Dans son rapport intitulé
« Une surpopulation carcérale persistante, une politique d’exécution des
peines en question » publié début octobre, la juridiction financière
constate que malgré les réformes récentes, le nombre de personnes détenues ne
décroît toujours pas, au contraire : elle ne fait qu’augmenter depuis 20 ans.
La Cour des
comptes a publié début octobre un rapport édifiant sur la politique d’exécution des peines et la
situation de la surpopulation carcérale en France, centré sur la gestion des
peines et leur suivi, compte tenu « des masses financières en jeu, du rythme
soutenu des réformes et de la sensibilité d’une politique publique parfois
contestée ».
Premier constat : « Depuis
plus de vingt ans, le système carcéral est confronté à une augmentation
continue de la population des détenus, qui peine à être régulée », et ce malgré les réformes qui se sont succédé. La
France compte ainsi parmi les dix pays européens où la population carcérale
augmente.
Le nombre d’incarcération a
augmenté de 70 % en 20 ans
La Cour des comptes souligne
que plusieurs facteurs contribuent à cette suroccupation. D’une part, bien que le nombre d'actes de délinquance reste relativement stable, la réponse pénale « s’est durcie au cours des dernières
années ». En effet, le nombre d’incarcérations a augmenté de 70 %
en 20 ans. En 2019, 90 000 années de prison ont été prononcées contre
54 000 en 2000, d’après les enquêtes de victimation de l’INSEE.
D’autre part, cette
surpopulation s’explique par la répression accrue de certains crimes et délits,
notamment les violences intrafamiliales, les délits routiers ou les violences
envers les forces de l’ordre, précise la juridiction, mais aussi par l’accroissement des recours aux comparutions immédiates et à la détention
provisoire, toujours maintenue à un niveau élevé.
Le budget de l’exécution des
peines est difficile à cerner
Par ailleurs, il apparaît que les dépenses
budgétaires liées à l’exécution des peines ont augmenté de 12 %
entre 2019 et 2021, atteignant ainsi un coût global de 4 milliards d’euros,
d’après les estimations de la Cour.
Cette dernière précise que la progression
de l’enveloppe résulte notamment des investissements immobiliers, avec la construction de
nouvelles prisons et places de prison, mais également des recrutements d’agents
pénitentiaires.
La juridiction indique toutefois avoir eu du « mal à cerner » ce budget, en raison du manque d’outils pour individualiser les volumes financiers de l’exécution des peines. Deux facteurs cumulatifs expliquent la complication de cette évaluation : « la difficulté à cerner la notion et l’insuffisante précision de la comptabilité analytique et budgétaire du ministère de la Justice. » La Cour précise tout de même qu’une approche « approximative [a permis] de disposer d’un ordre de grandeur ».
Malgré le développement des
peines alternatives, le nombre d’incarcérations ne baisse pas
La France est l’un des pays
« où les peines alternatives sont les plus développées en pourcentage
de la population », indique la juridiction. Le développement de ces
mesures alternatives est depuis 20 ans l’une des orientations majeures de la
politique pénale. La Cour constate malgré tout que « cette évolution ne
s’est pas traduite par une baisse de la population carcérale ».
En
effet, les mesures exécutées dans le milieu ouvert ont augmenté parallèlement au nombre d’incarcérations. C’est-à-dire qu’au lieu de se
substituer à la peine de prison, les nouvelles peines alternatives se sont ajoutées
aux autres types de peines, augmentant ainsi le nombre de personne sous-main de
justice ; on parle alors de phénomène « d’extension du filet pénal ».
Malgré l’augmentation du
nombre de places de prison, la maximisation des taux d’occupation a également atteint
ses limites. L’impact de la nouvelle politique, pour limiter le recourt à
l’aménagement pour les courtes peines, a eu un effet limité. Aussi,
l’expérimentation du dispositif de « régulation carcérale » dans
certains ressorts, dispositif qui a pour ambition de faciliter le partage d'informations entre l'autorité judiciaire et l'administration pénitentiaire afin de mieux réguler les flux carcéraux au niveau local, n’a pas donné lieu à une régulation du nombre de prisonniers
là où il a été expérimenté, observe la juridiction financière.
La Cour des comptes encourage
de revoir la doctrine de l’administration pénitentiaire
La Cour recommande donc de revoir la
doctrine de l’administration pénitentiaire dans les maisons d’arrêt, car elle
n’est pas adaptée à la « réalité des flux carcéraux ». Pour
qu'elle le soit, cette doctrine doit être recentrée sur le maintien des liens
familiaux, l’ouverture ou le rétablissement des droits tels que le logement, la
formation, la préparation à l’emploi, mais aussi sur l’accès aux soins,
notamment par la prise en charge des personnes détenues victimes d’addictions.
Certaines personnes détenues,
comme les prisonniers radicalisés, les auteurs d’infractions à caractère sexuel
etc., nécessitent des procédures d’orientation et de gestion spécifique,
notamment par des prises en charges différenciées qui s’adaptent en fonction
des besoins, mais surtout en réponse à l’urgence. Le rapport souligne que ces
prises en charge sont également en développement au sein des détentions
classiques. Mais le problème de la surpopulation carcérale affecte le bon
déploiement de sa mise en place, regrette la Cour des comptes. Pour autant, elle estime que pour avoir un impact positif, ces prises en charge
différenciées doivent faire l’objet d’évaluations systématiques et d’un suivis
régulier des moyens importants consacrés à ce dispositif en comparaison à ceux accordés
aux détention dites « classiques ».
Alors que la majorité des personnes
détenues dans les prisons françaises ont de multiples condamnations à leur
actif, et des parcours marqués par la récidive, la Cour des comptes estime que
préparer ces personnes à la sortie de prison permet de mieux prévenir la
récidive par la « sortie progressive de détention, notamment par des
aménagements de peine ». Pourtant, la juridiction constate que malgré
« la sophistication du droit à l’aménagement des peines et la
systématisation des procédures juridictionnelles », cela n’a pas
permis de limiter les sorties sans préparations.
À partir de ce constat, la
Cour conseille au ministère de la Justice de poursuivre son action afin
d’améliorer le « déploiement des placements extérieurs et de la
semi-liberté », afin de permettre un accompagnement complémentaire aux
détentions sous surveillance électronique qui sont « en fort
développement. »
La libération sous contrainte
systématiquement examinée trois mois avant la sortie du détenu
Créée en 2015, la libération
sous contrainte n’a pas non plus montré de résultats satisfaisants, juge la Cour
des comptes. Le but de ce dispositif était de permettre aux détenus de purger
la dernière partie de leur peine hors de prison, tout en bénéficiant d’un suivi
et d’un contrôle régulier réalisé par un conseiller pénitentiaire d’insertion
et de probation.
La Cour regrette que ce dispositif n’ait pas fait l’objet d’évaluations alors qu'il a « été
rendu plus systématique », notamment en ce qui concerne les courtes
peines. Depuis le 1er janvier 2023, les dossiers sont
systématiquement examinés trois mois avant la date de sortie : la juridiction financière
s’inquiète que l’usage de ce dispositif mobilise les acteurs judiciaire et
pénitentiaire et augmente également la pression qui s’exerce sur ces services.
Ainsi, la Cour recommande
également de soutenir les greffes pénitentiaire et judiciaire, particulièrement
dans les circonstances actuelles : en effet, du fait de la complexité croissante des régimes
d’incarcération et de l’accentuation des libérations anticipées, « les
greffes peinent déjà à faire le suivi de la situation pénale des détenus »
alerte la Cour. La juridiction est de plus convaincue que la systématisation de la
libération sous contrainte risque d’accentuer les difficultés pour les greffes.
Elle déplore que les agents se concentrent davantage sur la gestion des
procédures plutôt que de se consacrer au travail d’individualisation effective
du suivi des détenues pour améliorer les chances de réinsertion.
Déléguer des missions pour
soulager le juge de l’application des peines
La juridiction financière encourage
également à clarifier les rôles des acteurs judiciaire et pénitentiaire, « notamment
à travers des plus grandes possibilités de délégation », en déléguant
plus au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) pour permettre
au parquet l’exercice de compétences élargies afin de soulager par exemple le juge
de l’application des peines, afin qu’il puisse se recentrer sur « le
cœur de son office en se mobilisant sur l’individualisation effective des
peines pour le cas les plus difficiles. »
Les constats de la Cour questionnent également l’équilibre de ce système profondément réformé en 2019 par la loi du
23 mars de programmation et de réforme pour la justice qui avait modifié les
règles des peines. Par rapport à son « objectif ambitieux de prévention
de la récidive, le fonctionnement actuel de ce système n’est pas
satisfaisant ».
Pour la juridiction financière, une évaluation
approfondie de sa mise en œuvre, qui n’a toujours pas été réalisée, doit aujourd'hui l’être. La Cour encourage également l’organisation d’un débat démocratique.
Tina
Millet