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Le Sénat adopte en deuxième lecture la proposition de loi visant à mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales

Le Sénat adopte en deuxième lecture la proposition de loi visant à mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales
Publié le 07/02/2024 à 16:40

Au terme d’un vif débat concentré sur l’article 1er, les sénateurs ont voté un texte qui prévoit notamment, en cas d'inceste, que l’exercice de l’autorité parentale sera suspendu de plein droit, dès le stade des poursuites et jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales saisi par ce parent, la décision de non-lieu ou l’arrêt pénal. Compte rendu de cette séance intense.

« Les chiffres sont édifiants et nous ne pouvons pas dire que nous ne les connaissons pas : 400 000 enfants vivent dans un foyer où s’exercent des violences intrafamiliales de manière permanente, 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année », a rappelé Evelyne Corbière Naminzo (CRCE-K) devant l’Hémicycle, mardi 6 février.

Ce même jour, le Sénat a adopté en deuxième lecture la proposition de loi n°344 (2022-2023) visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, déposée par la députée Isabelle Santiago et les membres du groupe Socialistes et apparentés.

S’inspirant des recommandations de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), ce texte vise à élargir le mécanisme de suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale créé par la loi du 28 décembre 2019 dans le cadre des procédures pénales, et rendre plus systématique le prononcé du retrait de l’autorité parentale par les juridictions pénales en cas de crime commis sur la personne de l’enfant ou de l’autre parent ou d’agression sexuelle incestueuse sur l’enfant, les dispositions prévues étant peu appliquées. 

Un texte « très attendu », a souligné Eric Dupond-Moretti en introduction de cette séance, « car il renforce la protection des plus vulnérables, car il est de notre devoir de protéger l'enfant victime de son parent agresseur, et car le foyer doit toujours rester un lieu où l’enfant peut grandir en paix et en sécurité », a indiqué le ministre de la Justice. 

Texte qui fait par ailleurs majoritairement consensus, en tout cas s’agissant de son article 2, qui prévoit que le juge pénal aura l'obligation et non plus la simple faculté de retirer l’autorité parentale ou son exercice en cas de condamnation d’un parent d’un crime ou d’une agression sexuelle incestueuse commis sur la personne de son enfant ou sur l’autre parent. Idem pour son article 2 ter, qui prévoit que le parent privé de l’exercice de l’autorité parentale et de ses droits de visite et d’hébergement à la suite d’une condamnation pénale ne pourra pas saisir le juge aux affaires familiales (JAF) afin de se voir restituer cet exercice et ses droits de visite et d’hébergement avant expiration délai de 6 mois, et pour son article 3, dont l’objectif est de simplifier le Code pénal avec un article unique regroupant toutes les dispositions applicables en matière de retrait de l’autorité parentale d’un contenu identique aux dispositions figurant dans le Code civil.

Un article 1er largement source de dissensions

Toutefois, l’article 1er, objet de divergences, a de nouveau été au centre des débats lors de cette séance publique. En effet, cet article avait déjà été la source de discussions prolixes et de réécritures.

Alors que, dans sa dernière version réécrite en commission des lois à l’Assemblée nationale, à l'initiative de la députée Isabelle Santiago elle-même, la proposition de loi prévoyait qu’en cas de poursuite, mise en examen ou condamnation pour un crime commis sur l’autre parent, ou de crime ou agression sexuelle incestueuse commis sur l’enfant, l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement seraient suspendus de plein droit durant toute la procédure pénale, jusqu’à la décision du JAF éventuellement saisi par le parent poursuivi (et non plus systématiquement par le procureur de la République dans les huit jours) ou jusqu’à la décision de non-lieu ou la décision de la juridiction de jugement, la commission des lois du Sénat avait dernièrement modifié cette suspension des droits pour la remplacer par une suspension opérant jusqu’à la décision du JAF et pour une durée maximale de 6 mois. 

De la même façon, tandis que les députés avaient également prévu un régime spécifique selon lequel, en cas de condamnation – même non définitive – pour des violences volontaires ayant entraîné une interruption temporaire de travail (ITT) de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits, l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement seraient suspendus de plein droit jusqu’à la décision du JAF qui devrait être saisi par l’un des parents dans les six mois à compter de la décision pénale, la commission des lois du Sénat avait supprimé l’alinéa prévoyant ce mécanisme.

En réaction, des amendements avaient été proposés par plusieurs sénateurs pour rétablir la version de l'article 1er telle qu’adoptée par l’Assemblée. Le 6 février, en séance, Éric Dupond-Moretti a ainsi émis un avis de sagesse concernant ces amendements, estimant que « tout est question de proportionnalité » : « La prudence milite pour conserver un maximum de garanties au bénéfice de l’enfant. »

La suspension de l’autorité parentale pendant toute la durée de la procédure rétablie

La rapporteure Marie Mercier a toutefois indiqué que la commission était attachée au « caractère provisoire, pour une durée maximale de 6 mois » de la suspension de l’autorité parentale, qui, selon elle, « présente un équilibre entre nécessité de protéger d’un côté et respect de la présomption d'innocence et du droit de l’enfant à maintenir des relations avec ses deux parents de l’autre ». 

Un avis partagé par Francis Szpiner (Les Républicains), qui a rappelé que la Convention européenne des droits de l’Homme prévoit le droit à la vie familiale et le droit au juge, et qui a estimé nécessaire de protéger la présomption d’innocence et les libertés individuelles : « Même en matière d’atteintes aux droits de l’enfant, nous ne pouvons pas faire fi de ces libertés. » Ce à quoi Éric Dupond-Moretti a répondu que la présomption d’innocence était néanmoins un principe que l’on ne pouvait « pas mettre à toutes les sauces ».

« Pour rappel, un enfant est tué par l’un de ses parents tous les cinq jours en moyenne, et les parents représentent 86 % des auteurs présumés de maltraitances. Qu’allons-nous dire à ces victimes ? Qu’il était disproportionné de les maintenir éloignés de leur parent violent ? » a de son côté interpellé Annick Billon (Union centriste), dépositaire de l’un des amendements visant à supprimer ce caractère provisoire de la suspension de l’autorité parentale. « Il est urgent de rappeler dans la loi que tout enfant doit être protégé, y compris de ses parents quand il le faut. La certitude selon laquelle le lien entre l’enfant et son parent doit être maintenu à tout prix irrigue encore trop souvent la pensée des magistrats » a abondé Evelyne Corbière Naminzo (CRCE-K). 

Alors que la procédure peut durer plusieurs années, « il est indispensable de protéger l’enfant pendant l’intégralité de cette période », a pour sa part fait valoir Laurence Harribey (SER), quand la vice-présidente de la commission de lois, Nathalie Delattre (RDSE), également dépositaire d’un amendement, a appelé à « ne pas faire preuve de timidité ». « Il ne peut pas y avoir de compromis en la matière », a ainsi martelé la sénatrice, pointant que le délai de six mois souhaité par la commission des lois constitue un « entre-deux », et rappelant que le dispositif tel que rédigé par l’Assemblée nationale comporte un garde-fou, puisque le parent conserve la possibilité de saisir le JAF. 

Au terme du débat, et de la rectification de plusieurs amendements, ceux des sénateurs Nathalie Delattre, Thani Mohamed Soilihi (RDPI), Anick Billon et Dominique Vérien (Union centriste) ont finalement été adoptés à 276 voix pour, une contre, les autres amendements étant en revanche tombés. Selon le texte adopté, le Sénat prévoit ainsi à l’article 378-2 du Code civil que l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement seront « suspendus de plein droit », dès le stade des poursuites, en cas de crime ou d’agression sexuelle incestueuse commis sur l’enfant, « jusqu’à la décision du JAF, le cas échéant saisi par le parent poursuivi, jusqu’à la décision de non-lieu du juge d’instruction ou jusqu’à la décision du jugement ou de l’arrêt pénal ». De quoi réjouir la sénatrice Nathalie Delattre que soit conservé « le fait majeur » qu’un certain nombre de sénateurs souhaitaient conserver, comme elle l’a exprimé.

Exit le régime spécifique en cas d’ITT : des espoirs placés sur la CMP

Exit cependant l’alinéa prévoyant un régime spécifique en cas d’ITT, qui, du point de vue d’Eric Dupond-Moretti, présentait pourtant un « équilibre proportionné pour conserver un maximum de garanties au bénéfice de l’enfant ». 

Si Laurence Harribey a indiqué, en séance, trouver « dangereuse » la suppression de ce paragraphe, Dominique Vérien a précisé, avant que le débat ne soit clos, que cet alinéa, « très complexe », venait « affaiblir ce qui se trouve plus tard dans le texte » et « ne pouvait pas fonctionner pour le juge ». « Nous l’avons retiré pour laisser au Sénat la possibilité d’avoir un texte plus facilement applicable. »

« On se rapproche peu à peu de la rédaction de l’Assemblée nationale » a par ailleurs relativisé Nathalie Delattre. Et d’ajouter : « Il restera peu de pas à faire pour rétablir cette rédaction initiale en commission mixte paritaire ! » (CMP). Un combat que le groupe SER de Laurence Harribey compte bien mener également, lui qui a fait savoir depuis par voie de presse que ses sénateurs déploraient « les tentatives de la droite sénatoriale de vider [la] proposition de loi de son contenu » et qu’ils « s’attacher[aient] à rétablir l’ensemble des dispositions du texte originel ». 

Bérengère Margaritelli

 

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