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Le droit face au développement des énergies marines renouvelables

Le droit face au développement des énergies marines renouvelables
Publié le 19/05/2022 à 15:08

Le sujet s’est invité jusque dans les débats de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle. Le président désormais réélu, Emmanuel Macron, y a en effet annoncé prôner le développement des énergies en mer, et en particulier de l’éolien en mer, en complément dune stratégie de revitalisation du secteur nucléaire.

Cette « économie bleue » constitue un potentiel d’énergies presque inépuisable, et ce d’autant que la France dispose du deuxième espace maritime mondial. Elle pourrait donc être un atout de taille pour atteindre l’objectif des 40 % d’énergies renouvelables dans la production d’électricité avant 2030 fixé par la loi Énergie et Climat de 2019.

Pourtant, elle ne représente pour l’instant qu’une très faible fraction du mix renouvelable français. Selon les recherches menées par l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), la capacité énergétique mondiale des océans pourrait être multipliée par 20 d’ici 2030.

Le terme « énergies marines renouvelables » recouvre des technologies très diverses. L’on pense bien sûr, en premier lieu, à l’éolien en mer dont le développement en France semble s’accélérer, notamment en raison de son efficacité plus importante par rapport à l’éolien terrestre et à son impact paysager moindre. Mais la mer est également le lieu qui peut accueillir des projets photovoltaïques flottants, tels qu’actuellement en cours de conception dans certains pays européens tels que les Pays-Bas, permettant ainsi d’éviter une artificialisation des sols trop importante. Enfin, des installations utilisant l’énergie des marées, des courants, des vagues ou encore l’énergie thermique de la mer peuvent également représenter des solutions intéressantes, tant le potentiel énergétique de l’océan est grand.

Le développement de ces filières nécessite la mise en œuvre d’innovations technologiques majeures et donc d’investissements massifs afin de généraliser l’emploi de ces installations produisant de l’énergie renouvelable.

Au-delà des aspects technologiques et économiques, les énergies renouvelables en mer présentent naturellement une multitude de problématiques juridiques singulières. Le présent article ne prétend pas à l’exhaustivité, chaque type d’énergie – chaque type d’installation technique, même – pouvant faire l’objet d’une étude poussée.

Il entend relever les principaux défis juridiques en cours ou à venir dans le cadre du développement des énergies marines renouvelables. Le plus saillant, à l’heure actuelle, constitue sans doute la protection de la biodiversité, l’implantation d’installations d’énergies marines renouvelables pouvant avoir un impact fort. Les porteurs de projets doivent également porter leur attention sur les questions de domanialité publique, et notamment en ce qui concerne le domaine public maritime. Enfin, un regard prospectif nous conduit à envisager des futures problématiques liées au droit maritime international.

 

 

Les atteintes à la biodiversité

Loin du sol, les installations d’énergies marines renouvelables ne sont pas moins susceptibles d’impacter fortement la biodiversité. Ainsi, les pales des éoliennes peuvent entraîner une mortalité avicole, tandis que les câbles et autres pylônes de béton sancrent sur les fonds marins. Autre exemple, les panneaux photovoltaïques flottants peuvent modifier la température de l’eau.

C’est ainsi que le sujet de la protection de la biodiversité tient une très grande place dès les concertations publiques autour de ces projets, et se poursuit dans le contentieux – contentieux pour lequel, pour rappel, le Conseil d’État est désormais compétent en vertu de l’article L. 311-13 du Code de justice administrative.

C’est en premier lieu autour de la question des espèces protégées que doit se concentrer l’attention des porteurs de projet. Pour rappel, le Code de l’environnement fixe un principe d’interdiction d’atteinte aux espèces protégées, auquel il peut être dérogé grâce à l’obtention d’une dérogation sur le fondement de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement. Les projets d’énergies marines renouvelables, aussi loin du rivage soient-ils, ne sont pas exemptés de cette dérogation s’ils sont susceptibles d’entraîner la destruction d’espèces protégées, comme l’a rappelé en 2020 la cour administrative d’appel de Nantes1.

Pour obtenir une telle dérogation, le projet doit répondre à trois conditions cumulatives, tenant à l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur, à l’absence d’alternative satisfaisante et au maintien des espèces dans un état de conservation favorable. Concernant les projets d’énergies marines renouvelables, la jurisprudence administrative semble pour l’instant relativement encline à admettre l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur, condition qui cristallise la plupart des contentieux2.








En deuxième lieu, la protection des sites classés Natura 2000 renferme également une difficulté d’ordre juridique pour les installations d’énergies marines renouvelables. Si les dispositions encadrant le dispositif de protection Natura 2000 sont moins strictes que celles précitées concernant les espèces protégées, les installations situées au sein ou à proximité d’un tel site doivent évaluer leur impact sur la zone, et ne pas porter atteinte aux objectifs de conservation du site. En cas d’atteinte, une dérogation doit être demandée et peut être délivrée au titre de l’article L. 414-4 VII du Code de l’environnement en présence de raisons impératives d’intérêt public majeur et en l’absence de solutions alternatives. Le juge administratif a très récemment eu l’occasion d’apprécier en détail la validité d’une telle décision dans le cadre d’un projet éolien flottant expérimental en Méditerranée, estimant en l’espèce que les conditions étaient remplies (CAA de Nantes, 5e chambre, 05/04/2022, 19NT02389).

En troisième lieu, l’implantation d’une installation au sein d’un parc naturel marin pourrait également se révéler problématique. En effet, si cette protection juridique apparaît moins contraignante que celles précédemment citées, elle impose tout de même de recueillir l’avis conforme de l’Office Français de la Biodiversité en vertu de l’article L. 334-5 du Code de l’environnement. Par ailleurs, il n’est pas à exclure que cette protection soit invoquée dans le cadre d’un éventuel contentieux.

Le professeur Bordereaux résume ainsi très justement ce délicat équilibre entre recherche de protection de la biodiversité et volonté de développement du renouvelable : « notre vision de la mer (…) ne peut être uniquement pensée, au nom de la lutte contre le changement climatique, comme l’avenir énergétique de l’être humain3 ».

 

 

L’occupation du domaine public maritime

Pour mener à bien un projet d’énergies marines renouvelables, un titre d’occupation du domaine public maritime peut être nécessaire en application de l’article L. 2122-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.

Le domaine public maritime naturel est composé, pour ce qui est de la mer, du sol et du sous-sol de la mer, compris entre la limite haute du rivage, c’est-à-dire celle des plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles, et la limite, côté large, de la mer territoriale fixée à 12 miles.

L’article L. 2124-1 du Code de la propriété des personnes publiques prévoit que « Les décisions d’utilisation du domaine public maritime tiennent compte de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants, ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques » et qu’elles « doivent être compatibles avec les objectifs environnementaux du plan daction pour le milieu marin prévus aux articles L. 219-9 à L. 2019-18 du Code de l’environnement. »

La délivrance d’une telle autorisation doit donc elle aussi tenir compte de certains impératifs environnementaux, même de façon indirecte. Il n’est donc pas exclu qu’un contentieux à l’encontre des autorisations délivrées au titre de la domanialité publique puisse naître.

Cette situation interroge sur l’opportunité de développer des projets plus au large au sein de la zone économique exclusive, un espace maritime régi par la Convention des Nations unies pour le droit de la mer du 10 décembre 1982, dite « Convention de Montego Bay ». Cette zone est située au-delà du domaine public maritime, ce qui pourrait permettre de contourner ces difficultés, même si elle augmentera certainement significativement les coûts de raccordement.

Soulignons toutefois que l’avantage de traitement s’arrête là, en particulier en ce qui concerne la taxe éolienne en mer prévue au titre de l’article 1519 B du Code général des impôts (CGI), qui était autrefois uniquement prévue pour les installations situées sur le domaine public maritime, la loi de finances pour 2022 a étendu ce régime aux projets situés au sein de la zone économique exclusive.

 

 

Les questions de droit maritime international

Qui dit installations renouvelables en mer, dit emprise importante sur l’espace maritime, quel que soit le type d’installation (éolien, photovoltaïque flottant). Cette emprise peut, outre les problématiques précédemment évoquées, également poser des problèmes en matière de gestion de l’espace et de circulation des navires. En effet, cette activité est relativement inédite, et surtout particulièrement gourmande en espace.

Des routes maritimes déjà étroites pourront ainsi se retrouver « encombrées » par des projets de parcs très étendus. Ce sont plusieurs milliers de kilomètres carrés d’espace maritime qui seront occupés.

La problématique est particulièrement saillante en ce qui concerne les zones économiques exclusives, qui accueillent déjà de nombreux projets dans plusieurs pays européens. En effet, comme précédemment évoqué, en la matière s’applique la Convention de Montego Bay, qui impose aux États signataires de respecter les rails de navigation. Aucune activité ne doit ainsi entraver la liberté de navigation ou le droit de poser des câbles sous-marins.

Or, on le devine, l’implantation d’installations très consommatrices d’espace maritime présente un risque non négligeable d’entrave à la navigation et de collision avec les navires, restreignant le principe de liberté de navigation posé par la convention de Montego Bay. La construction d’une telle installation représente en effet une appropriation définitive, de facto, de l’espace maritime.

Outre cette entrave significative, l’utilisation de la zone économique exclusive comme terrain d’implantation des installations renouvelables interroge également concernant le sort des zones litigieuses, c’est-à-dire revendiquées par plusieurs pays. L’essor de la filière et l’innovation technologique, maîtrisée par certains États, pourra donc créer de nouveaux contentieux internationaux.

Par ailleurs, il est également permis de s’interroger sur la grande vulnérabilité de ces projets d’envergure d’énergies renouvelables. En effet, ces installations présentent un caractère inédit dès lors qu’elles déploient une grande capacité d’énergie de production électrique hors du territoire national, et donc très exposée à une attaque potentielle. Les mesures de sécurisation sur ces installations sont naturellement bien moindres que pour toute installation implantée sur le continent. Dès lors, au fur et à mesure que la proportion d’énergie électrique produite de cette manière augmente, le développement de cette filière pourra nécessiter la surveillance des forces armées, afin de garantir la sécurité de l’approvisionnement énergétique national.

Dans un contexte géopolitique particulièrement agité, ces enjeux de droit maritime international ne sauraient être ignorés.

Par rapport à ses voisins européens, la France accuse un certain retard en matière d’énergies marines renouvelables, alors que le potentiel de développement semble immense. Pour garantir l’essor de la filière, il faudra veiller à ne pas s’échouer sur les différents écueils juridiques présentés.

 

1) CAA Nantes, 6 oct. 2020, Assoc. Nature et Citoyenneté Crau Camargue Alpilles, n° 18NT02389.

2) V. ainsi par exemple CAA Nantes, 6 oct. 2020, n° 19NT01714, 19NT02501 et 19NT02520, Assoc. Sans offshore à l’horizon et a. ; CAA Nantes, 3 juill. 2020, n° 19NT01583, Assoc. des commerçants de Noirmoutier.

3) « Eolien offshore en zone Natura 2000 : des projets sous haute surveillance du juge », Bordereaux L., La Gazette des communes, 11 avril 2022.

 

Arielle Guillaumot,

Avocate à la Cour,

Cabinet Huglo Lepage Avocats






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