Le ministre de la Justice a
accusé hier « certains avocats » d’allonger volontairement les
délais de procédure. La profession a réagi en bloc, ses représentants en tête.
Si Gérald Darmanin cherchait à
se faire rapidement des ennemis chez les hommes et femmes de robe, c’est chose
faite.
Déjà dans le viseur des syndicats de magistrats, qui avaient exprimé « craindre un
recul du respect de l’État de droit » après sa nomination, voilà que
le ministre de la Justice a cette fois déclenché l’ire des avocats. Reçu sur RTL
lundi 6 janvier pour évoquer la lutte contre le narcotrafic, le garde des
Sceaux a pointé les retards d’audiencement accusés par la justice française ;
retards qu’il n’a pas hésité à mettre sur le dos de « certains »
avocats.
« Leur travail est de
travailler non pas à l’innocence de leurs clients mais d’emboliser la chambre
de l’instruction, d’emboliser le processus judiciaire, pour libérer de détention
des personnes, car on sait qu’elles ne seront plus ou pas jugées », a
ainsi vitupéré le garde des Sceaux. Si seule « une minorité d’avocats »
- le ministre a insisté sur ce point -, était visée par ses accusations d’alourdissement
délibéré de la procédure, c’est toute la profession qui a réagi en bloc, ses
représentants en tête.
« Les avocats ne sont
pas un obstacle »
« Monsieur le Ministre, les avocats ne sont
pas un obstacle, mais la garantie pour le justiciable du droit à un procès
équitable », a commenté sur les réseaux sociaux la présidente du Conseil
national des barreaux, Julie Couturier. Un rappel également opéré par la
Conférence des bâtonniers, lequel a ajouté qu'il s'agissait d'une « condition indispensable au respect de l’État de droit dans toute démocratie ».
Quant à l’Union des jeunes
avocats (UJA) de Paris, celle-ci a souligné sur LinkedIn que « la
mission de l’avocat exerçant en droit pénal tient au maintien du respect de la
présomption d’innocence et des règles de procédure de l’institution judiciaire.
Cette mission peut mener l’avocat à saisir la Chambre de l’instruction ou tout
autre juridiction compétente pour faire respecter les droits fondamentaux ».
« Darmanin accuse les
avocats de vouloir « emboliser » le processus judiciaire. C’est-à-dire de le
gripper en exigeant l’application de la loi qui organise la procédure. Ces
règles ne sont pas tombées du ciel, elles sont la clé du fonctionnement de la
Justice » a riposté pour sa part l’avocat Regis de Castelnau sur le
même réseau.
« Dicter aux avocats
comment exercer leur profession »
« Une nouvelle fois,
une personne politique prétend dicter aux avocats, auxiliaires de justice
indépendants, comment exercer leur profession et les droits de la défense »,
s’est par ailleurs emportée l’UJA hier. « Après ‘Le problème de la
police, c'est la justice’, voici le nouveau mantra : ‘Le problème de la
justice, ce sont les avocats’ » a ironisé de son côté le juriste Nicolas
Hervieu.
Le 14 mai dernier, les
sénateurs membres d’une commission d’enquête sur le trafic de drogue avaient rendu
un rapport qui proposait entre autres la création d’un « dossier coffre
» rendant contradictoires certains éléments de procédure. Ils y pointaient le
fait que les avocats auraient une utilisation « dolosive » des règles de
procédure, emploieraient des « stratagèmes » et des « procédés
déloyaux » pour soulever des nullités de procédure et obtenir la remise en
liberté de leurs clients.
Interrogé à l’époque par le JSS,
l’avocat spécialisé en droit pénal Guillaume Martine avait abordé le sentiment
partagé, au sein de la profession, « d’être pris pour cible de manière
injuste ». « Il y a vraiment une incompréhension sur ce que
devrait être le rôle de l’avocat », avait-il ajouté.
Bérengère
Margaritelli