Le sujet s’est
invité jusque dans les débats de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle. Le président désormais réélu, Emmanuel Macron, y a en effet annoncé prôner le développement des énergies
en mer, et en particulier de l’éolien en mer, en complément d’une stratégie de
revitalisation du secteur nucléaire.
Cette « économie bleue »
constitue un potentiel d’énergies presque inépuisable, et ce d’autant que la
France dispose du deuxième espace maritime mondial. Elle pourrait donc être un
atout de taille pour atteindre l’objectif des 40 % d’énergies renouvelables dans la
production d’électricité avant 2030 fixé par la loi Énergie et Climat de 2019.
Pourtant, elle ne représente pour l’instant qu’une très
faible fraction du mix renouvelable français. Selon les recherches menées par
l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), la capacité
énergétique mondiale des océans pourrait être multipliée par 20 d’ici 2030.
Le terme « énergies marines renouvelables »
recouvre des technologies très diverses. L’on pense bien sûr, en premier lieu,
à l’éolien en mer dont le développement en France semble s’accélérer, notamment en
raison de son efficacité plus importante par
rapport à l’éolien
terrestre et à son impact paysager moindre. Mais
la mer est également le lieu qui peut
accueillir des projets photovoltaïques flottants, tels qu’actuellement en cours de conception
dans certains pays européens tels que les Pays-Bas, permettant ainsi d’éviter
une artificialisation des sols trop importante. Enfin, des installations
utilisant l’énergie des marées, des courants, des vagues ou encore l’énergie
thermique de la mer peuvent également représenter des solutions intéressantes,
tant le potentiel énergétique de l’océan est grand.
Le développement de ces filières nécessite la mise en œuvre
d’innovations technologiques majeures et donc d’investissements massifs afin de
généraliser l’emploi de ces installations produisant de l’énergie renouvelable.
Au-delà des aspects technologiques et économiques, les
énergies renouvelables en mer présentent naturellement une multitude de
problématiques juridiques singulières. Le présent article ne prétend pas à
l’exhaustivité, chaque type d’énergie – chaque type d’installation technique,
même – pouvant faire l’objet d’une étude poussée.
Il entend relever les principaux défis juridiques en cours
ou à venir dans le cadre du développement des énergies marines renouvelables.
Le plus saillant, à l’heure actuelle, constitue sans doute la protection de la
biodiversité, l’implantation d’installations d’énergies marines renouvelables
pouvant avoir un impact fort. Les porteurs de projets doivent également porter
leur attention sur les questions de domanialité publique, et notamment en ce
qui concerne le domaine public maritime. Enfin, un regard prospectif nous
conduit à envisager des futures problématiques liées au droit maritime
international.
Les atteintes à la biodiversité
Loin du sol, les installations d’énergies marines
renouvelables ne sont pas moins susceptibles d’impacter fortement la
biodiversité. Ainsi, les pales des éoliennes peuvent entraîner une mortalité
avicole, tandis que les câbles et autres pylônes de béton s’ancrent
sur les fonds marins. Autre exemple, les panneaux photovoltaïques flottants peuvent
modifier la température de l’eau.
C’est ainsi que le sujet de la protection de la
biodiversité tient une très grande place dès les concertations publiques autour
de ces projets, et se poursuit dans le contentieux – contentieux pour lequel,
pour rappel, le Conseil d’État est désormais compétent en vertu de l’article L.
311-13 du Code de justice administrative.
C’est en premier lieu autour de la question des espèces
protégées que doit se concentrer l’attention des porteurs de projet. Pour
rappel, le Code de l’environnement fixe un principe d’interdiction d’atteinte
aux espèces protégées, auquel il peut être dérogé grâce à l’obtention d’une
dérogation sur le fondement de l’article L. 411-2 du Code de
l’environnement. Les projets d’énergies marines renouvelables, aussi loin du
rivage soient-ils, ne sont pas exemptés de cette dérogation s’ils sont susceptibles
d’entraîner la destruction d’espèces protégées, comme l’a rappelé en 2020 la
cour administrative d’appel de Nantes1.
Pour obtenir une telle dérogation, le projet doit
répondre à trois conditions cumulatives, tenant à l’existence d’une raison
impérative d’intérêt public majeur, à l’absence d’alternative satisfaisante et
au maintien des espèces dans un état de conservation favorable. Concernant les
projets d’énergies marines renouvelables, la jurisprudence administrative
semble pour l’instant relativement encline à admettre l’existence d’une raison
impérative d’intérêt public majeur, condition qui cristallise la plupart des
contentieux2.
En deuxième lieu, la protection des sites classés Natura
2000 renferme également une difficulté d’ordre juridique pour les installations
d’énergies marines renouvelables. Si les dispositions encadrant le dispositif
de protection Natura 2000 sont moins strictes que celles précitées concernant
les espèces protégées, les installations situées au sein ou à proximité d’un
tel site doivent évaluer leur impact sur la zone, et ne pas porter atteinte aux
objectifs de conservation du site. En cas d’atteinte, une dérogation doit être
demandée et peut être délivrée au titre de l’article L. 414-4 VII du Code de
l’environnement en présence de raisons impératives d’intérêt public majeur et
en l’absence de solutions alternatives. Le juge administratif a très récemment
eu l’occasion d’apprécier en détail la validité d’une telle décision dans le
cadre d’un projet éolien flottant expérimental en Méditerranée, estimant en
l’espèce que les conditions étaient remplies (CAA de Nantes, 5e
chambre, 05/04/2022, 19NT02389).
En troisième lieu, l’implantation d’une installation au
sein d’un parc naturel marin pourrait également se révéler problématique. En effet,
si cette protection juridique apparaît moins contraignante que celles
précédemment citées, elle impose tout de même de recueillir l’avis conforme de
l’Office Français de la Biodiversité en vertu de l’article L. 334-5 du Code de
l’environnement. Par ailleurs, il n’est pas à exclure que cette protection soit
invoquée dans le cadre d’un éventuel contentieux.
Le professeur Bordereaux résume ainsi très justement ce
délicat équilibre entre recherche de protection de la biodiversité et volonté
de développement du renouvelable : « notre vision de la mer (…) ne
peut être uniquement pensée, au nom de la lutte contre le changement
climatique, comme l’avenir énergétique de l’être humain3 ».
L’occupation du domaine public maritime
Pour mener à bien un projet d’énergies marines
renouvelables, un titre d’occupation du domaine public maritime peut être
nécessaire en application de l’article L. 2122-1 du Code général de la
propriété des personnes publiques.
Le domaine public maritime naturel est composé, pour ce
qui est de la mer, du sol et du sous-sol de la mer, compris entre la limite
haute du rivage, c’est-à-dire celle des plus hautes mers en l’absence de
perturbations météorologiques exceptionnelles, et la limite, côté large, de la
mer territoriale fixée à 12 miles.
L’article L. 2124-1 du Code de la propriété des personnes
publiques prévoit que « Les décisions d’utilisation du domaine
public maritime tiennent compte de la vocation des zones concernées et de
celles des espaces terrestres avoisinants, ainsi que des impératifs de
préservation des sites et paysages du littoral et des ressources
biologiques » et qu’elles « doivent être compatibles avec
les objectifs environnementaux du plan d’action
pour le milieu marin prévus aux articles L. 219-9 à L. 2019-18 du Code de
l’environnement. »
La délivrance d’une telle autorisation doit donc elle
aussi tenir compte de certains impératifs environnementaux, même de façon
indirecte. Il n’est donc pas exclu qu’un contentieux à l’encontre des
autorisations délivrées au titre de la domanialité publique puisse naître.
Cette situation interroge sur l’opportunité de
développer des projets plus au large au sein de la zone économique exclusive, un espace maritime régi par la Convention
des Nations unies pour le droit de la mer du 10 décembre 1982, dite
« Convention de Montego Bay ». Cette zone est située au-delà du
domaine public maritime, ce qui pourrait permettre de contourner ces
difficultés, même si elle augmentera certainement significativement les coûts
de raccordement.
Soulignons toutefois que l’avantage de traitement
s’arrête là, en particulier en ce qui concerne la taxe éolienne en mer prévue
au titre de l’article 1519 B du Code général des impôts (CGI), qui était
autrefois uniquement prévue pour les installations situées sur le domaine
public maritime, la loi de finances pour 2022 a étendu ce régime aux projets
situés au sein de la zone économique exclusive.
Les questions de droit maritime
international
Qui dit installations renouvelables
en mer, dit emprise importante sur l’espace maritime, quel que soit le type
d’installation (éolien, photovoltaïque flottant). Cette emprise peut, outre les
problématiques précédemment évoquées, également poser des problèmes en matière
de gestion de l’espace et de circulation des navires. En effet, cette activité
est relativement inédite, et surtout particulièrement gourmande en espace.
Des routes maritimes déjà étroites
pourront ainsi se retrouver « encombrées » par des projets de parcs
très étendus. Ce sont plusieurs milliers de kilomètres carrés d’espace maritime
qui seront occupés.
La problématique est particulièrement saillante en ce qui
concerne les zones économiques exclusives, qui accueillent déjà de nombreux
projets dans plusieurs pays européens. En effet, comme précédemment évoqué, en
la matière s’applique la Convention de Montego Bay, qui impose aux États
signataires de respecter les rails de navigation. Aucune activité ne doit ainsi
entraver la liberté de navigation ou le droit de poser des câbles sous-marins.
Or, on le devine, l’implantation d’installations très
consommatrices d’espace maritime présente un risque non négligeable d’entrave à
la navigation et de collision avec les navires, restreignant le principe de
liberté de navigation posé par la convention de Montego Bay. La construction
d’une telle installation représente en effet une appropriation définitive, de
facto, de l’espace maritime.
Outre cette entrave significative, l’utilisation de la zone
économique exclusive comme terrain d’implantation des installations renouvelables
interroge également concernant le sort des zones litigieuses, c’est-à-dire
revendiquées par plusieurs pays. L’essor de la filière et l’innovation
technologique, maîtrisée par certains États, pourra donc créer de nouveaux
contentieux internationaux.
Par ailleurs, il est également permis de s’interroger sur
la grande vulnérabilité de ces projets d’envergure d’énergies renouvelables. En
effet, ces installations présentent un caractère inédit dès lors qu’elles
déploient une grande capacité d’énergie de production électrique hors du
territoire national, et donc très exposée à une attaque potentielle. Les
mesures de sécurisation sur ces installations sont naturellement bien moindres
que pour toute installation implantée sur le continent. Dès lors, au fur et à
mesure que la proportion d’énergie électrique produite de cette manière
augmente, le développement de cette filière pourra nécessiter la surveillance
des forces armées, afin de garantir la sécurité de l’approvisionnement
énergétique national.
Dans un contexte géopolitique particulièrement agité, ces
enjeux de droit maritime international ne sauraient être ignorés.
Par rapport à ses voisins européens, la France accuse un
certain retard en matière d’énergies marines renouvelables, alors que le
potentiel de développement semble immense. Pour garantir l’essor de la filière,
il faudra veiller à ne pas s’échouer sur les différents écueils juridiques
présentés.
1) CAA Nantes, 6 oct. 2020, Assoc.
Nature et Citoyenneté Crau Camargue Alpilles, n° 18NT02389.
2) V. ainsi par exemple CAA Nantes,
6 oct. 2020, n° 19NT01714, 19NT02501 et 19NT02520, Assoc. Sans offshore à
l’horizon et a. ; CAA Nantes, 3 juill. 2020, n° 19NT01583, Assoc. des
commerçants de Noirmoutier.
3) « Eolien offshore en zone Natura 2000 : des projets sous haute
surveillance du juge », Bordereaux L., La Gazette des communes,
11 avril 2022.
Arielle Guillaumot,
Avocate à la Cour,
Cabinet Huglo Lepage Avocats