéiforme
guerre d’influence engagée par la Chine pour démontrer sa puissance »,
écrit le journal Vespéral. Derrière « Les opérations d’influence
de la Chine », ses auteurs, Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène
Vilmer, décrivent une bascule récente du régime de Pékin, qualifiée de « moment
machiavélien », poursuit-il.
Récidiviste, trois mois plus tard, Le
Monde ciblait l’Afrique, le thème le plus douloureux pour les anciennes
puissances coloniales occidentales supplantées désormais par la Chine, titrant
en première page : « Chinafrique, l’heure des désillusions :
le Forum sur la coopération sino-africaine, qui s’ouvre dimanche à Dakar,
marque le pas après vingt ans d’expansion chinoise sur le continent. »
Jubilatoire, le journal énumérait les griefs : « Projets à
l’impact industriel limité, échanges commerciaux déséquilibrés de type
Nord-Sud, piège de la dette, corruption des élites, droit du travail malmené
dans les implantations chinoises… Les crispations ont accompagné les courbes
quantitatives de la présence de Pékin sur le continent. »
L’émergence de l’Asie
Les États-Unis ont mordu la poussière en Asie, à deux
reprises, en moins d’un demi-siècle. La première fois, en 1975, au Vietnam,
première victoire d’un peuple du tiers-monde sur la première puissance
planétaire militaire à l’apogée de la guerre froide soviéto-américaine ;
la deuxième fois, en 2021, en Afghanistan, face à leur ancienne créature, les
Talibans, à l’apogée de l’unilatéralisme américain.
Ces deux défaites américaines en Asie, en moins d’un
demi-siècle, ont sérieusement terni le prestige des États-Unis et retenti comme
le glas du magistère impérial américain, de la même manière que la défaite
française de Diên Biên Phu, en 1954, face à ces mêmes Vietnamiens, avait sonné
le glas de l’Empire Français.
Hong Kong
En un siècle, l’érosion de l’Occident face à l’Asie est
manifeste. Sur les sept puissances économiques mondiales du XXIe
siècle figurent trois pays asiatiques : la Chine (1re), le
Japon (3e) et l’Inde (6e), dont deux pays (Chine/Inde)
sous domination occidentale au début du XXe siècle, et le 3e,
le Japon, vitrifié par les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki
(Août 1945) et grand vaincu de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Indice
patent de ce basculement dans la hiérarchie des puissances : deux de ces
pays asiatiques, la Chine et le Japon, surpassent d’ailleurs désormais la
France et le Royaume-Uni, les deux pays européens qui furent à la tête des deux
grands empires coloniaux au début du XXe siècle.
Au plan militaire, selon le classement 2021 établi par
le site américain Global Fire Power (GFP), le podium est occupé par les
États-Unis, la Russie et la Chine, respectivement 1re, 2e
et 3e. L’Inde arrive en 4e position, suivie du Japon en 5e
et la Corée de Sud à la 6e place. La France et l’Angleterre arrivent
à la 7e et 8e place. Là aussi, la France et le
Royaume-Uni sont supplantés par quatre pays asiatiques : Chine, Inde Japon
et Corée du Sud.
Survivance d’un monde colonial révolu, la France et le
Royaume-Uni continuent pourtant de disposer de la qualité de membre permanent
du Conseil de sécurité et non le Japon, 3e puissance économique et 5epuissance
militaire, de même pour l’Inde, 4e puissance militaire et 6e puissance économique.
Au plan économique, l’économie américaine représentait
50 % de l’économie mondiale, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale
(1939-1945). 70 ans après, elle ne représente plus que 20 % de l’économie
mondiale.
Dans cette perspective, les États-Unis (328,2 millions
d’habitants) apparaissent comme une « île entre deux océans (atlantique et
pacifique) » dans la vision d’une Chine qui se vit comme « l’Empire
du Milieu ». Autrement dit le nouveau Centre du Monde, avec une population
de l’ordre de 1,398 milliard d’habitants, soit autant que l’Union européenne et
les États-Unis réunis.
L’Afghanistan – le Vietnam de l’Empire soviétique – est
devenu à son tour le nouveau Vietnam américain, solidement quadrillé par des
puissances nucléaires, la Chine, l’Inde et le Pakistan, désormais
interlocuteurs majeurs de la scène internationale. Si l’implosion de l’Union
soviétique a été le plus grand exploit des États-Unis de l’après-guerre, les
déboires militaires américains dans le tiers-monde dans la décennie
1980-1990 au Liban, en Somalie, en Irak, en ont quelque peu atténué les effets.
Le prestige américain a été ainsi bafoué à Beyrouth avec
le retrait précipité de la Force Multinationale Occidentale, en mars 1984,
contrainte au départ du Liban par un double attentat contre les PC américains
et français qui ont fait au total 299 morts ; en Somalie, où l’armée
américaine a opéré un retrait précipité, en octobre 1993, à la suite d’une
bataille rangée avec les milices somaliennes qui a fait 17 morts dans les rangs
américains. Enfin, en Irak, où le président Barack Obama a ordonné le retrait
de ses troupes, le 1er septembre 2010, sept ans après l’invasion de
l’Irak qui a coûté la vie à 4 400 soldats américains. Sans compter l’assassinat
des pivots de l’influence occidentale en Asie, Anouar El Sadate, en 1981, en
Égypte, Rafic Hariri en 2005, au Liban et Benazir Bhutto, en 2007 au Pakistan.
L’obsession chinoise des États-Unis est si vive qu’une
alliance WASP (White Anglo Saxon Protestant) a éjecté sans ménagement du
chantier naval australien, la France, en vue de lui substituer une alliance
purement anglo-saxonne dans le Pacifique face à la Chine.
Puissance du Pacifique, de surcroît leur alliée au sein
de l’OTAN mais de culture latine, Paris a qualifié de « coup de
poignard dans le dos » la substitution du Royaume-Uni et des
États-Unis à la France d’un contrat de 35 milliards de dollars visant à fournir
15 sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie. L’accord AUKUS (pour
« Australia », « United Kingdom » et « United
States »), mis en place pour contrer la Chine, est une alliance entre ces
trois « démocraties maritimes » signifie de fait une marginalisation
de la France et de l’Europe dans l’espace indo-pacifique, un vaste espace
maritime, allant de la côte est de l’Afrique à la façade Pacifique des
États-Unis. Une région clé du XXIe siècle.
Le bloc rival a d’ailleurs riposté sans délai en décidant
l’inclusion de l’Iran au sein de l’Organisation de Coopération de Shanghai [qui
groupe la Chine, la Russie, le Pakistan, l’Iran et les quatre anciennes
républiques soviétiques d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan,
Tadjikistan)].
Bouleversement dans l’ordre civilisationnel
Il était généralement admis que la civilisation
occidentale – la civilisation de l’homme blanc ou caucasienne selon la
terminologie américaine – était l’unique civilisation à vocation universelle,
porteuse de valeurs aptes à être exportées vers d’autres zones géographiques et
d’autres cultures.
Les élites du tiers-monde combattaient leur
occidentalisation sans pour autant rejeter la modernité : Mahatma Gandhi
(Inde), Gamal Abdel Nasser (Égypte), Kwameh Nkrumah (Ghana), Jomo Kenyatta
(Kenya) ont ainsi combattu le colonialisme occidental sans rejeter la modernité
occidentale qu’ils souhaitaient adapter à leurs conditions.
Les nouveaux contestataires à l’ordre occidental ne
combattent pas uniquement l’influence occidentale, mais remettent en cause
désormais le mode de vie occidental. Dans le nouveau schéma mondial, ce
bouleversement est radical. L’exemple des Talibans en est une illustration
patente.
Au début du XXe siècle, « l’Homme
Blanc » représentait 28 % de la population mondiale, mais contrôlait 80 %
de la surface de la terre. Au XXIe siècle, l’équation s’est
inversée : « l’Homme Blanc » ne représente plus que 18 % de la
population globale pour un contrôle de 30 % de la superficie terrestre. Ces
précisions ont été fournies par le politologue franco-libanais, Ghassane
Salamé, dans un entretien au quotidien arabophone libanais « Al Akhbar »,
le 1er septembre 20212.
Mais, paradoxalement, si l’influence occidentale est en
régression à l’échelle de la planète, le capitalisme a, lui, conquis les
marchés, y compris les plus hostiles à son idéologie dans des pays tels que la
Russie ou la Chine.
Il
en ressort de ce reflux occidental que la planète s’achemine vers une
évanescence de la centralité de l’Homme blanc dans les relations
internationales et du monde occidental dans son rôle prescripteur, avec son
corollaire idéologique incarné par la « théorie du grand
remplacement ». Dans cette perspective, la projection de la Chine en une
puissance impérialiste résulterait d’un effet d’aubaine du déclin occidental.
Un phénomène comparable à celui qui s’est produit en faveur de l’Iran en Irak à
la suite de l’invasion américaine de l’Irak, en 2003, et des déboires
américains y afférents.
Lors du premier sommet de l’Otan tenu sous la mandature
de Joe Biden, en juin 2021, la Chine a été désignée comme « menace
systémique ».
Lindsay Koshgarian, directrice de programme du « National
Priorities Project », et co-auteure du rapport : « State of
Insecurity : Le coût de la militarisation depuis le 11 septembre
2001 », soutient qu’ « au cours des vingt années qui ont suivi le
11 septembre, les États-Unis ont dépensé 21 000 milliards de dollars pour la
militarisation nationale et internationale ». Premier créancier des
États-Unis, la Chine détient en effet des bons du trésor américain d’une valeur
de 2 trillions de dollars (2 000 milliards de dollars) et perçoit des intérêts
d’un montant de 50 milliards de dollars par an, majoritairement réinvestis dans
des projets d’infrastructure en Afrique... Contrairement à la France où
« les djembés et les mallettes » servent en priorité à assurer le
train de vie de la classe politico-médiatique.
La rivalité États-Unis /Chine en chiffres : la
primauté du dollar en jeu
Au
niveau des demandes d’enregistrement de brevets industriels auprès de WIPO
(classement 2019), la Chine prend l’avantage sur ce point essentiel avec
59 000 demandes, contre 57 800 demandes pour les États-Unis.
L’instauration
du yuan comme monnaie de règlements des transactions pétrolières via la bourse
de Shanghai, de même que l’entrée en fonction d’une monnaie électronique, – le
RMB (paiement par téléphone portable) –, pourrait, à terme, remettre en cause
la primauté du dollar comme monnaie de référence des transactions internationales,
dans un contexte de crise systémique d’endettement des économies occidentales.
Pour son premier exercice, en 2019, le RMB digital, un instrument de paiement
destiné à contourner les sanctions américaines, a enregistré des transactions
de 41,5 trillions de dollars, soit 41 000 milliards de dollars.
La fin de l’unilatéralisme occidental dans la gestion des
affaires du Monde
Dans un mouvement sans doute irréversible, la guerre de
Syrie a signé dans l’ordre symbolique la fin de l’unilatéralisme occidental
dans la gestion des affaires du Monde, en même temps que la fin de six siècles
d’hégémonie occidentale sur la planète. Au-delà de l’affrontement Russie versus
OTAN en Syrie, « la Chine et les
États-Unis sont engagés, à long terme, sur une trajectoire de collision. Les
précédents historiques montrent qu’une puissance ascendante et une puissante
déclinante sont vouées le plus souvent à l’affrontement » (dixit Dominique de Villepin).
La
vaseuse théorie du « Grand Remplacement »
Forgée par les nostalgiques de la
grandeur française des « temps bénis des colonies », reprise
par les suprémacistes américains, la théorie du « Grand
Remplacement » apparaît rétrospectivement comme un corollaire du
déclassement de la France au rang des puissances mondiales. Le camouflage d’une
fuite en avant. D’un évitement de responsabilité. L’équation démographique qui
en constitue le soubassement idéologique relève, elle aussi, d’une grande
foutaise. À l’épreuve des chiffres, elle ne résiste pas non plus à l’analyse.
Le « Grand Remplacement » de la population, théorisé par Renaud Camus
et brandi depuis lors comme un croquemitaine par les racialistes, ne serait que
la lointaine conséquence d’un reflux d’empire ; un remugle de l’Histoire
de France ; la sanction du bellicisme européen.
Du fait des deux guerres mondiales
(1914-1918/1939-1945) et des guerres d’indépendance qui se sont ensuivies
(Indochine, Vietnam, Algérie), dont les pertes se sont élevées à près de
100 millions de personnes, la population « caucasienne » – de « race
blanche », selon la terminologie racialiste –, a été drastiquement réduite
à sa portion congrue.
« L’Europe est morte en tant que
cerveau du monde. De dominante, l’Europe est devenue un dominion. » Pour cruel qu’il soit, ce constat de
Régis Debray consigné dans son opuscule Ce qui reste de l’Occident
(Grasset), n’en est pas moins vrai.
De la Chine et de l’Afrique
La
« théorie des anneaux maritimes »
La fin de la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) a
marqué le début du déploiement planétaire de l’empire américain et de sa
compétition feutrée avec la Chine, dont le point de percussion majeur aura pour
théâtre l’Afrique à l’entame du XXIe siècle. Particulièrement le
Maghreb, le flanc méridional de l’Europe et son point de jonction vers
l’Afrique. En application de la « théorie des anneaux maritimes »,
les Américains vont procéder, dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, à leur
déploiement géostratégique selon la configuration de la carte de l’Amiral
William Harrison, conçue en 1942?par la marine américaine, en vue de prendre en
tenaille la totalité du monde eurasiatique, articulant leur présence sur un axe
reposant sur trois positions charnières : le détroit de Behring, le Golfe
Arabo-Persique et le détroit de Gibraltar. Avec pour objectif de provoquer une
marginalisation totale de l’Afrique, une marginalisation relative de l’Europe
et à confiner dans un cordon de sécurité un « périmètre insalubre »
constitué par Moscou-Pékin-Delhi-Islamabad, contenant la moitié de l’humanité,
trois milliards de personnes, mais aussi la plus forte densité de misère
humaine et la plus forte concentration de drogue de la planète.
La
« stratégie chinoise du collier de perles ».
Pris en tenaille entre l’Inde, sa
grande rivale en Asie, les États-Unis, maître d’œuvre du blocus de la Chine
maoïste et le Japon, le géant économique de l’Asie, et les États-Unis, maître
d’œuvre du blocus de la chine maoïste, la Chine va chercher à se dégager de ce
nœud coulant en développant la stratégie dite du « collier de
perles ». Le terme a été utilisé pour la première fois au début de
2005 dans un rapport interne du Département d’État titré « Energy
Futures in Asia ». Cette stratégie, mise au point dans le but de
garantir la sécurité de ses voies d’approvisionnement maritimes jusqu’au
Moyen-Orient, ainsi que sa liberté d’action commerciale et militaire,
consistait dans le rachat ou la location pour une durée limitée d’installations
portuaires et aériennes échelonnées. Il en a été ainsi des ports de Gwadar
(Pakistan), Hambantoa (Sri Lanka), Chittagong (Bangladesh), jusqu’à Port
Soudan, via l’Iran et le périmètre du golfe d’Aden pour escorter ses navires à
travers cette zone infestée de pirates, ainsi que dans la zone
sahélo-saharienne, l’Algérie et la Libye, à tout le moins sous le régime du
Colonel Mouammar Kadhafi (1969-2012), soit pendant 43 ans.
En
superposition, le projet OBOR ou la nouvelle route de la soie de la Chine. Obor
est ce vaste corridor économique sino pakistanais de 3.200 km dont l’objectif
est de désenclaver le Xinjiang en le reliant au port de Gwadar au Balouchistan,
dans le sud de la Chine, à l’effet de mettre directement en contact la 2e
plus grande économie du Monde à l’Asie du sud et à l’Asie de l’Ouest (Moyen
orient). Projet titanesque, qui tire son nom officiel anglais d’Obor pour One
Belt (la ceinture océanique), One Road (une route). OBOR concerne 68 pays
représentant 4,4 milliards d’habitants et 40 % du PIB mondial.
Il va réduire de 10 000 km le trajet entre la Chine et
l’Asie occidentale, au-delà l’Afrique orientale. 80 % des importations
pétrolières chinoises transitent par l’Asie du Sud Est, les États-Unis
s’activent dans cette perspective à établir un cordon sanitaire autour de la
Chine.
Endiguement euro américain de la Chine en Afrique
« Qui tient l’Afrique tient l’Europe », soutenait Karl Marx. La Chine va scrupuleusement
observer cette consigne, tandis que les Occidentaux vont s’appliquer
méthodiquement à entraver cette politique de contournement par un endiguement
du continent noir.
En vain.
Sous
couvert de grands principes, – l’ingérence humanitaire et la guerre contre le
terrorisme –, à l’aide de sigles abscons, d’Africom au Maghreb, de
« Recamp » dans l’Afrique francophone ou d’Eufor, dans le centre du
continent, voire même de Barkhane, le quadrillage occidental de l’Afrique s’est
fait en douceur, à l’arrière-plan d’une féroce bataille engagée pour la
maîtrise des réserves stratégiques sur le flanc méridional de l’Europe.
La guerre psychologique occidentale contre the ROW (the
Rest Of the World)
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945),
toute une littérature belliqueuse occidentale a développé les thèmes sur le
péril rouge (contre le communisme), avant de se rabattre après l’implosion de
l’Empire soviétique (1989) sur le péril vert (l’Islam), jalon intermédiaire
préludant à la naissance du « péril jaune » (Chine, Inde, Japon)
d’actualité avec la montée en puissance des trois pays majeurs d’Asie, qu’ils
parachèveront en 2025.
Accablée
de tous les maux, la Chine a été accusée, simultanément et cumulativement,
d’avoir contaminé l’Afrique de pathologies potentielles avec la
commercialisation de médicaments avariés et d’avoir transformé le continent
noir en dépotoir de déchets toxiques. Ce faisant, l’Occident a oublié son rôle
néfaste dans la dépossession de l’Afrique de ses richesses pendant cinq
siècles, sa dépopulation par la traite négrière, de l’ordre de quinze millions
de personnes, dans la modification de son écosystème.
La Chine, premier partenaire de l’Afrique avec l’Algérie
dans le rôle de navire amiral de la flotte chinoise en Méditerranée
La Chine est depuis 2010 le premier partenaire
commercial de l’Afrique, soixante ans après l’indépendance du continent noir,
avec l’Algérie dans le rôle de navire amiral de la flotte chinoise dans la zone
sahélo saharienne. La montée en puissance de la Chine devrait, par contrecoup,
valoriser le rôle de l’Algérie, le point d’articulation majeur de la Chine dans
la zone et, à ce titre, objet d’une double tentative de déstabilisation, dans la
décennie noire (1990) et lors du printemps arabe (2011).
Frontalier de sept pays (Maroc, Tunisie, Libye, Mali,
Mauritanie, Niger et RASD), l’Algérie occupe une position centrale au Sahara et
ambitionne d’être au centre du jeu, d’autant plus impérieusement qu’elle
dispose d’une frontière commune de 1 800 km avec le Mali soit infiniment plus
que la totalité du métrage de la France avec ses pays limitrophes (Allemagne,
Belgique, Espagne, Italie, Suisse).
L’axe Chine-Europe constitue les deux extrémités de la
vaste étendue continentale euro asiatique, le centre de gravité pérenne de la
géostratégie de l’Histoire de la planète, matérialisée par la route de la soie,
du parfum, de l’encens et tout dernièrement de la route de la drogue. L’Afrique
du Nord en constitue le segment sud.
Ce partenaire de premier plan de l’Europe est une zone
en situation de marché captif, un défouloir de la société occidentale pour son
tourisme de masse, le glacis stratégique du pacte atlantique face à la percée
chinoise en Afrique et son arrière-cour économique et sa basse-cour politique.
Ce Maghreb-là constitue précisément la dernière digue
avant le contournement complet de l’Europe par l’Afrique, selon le vieux
principe maoïste d’encercler les villes par les campagnes.
Si la Chine sortait vainqueur de son jeu de go, la
France, le maillon faible du dispositif du bloc atlantiste dans le secteur,
sera immanquablement vouée au rôle de maillon manquant du directoire mondial de
la planète en ce que le Maghreb, longtemps sa zone d’influence privilégiée,
représente le principal gisement de la francophonie et la zone de
sous-traitance de l’économie française, gage du maintien de sa compétitivité.
Ce n’est pas un hasard si un journal anglais a proposé à
la France de céder à l’Union européenne son statut de membre permanent du
Conseil de sécurité avec droit de veto.
Épilogue : la Méditerranée, du centre du Monde au
focal du Monde
La Méditerranée, milieu de la terre,
n’est plus, depuis six siècles, le centre du Monde, déclassée au profit de
l’Atlantique, au XVe siècle avec la découverte de l’Amérique par
Christophe Colomb, puis par le Pacifique au XXIe siècle, avec
l’émergence du géant chinois.
Si elle a cessé d’être le centre du
Monde, la Méditerranée n’en demeure pas moins non le nombril du Monde, mais le
focal du Monde, un des principaux foyers spirituels de la planète, le lieu de
naissance des trois grandes religions monothéistes : judaïsme,
christianisme et islam. Avec leur projection paroxystique le sionisme,
l’islamisme et le suprématisme occidentaliste, induisant deux bouleversements
majeurs : démographique et religieux.
Démographiquement : dans un
renversement de tendance sans précédent de l’Histoire, la rive sud de la
Méditerranée est en passe d’enregistrer un surplus démographique par rapport au
Nord européen.
Dans moins d’une génération, vers
l’an 2050, la population de quatre pays européens membre de l’Union européenne,
la façade méditerranéenne de l’Union européenne (France, Italie, Espagne,
Portugal) aura à peine augmenté pour compter 250 millions de personnes, alors
que la population des autres pays du pourtour (Égypte, Algérie, Turquie, Maroc,
Tunisie, Syrie, Libye, Liban, Gaza-Palestine) se sera accrue de 70 % pour
avoisiner les 400 millions d’habitants induisant une nouvelle pesanteur sur
l’écologie politique et économique du bassin méditerranéen.
Religieusement, ensuite :
l’Islam, fait aussi sans précédent dans l’Histoire, se hisse au premier rang
des religions par le nombre de ses fidèles avec 1,7 milliard de croyants. Une
promotion qui se double d’une implantation durable et permanente d’une
importante communauté arabo-musulmane dans l’espace occidental,
particulièrement européen, au cœur des principaux centres de création des
valeurs intellectuelles de la planète.
La nouvelle cartographie maritime,
depuis le début du XXIe siècle, tend à devenir une mer
internationale ouverte, faisant place à de nouveaux venus sur la scène maritime
internationale : la Russie et la Chine, préfigurant la nouvelle
cartographie de la Méditerranée à l’horizon de l’an 2050.
Dans la décennie 2010, le trafic de
ses deux pavillons a triplé, passant à 10 bateaux par jour, contraignant les
flottes occidentales à de douloureux exercices de comptabilité et d’évaluation
à distance des cargaisons.
En superposition à la percée chinoise
en Méditerranée, les opérateurs chinois détiennent désormais plus de 10 % des
capacités portuaires européennes : du Pirée à Vado Ligure en Italie, en
passant par Valence en Espagne, Zeebrugge en Belgique, une emprise grandissante
des sociétés chinoises dans les infrastructures portuaires européennes est
constatée.
La politique étrangère chinoise est
étrangère aux contraintes politiques intérieures. Elle a toute l’éternité
devant elle contrairement à ce qui se passe en Occident. Ce qui lui permet
d’être le fruit d’une réflexion conduite sur le long terme et dans une
continuité rigoureuse.
Ainsi, au terme de deux millénaires
houleux, aux extrémités du Mare Nostrum, une ligne médiane va d’Alger au port
grec du Pirée, la place forte chinoise pour le commerce européen, avec les
places fortes navales chinoises à Tartous et Cherchell, en complément de
Tartous et Hmeymine, les deux places fortes russes en Syrie sur la
Méditerranée. Une ligne tracée à l’encre de Chine. Une encre indélébile.
Six siècles après Vasco de Gama,
parvenu en Chine grâce au concours de son guide, le navigateur arabe Ahmad Ibn
Majid, six siècles après le débarquement de Marco Polo, qui força la Chine à
adopter les normes occidentales, l’Empire du Milieu se vit et se veut désormais
comme le centre du Monde.
L’historien américain Paul Kennedy
avait déjà tiré la sonnette d’alarme en évoquant le moment où « l’ambition
du Centre excède ses capacités en Périphérie, moment classique de la
surextension impériale ». Sonnette d’alarme contenue dans un ouvrage,
paru en 1987, au titre prémonitoire : The Rise and Fall of the Great
Powers / Naissance et Déclin des Grandes Puissances.
En écho, le politologue français
Bertrand Badie en tire la conclusion amère, 34 ans plus tard, dans la foulée de
la chute de Kaboul aux mains des talibans : « Le logiciel de
puissance des États-Unis ne fonctionne plus ».
« Notre histoire occidentale,
qu’on le veuille ou non, est dominée par l’illusion que la puissance peut tout
régler. […] Or non seulement la puissance est devenue inefficace et
impuissante, mais elle devient même contre-productive dans la mesure où elle
affaiblit encore plus les sociétés malades, les rend encore plus sensibles aux
appels extrémistes », conclut Bertrand Badie.
Sic transit gloria mundi... Ainsi passent les gloires de ce monde.
1) Texte d’une intervention de l’auteur prononcée au
colloque « Dialogue public sur le rapport Chine-Afrique : Quel type de
partenariat ? » tenu au Club Alpin Suisse Germain, 4 avenue du Mali – 1205
Genève, sous l’égide des ONG suivantes : Africa Center for Democracy and Human
Rights (ACDHR), Centre de Commerce
International pour le Développement (CCID), Coopera Sweden Association,
Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO), The Network
of Independent Commission for the Right In North Africa, ainsi que Nord Sud
XXI.
2) René Naba, directeur du site www.madaniya.info,
et membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme
et du Centre International Contre le Terrorisme, est l’ancien responsable du
monde arabo-musulman au service diplomatique de l’AFP ; Auteur du
Pakistan face au défi du monde post occidental et de l’Eurasie - Golias 2019,
premier ouvrage en langue française sur le basculement stratégique de l’ancien
body guard de l’Arabie saoudite. À paraître : La Syrie : Chronique d’une
guerre sans fin, Golias 2022.
René
Naba,
Directeur
du webmagazine madaniya.info,
Membre
du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme et du
Centre International Contre le Terrorisme