Saisi s’agissant de l’octroi de trois
subventions à l’association SOS Méditerranée, le Conseil d’État a notamment
souligné, dans plusieurs arrêts rendus le 13 mai, que les collectivités territoriales doivent
toujours s’assurer que leurs subventions financent bien des activités humanitaires, via des conventions qui doivent être suffisamment précises sur ce point.
Des aides, oui… mais pas sans
garde-fous. C’est, en substance, ce qu’a jugé le Conseil d’État, dans une série
de trois arrêts rendus le 13 mai. La haute juridiction administrative s’est « contentée »
de rappeler la loi applicable : les collectivités territoriales peuvent accorder
sous conditions une subvention à une action humanitaire internationale.
A l’origine de ces décisions,
trois requêtes distinctes qui ont fait du chemin avant d’arriver devant le
Conseil d’État. Antoine Oziol de Pignol, Johan Salacroup (anciens membres du
mouvement d’extrême-droite Génération identitaire, dissout en mars 2021) et Franck
Manogil (conseiller départemental RN à l’époque de la saisine) avaient saisi la
justice administrative pour contester, respectivement, des subventions
accordées par la Ville de Paris, la Ville de Montpellier et le département de
l’Hérault, destinées à l’association SOS Méditerranée. Ils réclamaient, en leur
qualité de contribuables pour les deux premiers, et de conseiller départemental
pour le troisième, que soit enjoint aux associations de restituer ces sommes au
département et aux communes concernées.
Pas d’ « intérêt
public local » nécessaire
Côté requérants, on estimait
- notamment – que la subvention visée n’était « justifiée par aucun
intérêt public local » ou encore qu’elle ne se rattachait « à
aucun domaine d'intervention du département », apprend-on à la lecture
des décisions des cours administratives d’appel de Toulouse et de Paris. Mais dans
ses arrêts rendus le 13 mai, le Conseil d’État est clair : la loi permet bien
aux collectivités territoriales de soutenir toute action internationale à
caractère humanitaire, sans « condition que cette action réponde à un
intérêt public local (…) ni qu’elle implique une autorité locale étrangère ».
Et alors que Johan Salacroup et
Franck Manogil reprochaient à l'activité de l'association SOS Méditerranée
France de ne « pas [constituer] une action internationale dès lors qu'elle
ne bénéficie pas à une population étrangère locale identifiée », le Conseil
d’État répond que l’activité de sauvetage en mer de SOS Méditerranée est bien
une action internationale à caractère humanitaire, car menée « en conformité
avec les principes du droit maritime international », lesquels prévoient
l’obligation de secourir les personnes se trouvant en détresse en mer quels que
soient leur nationalité et leur statut.
Sur la possibilité pour les
collectivités territoriales de soutenir toute action internationale à caractère
humanitaire, la juridiction apporte toutefois une nuance : la loi prévoit
également un certain nombre de garanties. A savoir que l’action humanitaire qui
fait l’objet d’une aide financière doit respecter les engagements
internationaux de la France, ne pas interférer avec la conduite par l’État des
relations internationales de la France, ni conduire une collectivité
territoriale à prendre parti dans un conflit de nature politique.
Les associations aidées peuvent prendre
position politiquement
Le Conseil d’État procède à
un autre rappel important : la prise de position d’une organisation dans
le débat public « ne fait pas obstacle à ce qu’une collectivité
territoriale lui accorde un soutien » pour une action internationale à
caractère humanitaire.
Il juge ainsi que le fait
que les responsables de SOS Méditerranée se soient exprimés sur la politique de
l’Union européenne et de certains États en matière de sauvetage en mer des
migrants ne suffit pas à interdire aux collectivités territoriales d’apporter
un soutien à son activité opérationnelle de sauvetage en mer, répondant ici à
deux requérants qui pointaient « l'action politique et des conflits
internationaux suscités » par l'association.
Toutefois, là encore, la
juridiction indique l’existence de deux conditions : que l’action humanitaire
ne constitue pas en réalité une action à caractère politique, et que la collectivité
territoriale s’assure que son aide sera « exclusivement destinée »
au financement de cette action.
La subvention de Montpellier
annulée car insuffisamment ciblée
Et c’est là que le bât blesse
pour la subvention accordée par la Ville de Montpellier. Car si le Conseil
d’État considère que les subventions de la Ville de Paris et du département de
l’Hérault à SOS Méditerranée sont conformes à la loi, il annule la subvention accordée
par la commune montpelliéraine, qu’il juge insuffisamment ciblée.
L’arrêt le souligne en effet :
aucun élément ne permet d’établir que la commune s’est assurée que son aide
serait exclusivement destinée au financement de l’action internationale
humanitaire qu’elle entendait soutenir.
La délibération « ne
précise pas la destination de la subvention de 15 000 euros qu’elle accorde à
l’association », et « [l’article 1] se borne à stipuler que la
subvention a été sollicitée pour le fonctionnement de l’association », analyse le Conseil d'État.
De quoi annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel de Toulouse du 28
mars 2023 ainsi que le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 19
octobre 2021, qui rejetaient la requête de Johan Salacroup.
Les collectivités sont donc
averties : l’imprécision dans les conventions qu’elles concluent avec les associations
humanitaires peut avoir raison de leurs subventions. Un problème évité entre
autres par la Ville de Paris, dont la subvention de 100 000 euros accordée à un
programme de sauvetage en mer et de soins aux migrants dans le cadre de l’aide
d’urgence, « exclusivement destinée à financer l’affrètement d’un
nouveau navire en vue de permettre à l’association de reprendre ses activités
de secours en mer », est validée par le Conseil d’État.
Bérengère
Margaritelli