Le
13 juin dernier, Gabriel Attal a annoncé que le décret réformant à nouveau
l’assurance chômage serait bien pris « d’ici au 1er juillet ». Une
décision a priori incompatible avec la théorie des affaires courantes, exposée
le 11 juin par l’ancien vice-président de la Conférences bâtonniers de France.
Le JSS fait le point.
La
dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin a soulevé plusieurs
interrogations, notamment en matière de gouvernance : quel est le champ
d’action des ministres d’ici à la tenue des prochaines élections législatives
des 30 juin et 7 juillet prochains ? Dans une interview publiée le
11 juin par Actu Juridique, Patrick Lingibé, membre du Conseil national
des barreaux et ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de
France, évoquait la « théorie des affaires courantes ». « Le
gouvernement ne peut aujourd’hui que se limiter à gérer les affaires courantes
sans entreprendre de programmes pouvant hypothéquer les actions de futurs
gouvernants potentiels », expliquait le professionnel du droit, en
précisant que les affaires courantes relèvent du quotidien, de
l’indispensable.
Selon
lui, nous entrons dans une « période de mise en sommeil de l’activité
gouvernementale » pendant laquelle « toutes les actions importantes
supposant l’engagement de dépenses conséquentes sont suspendues, les ministres
en exercice ne disposant plus de la légitimité pour engager durablement l’État.
» Ainsi, lorsque le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé le 13 juin sur France Inter que
le décret réformant à nouveau l’assurance chômage serait bien pris « d’ici
au 1er juillet », la décision a étonné : le gouvernement risque-t-il
une sanction ?
« Les prérogatives d’un gouvernement
normal »
La
réponse est non, d’après Pierre-Louis Paillot, doctorant contractuel en droit constitutionnel. « Je ne suis pas sûr que la notion
d’affaires courantes soit pertinente ici, estime-t-il. Cela s’applique en théorie à un gouvernement
démissionnaire ou à un gouvernement qui aurait perdu la confiance de
l’Assemblée aux termes de l’une des modalités de l’article 49. » En l'occurrence, le gouvernement
Attal est toujours compétent jusqu’en juillet. Enseignante et chercheuse spécialisée en droit social
constitutionnel, Bérénice Bauduin opine. « Je pense que l’analyse [de Patrick Lingibé] est erronée,
développe-t-elle. Avec la dissolution, c’est l’Assemblée nationale qui a
arrêté ses travaux. Pour le moment, le gouvernement a encore tous ses pouvoirs
réglementaires autonomes. »
L’experte use d’une analogie simple
: le Premier ministre avait un CDI, aujourd’hui il a un CDD – avec un terme qui arrive dans moins
de trois semaines – mais il n’a pas encore démissionné. « Le gouvernement Attal a donc les
prérogatives d’un gouvernement normal, comme celui de prendre des actes
réglementaires, tels que les décrets, reprend Bérénice Bauduin, en évoquant celui sur l’assurance chômage.
La seule chose qu'il ne peut plus faire, parce que cela n’a plus d'intérêt,
c’est de déposer des projets de loi sur le bureau de l'Assemblée. » « Il ne peut seulement plus compter sur le Parlement pour passer par la voie
législative », ajoute Pierre-Louis Paillot.
Une jurisprudence ancienne
Si
on peut lire sous la plume de Patrick Lingibé que des « actes qui
dépasseraient le cadre de la gestion des affaires courantes pourraient être
sanctionnés par le Conseil d’État », la jurisprudence est pauvre en la matière. « Le juge se prononce s'il y
a des litiges. Pour qu'il y en ait, il faut que le gouvernement fasse quelque
chose qui est d'apparence problématique pour que quelqu'un le conteste,
contextualise Bérénice Bauduin. Si on est sur une jurisprudence qui est très
claire et bien installée, a priori, le gouvernement n’a pas d'intérêt à aller à
son encontre. » De fait, il n’y a pour l’instant
pas de recours prévu contre le décret modifiant l’assurance chômage et il n’y a
pas de nouvelle jurisprudence. Celles qui
existent sur les affaires courantes datent des années 1950 et 1960.
En 1952, le Conseil d’État s’est référé au « principe traditionnel de
droit public », selon lequel un gouvernement démissionnaire « ne pouvait
que procéder à l’expédition des affaires courantes » – CE, Ass., 4
avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie. « L’autre décision qui
date de 1962, conclut Bérénice Bauduin, dit que “le gouvernement démissionnaire garde
compétence, jusqu’à ce que le président de la République ait pourvu par une
décision officielle à son remplacement, pour procéder à l’expédition des
affaires courantes” » – CE, Ass., 19 octobre 1962, Sieur Brocas.
En somme, Gabriel Attal aura bien toute latitude juridique pour faire
passer cette nouvelle réforme de l’assurance chômage, quand bien même les deux
principales forces politiques en tête des sondages, le Nouveau front populaire
et le Rassemblement national, ont annoncé leur intention de la supprimer si
elles devaient arriver au pouvoir le 7 juillet prochain, date du second tour
des élections législatives anticipées.
Floriane Valdayron