DROIT

Le décret réformant l’assurance chômage est-il légal malgré la dissolution ?

Le décret réformant l’assurance chômage est-il légal malgré la dissolution ?
La jurisprudence du Conseil d'État ne s'oppose pas à la prise du décret sur l'assurance chômage
Publié le 19/06/2024 à 15:15
Le 13 juin dernier, Gabriel Attal a annoncé que le décret réformant à nouveau l’assurance chômage serait bien pris « d’ici au 1er juillet ». Une décision a priori incompatible avec la théorie des affaires courantes, exposée le 11 juin par l’ancien vice-président de la Conférences bâtonniers de France. Le JSS fait le point.

La dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin a soulevé plusieurs interrogations, notamment en matière de gouvernance : quel est le champ d’action des ministres d’ici à la tenue des prochaines élections législatives des 30 juin et 7 juillet prochains ? Dans une interview publiée le 11 juin par Actu Juridique, Patrick Lingibé, membre du Conseil national des barreaux et ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France, évoquait la « théorie des affaires courantes ». « Le gouvernement ne peut aujourd’hui que se limiter à gérer les affaires courantes sans entreprendre de programmes pouvant hypothéquer les actions de futurs gouvernants potentiels », expliquait le professionnel du droit, en précisant que les affaires courantes relèvent du quotidien, de l’indispensable. 

Selon lui, nous entrons dans une « période de mise en sommeil de l’activité gouvernementale » pendant laquelle « toutes les actions importantes supposant l’engagement de dépenses conséquentes sont suspendues, les ministres en exercice ne disposant plus de la légitimité pour engager durablement l’État. » Ainsi, lorsque le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé le 13 juin sur France Inter que le décret réformant à nouveau l’assurance chômage serait bien pris « d’ici au 1er juillet », la décision a étonné : le gouvernement risque-t-il une sanction ? 

« Les prérogatives d’un gouvernement normal »

La réponse est non, d’après Pierre-Louis Paillot, doctorant contractuel en droit constitutionnel. « Je ne suis pas sûr que la notion d’affaires courantes soit pertinente ici, estime-t-il. Cela s’applique en théorie à un gouvernement démissionnaire ou à un gouvernement qui aurait perdu la confiance de l’Assemblée aux termes de l’une des modalités de l’article 49. » En l'occurrence, le gouvernement Attal est toujours compétent jusqu’en juillet. Enseignante et chercheuse spécialisée en droit social constitutionnel, Bérénice Bauduin opine. « Je pense que l’analyse [de Patrick Lingibé] est erronée, développe-t-elle. Avec la dissolution, c’est l’Assemblée nationale qui a arrêté ses travaux. Pour le moment, le gouvernement a encore tous ses pouvoirs réglementaires autonomes. »

L’experte use d’une analogie simple : le Premier ministre avait un CDI, aujourd’hui il a un CDD – avec un terme qui arrive dans moins de trois semaines – mais il n’a pas encore démissionné. « Le gouvernement Attal a donc les prérogatives d’un gouvernement normal, comme celui de prendre des actes réglementaires, tels que les décrets, reprend Bérénice Bauduin, en évoquant celui sur l’assurance chômage. La seule chose qu'il ne peut plus faire, parce que cela n’a plus d'intérêt, c’est de déposer des projets de loi sur le bureau de l'Assemblée. » « Il ne peut seulement plus compter sur le Parlement pour passer par la voie législative », ajoute Pierre-Louis Paillot.

Une jurisprudence ancienne

Si on peut lire sous la plume de Patrick Lingibé que des « actes qui dépasseraient le cadre de la gestion des affaires courantes pourraient être sanctionnés par le Conseil d’État », la jurisprudence est pauvre en la matière. « Le juge se prononce s'il y a des litiges. Pour qu'il y en ait, il faut que le gouvernement fasse quelque chose qui est d'apparence problématique pour que quelqu'un le conteste, contextualise Bérénice Bauduin. Si on est sur une jurisprudence qui est très claire et bien installée, a priori, le gouvernement n’a pas d'intérêt à aller à son encontre. » De fait, il n’y a pour l’instant pas de recours prévu contre le décret modifiant l’assurance chômage et il n’y a pas de nouvelle jurisprudence. Celles qui existent sur les affaires courantes datent des années 1950 et 1960.

En 1952, le Conseil d’État s’est référé au « principe traditionnel de droit public », selon lequel un gouvernement démissionnaire « ne pouvait que procéder à l’expédition des affaires courantes » CE, Ass., 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie. « L’autre décision qui date de 1962, conclut Bérénice Bauduin, dit que  “le gouvernement démissionnaire garde compétence, jusqu’à ce que le président de la République ait pourvu par une décision officielle à son remplacement, pour procéder à l’expédition des affaires courantes” » – CE, Ass., 19 octobre 1962, Sieur Brocas.

En somme, Gabriel Attal aura bien toute latitude juridique pour faire passer cette nouvelle réforme de l’assurance chômage, quand bien même les deux principales forces politiques en tête des sondages, le Nouveau front populaire et le Rassemblement national, ont annoncé leur intention de la supprimer si elles devaient arriver au pouvoir le 7 juillet prochain, date du second tour des élections législatives anticipées.

Floriane Valdayron

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