Dans un rapport paru le 26
mars, Claire Hédon déplore des réformes « rompant des équilibres
existant parfois de longue date ». La digitalisation à outrance,
synonyme de « déshumanisation des services publics », est
également dénoncée par l’institution.
C’est un constat d’inquiétude
que formule la Défenseure des droits (DDD) dans son rapport d’activité pour
l’année 2023 paru ce mardi 26 mars. Claire Hédon a dénoncé « une
fragilisation des droits qui contribue à affaiblir l’État de droit »,
passant par des « atteintes concrètes aux droits fondamentaux des
personnes ». En témoigne un nombre de réclamations, informations et
orientations auprès de l’institution de près de 138 000 en 2023, en hausse
de 10 % sur un an.
Une situation qui ne semble
pas en voie d’amélioration, bien au contraire. Selon l’ancienne présidente du
mouvement ATD Quart monde, la détérioration de l’État de droit s’accélère,
posant « la question de la santé de notre démocratie ».
Le rapport pointe du doigt la
digitalisation comme l’un des marqueurs de ce délitement, le processus
conduisant à une « mise à l’écart de dix millions de personnes »,
n’ayant pas accès à Internet. « On constate une déshumanisation des
services publics », déplore Claire Hédon, reconnaissant tout de même
que « pour une partie de la population, la dématérialisation des
démarches est une chance ». « On peut entendre ici ou là que
la situation s’améliore, mais nous constatons plutôt que ça s’aggrave. »
La Défenseure des droits a
réalisé entre septembre et novembre 2022 une évaluation de l’accueil
téléphonique des services publics. Et les chiffres sont accablants : sur
les 1 500 appels passés, 40 % n’ont pas abouti, et 40 % de ceux
qui ont abouti ont fourni une information incomplète ou fausse. « Parfois,
l’appel renvoyait vers le site internet des gens qui avaient justement dit ne
pas savoir se servir d’un ordinateur », constate la DDD.
Le rapport demande à ce titre
que « la dématérialisation des procédures administratives soit une
offre complémentaire, non substitutive au guichet, au courrier papier et au
téléphone, afin de garantir un accès équitable aux services publics ».
La loi immigration « ne
favorise pas l’intégration »
Claire Hédon insiste également
sur diverses réformes gouvernementales mettant en danger l’État de droit,
« rompant des équilibres existant parfois de longue date »,
comme la conditionnalité du RSA à 15 heures d’activité par semaine, qui
selon elle « risque de priver un certain nombre de personnes de
ce droit ». Pour l’heure, il n’y a pas d’augmentation de ce type de
réclamation. Mais la Défenseure des droits craint que les populations
concernées « ne connaissent pas forcément l’institution et n’aient pas
l’idée de la saisir ».
La loi immigration est aussi dans le viseur de la Défenseure des droits. Claire Hédon estime
que la demande du gouvernement auprès du Conseil constitutionnel de
sanctionner des dispositions adoptées malgré leur inconstitutionnalité manifeste
« instaure une opposition délétère entre les institutions élues et les
contre-pouvoirs chargés de les contrôler ».
La loi, visant selon son
titre à « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration »,
impacte grandement l’institution de défense des citoyens. Le droit des
étrangers représente depuis de nombreuses années la première cause des
réclamations auprès de la DDD (28 %), en premier lieu pour les
renouvellements de cartes de séjour. « Dans cette loi, rien ne favorise
l’intégration », regrette Claire Hédon. « Qu’il faille que les
personnes étrangères améliorent leur français pour obtenir une carte
pluriannuelle, je n’ai pas de doute là-dessus, mais le fait de mettre un niveau
augmente les difficultés. »
Pire, « la loi
fragilise cette population plutôt que de lui donner les moyens d’accéder à ces
droits », dénonce celle qui est à la tête de l’institution depuis
2020. Pour cette dernière, cette situation « est un révélateur de
l’état des droits dans notre pays et témoigne d’un mouvement de fragilisation
des services publics et des droits qui dépasse la question de l’immigration ».
« Sans réaction, mon institution risque l’embolie, et de ne plus
pouvoir répondre aux personnes qui s’adressent à elle », redoute
Claire Hédon.
La protection des lanceurs
d’alerte renforcée
L’institution permet aussi
aux lanceurs d’alertes de faire des réclamations. Celles-ci sont d’ailleurs en
forte hausse en 2023 (+128 %), à la suite de la réforme du
droit des lanceurs d’alerte en 2022. 306 personnes ont ainsi fait une
demande d’orientation ou de protection durant l’année. Une cellule dédiée créée
en 2023 permet de répondre à ces demandes. Près de 80 d’entre elles sont des
demandes d’avis sur la qualité de lanceur d’alerte, une possibilité nouvelle
pour la DDD qui vise à certifier que la personne qui la saisit est bien lanceur
d’alerte au sens de la loi, et qu’elle peut bien être protégée comme telle. 160
demandes ont concerné une protection contre les représailles (blâme, avertissement,
licenciement, etc.).
En parallèle, la DDD a mis en
place un réseau pour recueillir et traiter les alertes, en collaboration avec
41 autorités administratives, notamment l’Agence française anticorruption et la
Commission nationale informatique et libertés. Un guide à destination des
lanceurs d’alerte rédigé par la DDD publié en mars 2023 rencontre un grand
succès, se hissant au rang de document le plus téléchargé sur le site de l’institution.
« Je pense qu’il répond à un véritable besoin pour les personnes
intéressées », estime Cécile Barrois de Sarigny, adjointe à la
Défenseure des droits en charge des lanceurs d’alerte. L’été prochain,
l’institution publiera un premier rapport sur l’application de la loi sur les
lanceurs d’alerte.
Alexis
Duvauchelle