La Direction de la coopération internationale (DCI) du ministère
de l’Intérieur, créée en 2010, est née de la fusion du service de coopération
technique internationale de police (SCTIP) et de la sous-direction de la
coopération internationale de la gendarmerie. Le 8 juin dernier, Gaëtan Gorce
et David Weinberger, co-directeurs de l’Observatoire des Criminalités
Internationales (ObsCI), ont invité Sophie Hatt, directrice de la DCI, à présenter l’activité de ce
service pionnier des directions police/gendarmerie lors de sa naissance.
Sous
l’autorité de deux directeurs généraux (police et gendarmerie), la direction de
la coopération internationale (DCI) agit au profit d’un ensemble de directions.
Outre la Direction générale de la Police nationale (DGPN) et la Direction
Générale Gendarmerie Nationale (DGGN), elle appuie également la direction
générale des étrangers en France, celle de la sécurité civile, et les
collectivités locales. La direction de la coopération internationale participe
à la stratégie internationale du ministère de l’Intérieur en lien avec la
Direction des affaires européennes et internationales (DAEI) placée sous
l’autorité du secrétaire général du ministère. La DAEI rédige la stratégie
internationale mise en œuvre par la DCI. Le service anime et coordonne
coopérations technique et opérationnelle. La première concerne l’échange
réciproque de bonnes pratiques, de compétences et de formations avec les
partenaires étrangers. La seconde, très axée sur la criminalité internationale,
touche le renseignement, autrement dit toutes les informations captées par le
réseau, mises à disposition des services d’enquête français.
Action
de la DCI
Le maillage du réseau de
la DCI est géographiquement plus ou moins fin. Certains agents ont des
compétences régionales étendues. Pour exemples, l’attaché de sécurité
intérieure (ASI) en Afrique du Sud exerce sur huit pays ; celui en Argentine
assume aussi l’Uruguay et le Chili. Ils veillent donc sur de larges zones. Les
ASI sont épaulés par des officiers de liaison thématiques, membres de services
: enquête, lutte contre les stupéfiants, lutte contre la criminalité organisée.
Ils bénéficient par ailleurs de l’aide des experts techniques internationaux et
des coopérants de gendarmerie. Ce vaste ensemble collecte des informations de
terrain sur les cinq continents (en Australie depuis septembre 2020). Sa
présence est particulièrement forte sur le continent africain où le SCTIP a vu
le jour après la décolonisation.
La DCI, en relation avec
le ministère de la Justice, échange avec 16 magistrats de liaison répartis dans
les pays où la coopération judiciaire est la plus aboutie. Ils sont placés sous
l’autorité des ambassadeurs de la même façon que les attachés de sécurité
intérieure. Dans tous les autres pays, ce sont les ASI qui remplissent le rôle
de magistrat de liaison. Ils assistent les juges et les enquêteurs en
déplacement dans le cadre d’une commission rogatoire internationale.
L’action menée suit des
axes prioritaires, ceux de la lutte contre le terrorisme, l’émigration
irrégulière, et la criminalité organisée. Plusieurs zones géographiques font
l’objet d’efforts accrus. C’est le cas du Sahel (terrorisme ramifié), du
Burkina Faso, de la zone Afrique du Nord et Moyen-Orient (ANMO) (terrorisme,
immigration, le trafic de migrants), des Balkans (cybercriminalité, trafic
d’armes).
En 2020, le service a
répondu à 3 631 demandes d’enquête de police internationales et françaises,
s’est opposé à 7 031 embarquements. Il a mené 389 assistances à interpellation.
1 500 personnes recherchées en France ont été appréhendées grâce aux
informations de ses fichiers, etc.
Juridiquement, la DCI a plusieurs
outils à sa disposition pour intervenir. En matière de lutte contre le
terrorisme, elle obéit aux Conventions de New York ; contre les stupéfiants,
c’est la Convention de New York de 1961 et la Convention de Vienne ; contre la
traite des êtres humains, les Conventions de Lake Success et de Palerme ; et
contre la corruption, la Convention de Mérida. Dans le cadre européen, les
services utilisent les décisions d’enquête européenne. Les Commissions
rogatoires internationales servent hors UE. Europol et Interpol, en contact
avec la direction centrale de la police judiciaire, jouent des rôles
déterminants.
Spécificités
des mafias
Sophie Hatt, directrice
de la DCI, indique que six organisations criminelles internationales commandent
des subdivisions majeures en France.
• La mafia italienne,
présente dans le monde entier, est très implantée en France, voisine, notamment
la « ’Ndranghetta ». Cette structure active dans toute la péninsule, déploie
des branches en Ligurie, région frontalière de la Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Elle opère principalement dans le trafic de stupéfiants (cocaïne, cannabis…),
mais elle s’investit aussi dans le proxénétisme et le trafic d’êtres humains.
La mafia italienne fait des alliances avec le grand banditisme traditionnel
quand cela sert ses intérêts. Elle a profité de la pandémie pour multiplier les
blanchiments en investissant dans le foncier de son pays d’origine et ailleurs.
Elle a acquis des ensembles immobiliers, des magasins, des commerces.
• La criminalité
balkanique privilégie les trafics d’armes, de migrants, et celui de
stupéfiants. Les Albanais ont mis la main sur tout le commerce illégal de
stupéfiants dans la ville de Londres et asphyxient la capitale britannique.
Leurs conflits finissent souvent par des règlements de comptes extrêmes.
• Les criminalités
russophones, qu’elles soient géorgiennes, ukrainiennes, moldaves, tchétchènes,
ou d’Asie centrale, se livrent entre elles une forte concurrence. Elles se
disputent des parts de marché légal, notamment dans le milieu de la nuit. Elles
s’infiltrent en France et dans l’UE par le biais d’entreprises transnationales
structurées. Chaque nationalité a sa spécialité. Les Ukrainiens s’occupent de
recel d’objets d’arts, les Lituaniens sont dans le proxénétisme et le trafic de
tabac, etc. Néanmoins, si une activité devient plus attractive, un gang
n’hésite pas à se l’accaparer aux dépends d’un autre.
• La criminalité
africaine se concentre sur le trafic d’êtres humains, de migrants, de
stupéfiants et sur l’atteinte aux biens. Les groupes nigériens, très actifs
dans le sud de la France, sont basés à Marseille et dans les villes alentour.
Violents, ils opèrent également des éliminations sanglantes entre concurrents.
Ils n’ont aucun état d’âme quant à l’immigration de mineurs non accompagnés
(MNA). Ces derniers finissent en bandes de MNA totalement sous l’emprise des
stupéfiants. Nombreux en banlieue parisienne, à Bordeaux, à Nantes, ils posent
des problèmes de sécurité liés à leur forme de délinquance. Ingérables, ils
sont même agressifs entre eux.
• Les triades asiatiques
touchent la prostitution, les stupéfiants, l’immigration irrégulière, les
contrefaçons de cigarettes. Surtout fabriqués en Chine, les paquets de tabac
contiennent des substances nocives. Ils sont vendus deux fois moins cher que
chez un buraliste et sont le résultat d’une activité illicite de grande
échelle. Côté blanchiment d’argent, des réseaux de jeunes filles ont été
démantelés. Payées une misère, elles venaient en France avec des sommes
d’argent considérables pour acquérir foulards, montres, sacs, bijoux et autres
produits luxueux de marque. Puis, elles rentraient (avant la pandémie) en
République populaire pour les revendre. En matière de cybercriminalité
également, les hackers chinois représentent une menace sérieuse.
• La criminalité
sud-américaine s’occupe de proxénétisme, de stupéfiants, d’atteintes aux biens,
d’escroqueries et d’orpaillage illégal. Elle impacte la France métropolitaine
nettement moins que les territoires d’outre-mer à travers la prostitution, le
racket, le vol, et le cambriolage.
Les gangs de motards
criminalisés ne concernent pas la France. En Europe, ils existent en Allemagne
et aux Pays-Bas. Ils sont extrêmement brutaux en Australie et aux États-Unis.
Activités
combattues
Le trafic de stupéfiants
Sophie Hatt prend un exemple : « grâce aux attachés de
sécurité intérieure (ASI), une opération a été menée au Brésil en 2019. Au
commencement, en relation avec les autorités locales, un container chargé d’une
lourde cargaison de cocaïne à destination de l’Union européenne a été détecté
sur le port de Santos. Équipé par nos soins d’une balise espionne pour le
tracer, le chargement est arrivé jusqu’au port de Hambourg. Là, dans le cadre
d’une décision d’enquête européenne, des pains leurres dotés de moyens de
géolocalisation, de sonorisation, et de captation d’image ont été substitués
aux drogues initiales. La piste de la marchandise, lorsqu’elle a été récupérée
par les petites mains des commanditaires, a donné lieu à l’interpellation de
neuf individus dont deux Néerlandais. Cette enquête se poursuit dans le cadre
d’une commission rogatoire internationale. Le démantèlement de cette filière
avance. »
Une autre coopération efficace a pris place avec la
Colombie, premier producteur mondial de cocaïne. Le travail des enquêteurs
privilégie trois points :
• le recueil d’informations opérationnelles exploitables
par les services répressifs français. Le chef de file en la matière est
l’Office anti-stupéfiants (OFAST),
• l’assistance des services français en mission en
Colombie. Les attachés de sécurité interne accompagnent les enquêteurs et les
magistrats dans le pays au titre d’une commission rogatoire internationale,
• l’exploitation des informations issues de la Fiscalia
(Parquet) sur place et l’appui aux investigations. Cette collaboration a déjà
permis de disloquer un laboratoire de raffinage de cocaïne en février 2020, ou
encore d’interpeller en Colombie un couple en possession de plus de 2 kg de
poudre quasi pure qui s’apprêtait à livrer à Paris. L’enquête a mis à jour le
centre de production implanté à quelques dizaines de kilomètres de Bogota. La
police du pays, soutenue par la DCI, a saisi une tonne de cocaïne et détruit le
site en capacité de fournir plusieurs tonnes par mois.
La coopération sert par ailleurs à surveiller les mules.
Rappel : au péril de leur vie, pour une somme misérable, ces individus ingèrent
des boulettes de cocaïne sous plastique et les transportent ainsi jusqu’en
France ou dans l’UE. Ce sont des ressortissants brésiliens, surinamiens ou
guyanais qui voyagent par les vols directes entre Cayenne et Paris.
L’immigration irrégulière
La DCI dispose de 26 officiers de liaison immigration
répartis dans le monde, intégrés dans les directions centrales des polices aux
frontières de ses partenaires étrangers. À cela s’ajoute 18 conseillers sûreté
immigration qui sont dans les aéroports ou dans les directions générales de l’aviation
civile, l’équivalent de la DGAC. Ils utilisent les renseignements soit en vue
d’oppositions à l’embarquement, soit de recueil d’informations pour démonter
des filières. La destruction d’une filière est du ressort de l’Office central
pour la répression de l’immigration irrégulière (OCRIEST) qui fait partie de la
direction centrale de la police aux frontières. L’OCRIEST élimine environ
300 filières d’immigration irrégulière par an. Les officiers de liaison
immigration sont à la source d’un tiers des renseignements exploités dans cette
lutte. L’information, quelquefois infime, sur l’activité d’un délinquant dans
un pays, caractérise un des maillons de la chaîne complète, passant par ses
relais, ses pays de transit avant de finir à destination. Ainsi, les Syriens et
les Afghans n’ont pas comme intention de rester sur le territoire français. Ils
espèrent rejoindre le Royaume-Uni ou l’Allemagne. L’Hexagone ne représente
qu’une escale pour eux.
En Asie du Sud-Est, en Amérique du Sud et sur le continent
africain, la coopération technique déployée vise à partager les savoir-faire
avec les polices locales. Au Niger, par exemple, une équipe commune
d’investigation travaille sur le démantèlement des filières d’émigration
clandestine et sur la traite d’êtres humains. Des personnels français et
espagnols recueillent des renseignements et participent à la formation des
enquêteurs nigériens. La source migratoire part du Niger ou y fait escale à
destination de l’Occident. Les premières victimes sont les migrants floués par
les passeurs, quand ils ne sont pas purement et simplement asservis. Les pays
d’émigration, vidés de leur forces vives, sont une deuxième victime qui, pour
les plus instables, risquent de sombrer dans le terrorisme. Les pays
d’immigration, incapables d’intégrer le volume des flux, forment la troisième
victime. L’ensemble du problème apparaît comme multilatéral. Notons qu’un
policier français à l’étranger n’a pas de pouvoir direct de police. Il agit
seulement avec l’accord des autorités sur place. La relation gagnant-gagnant
fonctionne quand les deux parties y trouvent leur compte. Le métier d’attaché
de sécurité intérieure ressemble à celui de commissaire de police, mais il
demande aussi de la diplomatie, des partenariats, des développements dans le cadre
de la stratégie locale de la présence française.
Sophie Hatt considère qu’il y a autant de profils de
trafiquants que de filières. Le Français qui, avec sa camionnette, fait
franchir la frontière à des Afghans à Vintimille (Italie) une fois par semaine,
peut-être par humanisme, est un trafiquant d’habitude, un petit passeur. La
migration qui part des côtes sénégalaises ou mauritaniennes en direction des
Canaries, transporte des centaines de milliers de personnes. Celles-ci
naviguent dans des canots de fortune au péril de leur vie. Ce trafic-là est
organisé, professionnalisé. Les migrants qui cherchent à accéder à Lesbos via
la Turquie, ceux qui traversent les Balkans pour atteindre l’Allemagne puis le
Royaume-Uni, bref tous ces flux témoignent de la multiplicité des
ramifications. Grand, petit, mono tâche ou pas, la diversité de ce trafic est
proportionnelle au nombre de nationalités impactées. L’OCRIEST essaye
difficilement d’en créer une classification.
La pédophilie et la
pédopornographie
L’exploitation
sexuelle des mineurs connaît une croissance exponentielle. En Asie du Sud-Est
prioritairement, le tourisme sexuel et le « live streaming » se propagent. Les
réseaux sociaux et la facilité de visionner des images pédopornographiques sur
le darknet laissent la faculté aux délinquants sexuels de rétribuer des
individus pour commettre des viols sur des enfants de tous âges. Lâchement
installé face à sa tablette ou son ordinateur en France, ou ailleurs, le
commanditaire de la torture en cours donne directement ses instructions
perverses au violeur situé à des dizaines de milliers de kilomètres.
L’Office
central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) a un groupe spécialisé
sur ces agissements. Les ASI assurent le relai auprès des enquêteurs sur place.
Ils y parviennent en leur apportant des informations. Mais dans certaines zones
comme le Népal, il n’y a pas d’ASI. C’est alors celui d’une autre région à
proximité (New Delhi en l’occurrence) qui traite les affaires. Dans cette
situation, les organisations internationales et les associations apportent un
soutien crucial. En l’espèce, le ministère de l’Intérieur travaille
régulièrement avec l’ONG Saathi (amis en népalais). Sur le terrain, les membres
de Saathi recueillent de multiples témoignages d’enfants victimes de ces
exactions et les portent à la connaissance de l’attaché de surveillance
intérieure le plus proche en Inde qui remonte les données.
Aux
Philippines, la pornographie et la prostitution infantile prospèrent. La DCI
entend y ouvrir un poste d’expert technique international en 2022. La police du
pays semble très favorable à ce projet. Actuellement, les Philippines sont du
ressort de l’ASI en poste à Singapour. Il est clair que le contexte de la
pandémie a mis un coup d’arrêt à ses rencontres avec les enquêteurs sur place.
Le
Cambodge constitue une autre zone prioritaire d’action. Là aussi les policiers
locaux sont demandeurs et la DCI favorise les échanges. Témoin de leurs
équipements souvent limités, elle leur prodigue des formations et, en fonction
de ses possibilités, du matériel, c’est-à-dire des ordinateurs et des moyens
d’exercer leurs missions de façon non sédentaire.
Les escroqueries
Dans
l’escroquerie au faux président, un individu bien renseigné sur sa cible se
fait passer pour le PDG ou le directeur d’une entreprise, rappelle Sophie Hatt.
En général l’escroc met sous pression le responsable comptable, expliquant que
le président doit acheter en urgence un équipement cher. Le demandeur sait
exactement le plafond jusqu’auquel sa proie peut faire un virement à
l’étranger. Il réclame donc juste quelques euros de moins pour ce faux
virement. Il fournit toutes les coordonnées bancaires, connaît souvent le nom,
le prénom, et des éléments personnels sur l’interlocuteur qu’il tourmente.
Typiquement, le virement soutiré passe par différents pays (souvent la
Hongrie), et achève ses transits par un dernier, en Israël, où se situent
beaucoup d’auteurs. Il en repart vers d’autres destinations, parfois la Chine.
Pour avoir l’opportunité de tenir en échec cette subtilisation, il faut une
réaction rapide. Or, la difficulté est que, souvent, la DCI n’a pas
connaissance d’une plainte, car le comptable de l’entreprise lui-même n’a pas
conscience d’avoir subi d’attaque. Il ne signale donc rien aux services de
police. L’argent file vite et disparaît sur des comptes inaccessibles. À partir
de là, solliciter la police d’une nation comme la Chine pour qu’elle bloque
l’argent ne donne rien. En revanche, si une plainte est déposée, alors la DCI,
par le réseau des attachés de sécurité intérieure et de ses relations, sans
demande d’entraide internationale, ni document réglementaire, saisit les
autorités. Et la Chine ne veut pas que l’image de sa moralité soit entachée. En
conséquence, le nécessaire est fait pour retenir les fonds et les remettre sur
les comptes français. La restitution tient à la lucidité et à la réactivité des
victimes.
La recherche de fugitifs
En
2020, le service a permis la localisation à l’étranger de 144 individus qui
faisaient l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par la justice française. Les
Émirats arabes ont récemment été cités sur ce sujet parce qu’ils servent de
région de villégiature à des responsables de trafics de stupéfiants sur le sol
français. Nos malfrats s’exportent. La coopération mise en place entre l’ASI et
la police émirienne a entrainé huit interpellations, puis des extraditions vers
la France. Une neuvième arrestation est en instance. Ces derniers mois, quatre
Français ont été appréhendés dans une même affaire à Dubaï et au Portugal sur
la base d’informations rapidement communiquées. Ce fonctionnement donne la
satisfaction de mettre un terme à l’insouciance de nos ressortissants qui
organisent leur industrie illégale, abrités dans un palace à l’étranger où ils
profitent de la vie.
La
Direction de la coopération internationale participe à la lutte contre la
criminalité organisée depuis les 73 postes qu’elle occupe en lien avec tous les
services français de police et de gendarmerie. La DCI recueille des quantités
de renseignements qu’elle transmet aux services en charge de les exploiter.
La corruption
« Il faut discuter avec tout le monde
sans naïveté. Certains partenaires, explique la directrice, ont des liens avec
le milieu criminel. Il s’agit de chefs, de dirigeants majeurs. La DCI est
contrainte de faire avec, sinon elle fermerait boutique dans plusieurs pays.
Personne n’est dupe et il est toujours possible de proposer d’y installer des
dispositifs de contrôle. Abandonner les lieux au prétexte de corruption serait
un échec. Parfois, une intelligentsia profite de la situation, mais en général,
chacun sait qui il a face à lui. Dans un régime contaminé, tout le personnel
n’est pas malhonnête. »
Il convient donc d’élaborer des méthodes pour identifier au sein des
bureaux les personnes toxiques, afin de composer plutôt avec leurs
collaborateurs. Il y a toujours des correspondants avec une éthique et de la
volonté. Une fois repérés, il faut les épauler pour améliorer la déontologie de
leur environnement, les inviter à observer comment les Français organisent des
inspections de service.
Autre cas, si on prend
l’exemple d’une zone comme les Balkans, la corruption, certes non négligeable,
ne constitue pas le seul facteur à considérer. En effet, nombre de pays de
cette région souhaitent intégrer l’Union européenne. Or l’objectif de rejoindre
les 27 commande des prérequis. Un État candidat doit se soumettre à des
obligations dont celle de professionnaliser certaines missions. Concrètement,
il doit rendre plus claires ses règles de fonctionnement et mettre en place des
unités de lutte contre la corruption, le blanchiment, etc. C’est du
donnant-donnant. Les services français se
heurtent à quelques nations où manque une volonté affichée de coopération
contre la criminalité internationale. Elles se déclarent pourtant prêtes à
perfectionner leurs moyens et à échanger. Cependant, si l’activité illégale
nourrit leur peuple englué dans un marasme économique historique (Amérique du
Sud), elle forme alors un pilier indestructible. Dans ce cas, la DCI intervient
modestement, empêchée de passer à une vitesse supérieure qui risquerait de
déstabiliser la société. Gardons à l’esprit que l’ASI et l’ambassadeur de
France sont des étrangers affectés à un pays. Invités, agréés par l’hôte, leur
statut peut changer du jour au lendemain. Ils doivent se conformer aux usages,
faire preuve de réserve et de discrétion, ne jamais critiquer le régime. Les
Français sont tolérés comme d’ailleurs ils tolèrent leurs homologues en France
puisqu’il y a évidemment des attachés de sécurité intérieure étrangers
résidents sur notre territoire. Si les agents français deviennent gênant, ils
doivent prendre garde à éviter la rupture. Ce frein limite épisodiquement des
coopérations. Sans réseau ni coordination, la lutte contre la criminalité
organisée contemporaine manque d’intelligence. Dans les années 1950, mener à
bien une enquête Paris-Marseille n’était pas simple. Au 21e siècle, les forces
de l’ordre et la justice, pour comprendre les systèmes qu’elles affrontent,
doivent disposer de la faculté de se projeter sur la planète. Ce pouvoir fait
la différence. Les échanges collaboratifs entre les autorités se situent
désormais au centre des méthodes d’investigation.
C2M