Depuis la nouvelle loi n° 2022-172 du
14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante, l’entrepreneur
individuel n’est plus indéfiniment responsable de ses dettes professionnelles
sur l’ensemble de son patrimoine personnel.
Le régime protecteur résultant de la séparation des
patrimoines s’applique aux créances nées après le 14 mai 2022 (délai de
trois mois après la promulgation de la loi du 14 février 2022).
Les décrets d’application seront les bienvenus pour
apporter les précisions complémentaires au nouveau texte et l’éclairage
nécessaire sur le sort des créances intervenues entre le 14 février 2022 et le 14 mai 2022.
Au titre de l’année 2021, ont été
créées 641 543 micro-entreprises et 83 367 entreprises
individuelles classiques, soit, au total, près de 725 000 entreprises
individuelles.
Nouveautés de la réforme
Les patrimoines professionnel et personnel du chef
d’entreprise sont désormais séparés de droit :
• le patrimoine personnel est protégé et la responsabilité
limitée de l’entrepreneur individuel devient le système de droit commun ;
• renoncement possible à la protection pour des créanciers
spécifiques (banques) ;
• un entrepreneur individuel pourra solliciter une
procédure de surendettement pour ses dettes personnelles ;
• suppression du statut de l’entrepreneur individuel à
responsabilité limitée (EIRL) à compter du 15 février 2022 (les
anciennes EIRL continuent d’exister, et la procédure de rétablissement
professionnel pourra être sollicitée par un EIRL) ;
• un entrepreneur individuel en liquidation judiciaire
pourra exercer une nouvelle activité et créer un nouveau patrimoine professionnel
sans attendre la clôture pour insuffisance d’actif de la procédure (le rebond) ;
• la procédure collective et la commission de
surendettement pourront être cumulées ;
• simplification de la mise en société de l’entreprise
individuelle ;
• option désormais possible à l’impôt sur les sociétés pour une entreprise individuelle ;
• nouveau cas pour l’attribution de l’Allocation des
travailleurs indépendants (ATI) : activité non économiquement viable ;
• le gérant majoritaire de SARL est (enfin !) éligible à la commission de
surendettement pour les cotisations sociales dont il est redevable.
Le
cautionnement
« La distinction
des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel, ne
l’autorise pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il est débiteur
principal. » (art. L. 526-22-al. 3 – loi du 14/02/22)
Arrêt de la Cour de cassation : « Nul ne peut se porter
caution de soi-même. » (Cass. com. 28/07/64)
-> Rappelons que l’entrepreneur individuel et l’entreprise
individuelle qu’il a créée ne font qu’un…
Un nouveau régime protecteur
La loi en faveur de l’activité professionnelle
indépendante (loi 2022-172 du 14/02/2022) a créé un nouveau statut de l’entreprise
individuelle. Avec ce nouveau statut, le chef d’entreprise individuel est
désormais titulaire de deux patrimoines, sans effectuer aucune déclaration
d’affectation (contrairement à l’EIRL) :
• un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés
utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes.
Dès lors que l’entrepreneur conserve plusieurs activités
professionnelles, l’ensemble des activités feront partie du patrimoine
professionnel ; contrairement à l’EIRL ou plusieurs patrimoines affectés
était possible ;
• un patrimoine personnel
constitué des éléments du patrimoine qui ne font pas partie du patrimoine
professionnel (art. L. 526-22 – al. 2 nouveau du
Code de commerce).
La séparation entre les deux patrimoines étant de droit.
Avec ce type de statut juridique, l’entrepreneur n’est
plus indéfiniment responsable de ses dettes professionnelles sur l’ensemble de
son patrimoine personnel ; une protection qui s’ajoute au régime de l’insaisissabilité
de la résidence principale.
L’article L. 526-5-1 (loi n° 2019-486) qui prévoyait que
« toute personne physique souhaitant exercer une activité professionnelle en
nom propre devait déclarer, lors de la création, s’il ou elle souhaitait
exercer en tant qu’entrepreneur individuel ou selon le régime de l’EIRL » est
abrogé.
Pour les entreprises individuelles classiques, la
distinction du patrimoine et des dettes professionnelles pourra s’effectuer à
partir du bilan établi et du tableau des immobilisations (amortissements). Pour
les micro-entreprises, nous sommes dans l’attente du décret d’application, mais
cela devrait probablement se faire à partir d’une liste
des biens professionnels utilisés, déposée au greffe et régulièrement mise à jour.

Créanciers nés de l’activité
professionnelle
Principe
L’entrepreneur individuel est tenu à l’égard de ses
créanciers professionnels que sur son seul patrimoine professionnel, sauf
sûretés conventionnelles ou renonciation spécifique.
Concernant ces créanciers, l’article L. 526-22 – al. 4 apporte des
précisions :
• l’insaisissabilité de la résidence principale et la
possibilité d’effectuer une déclaration d’insaisissabilité de certains
immeubles bâtis ou non bâtis qui ne sont pas affectés à l’activité professionnelle
demeurent.
Hormis l’insaisissabilité de droit de la résidence
principale, l’entrepreneur individuel conserve toujours le droit de rendre
insaisissable, par déclaration devant notaire, tel ou tel bien immobilier (art.
526-22 – al. 4) ;
• les sûretés réelles consenties par l’entrepreneur
individuel avant le commencement de son activité ou de ses activités
professionnelles indépendantes conservent leur effet, quelle que soit leur
assiette (art. L. 526-22 – al. 6).
Renonciation à la séparation des
patrimoines
L’entrepreneur individuel pourra accorder, pour son
activité professionnelle, des garanties sur son patrimoine personnel (art. L. 526-22 – al. 4).
-> Attention : les
règles de séparation des patrimoines professionnel et personnel ne
s’appliqueront qu’aux créances nées après le 15 mai 2022. (art. 19,1,
al. 2 – loi 14/02/2022).
Créanciers privés
Principe
Les éléments du
patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine
professionnel constituent son patrimoine personnel (art. L. 526-22 – al. 2).
Seul le patrimoine personnel de l’entrepreneur
individuel constitue le gage général des créanciers dont les droits ne sont pas
nés à l’occasion de son exercice professionnel (art. L.526-22 – al. 6).
Insuffisance du patrimoine personnel
Toutefois, si le patrimoine personnel est insuffisant, le
droit de gage général des créanciers peut s’exercer sur le patrimoine
professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier
exercice clos (art. L. 526-22 –
al. 6).
Pour toute contestation de mesures d’exécution forcée ou
de mesures conservatoires, lors de la délimitation des patrimoines, la charge
de la preuve incombe à l’entrepreneur individuel.
La responsabilité du créancier saisissant peut être
recherchée (art. L. 526-22 –
al. 7).
Créanciers publics
Les dettes dont l’entrepreneur individuel est redevable
envers les organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales
sont réputées être nées à l’occasion de son exercice professionnel (art. L. 526-22 – al. 5).
L’action de ces créanciers sera en conséquence limitée au
patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.
-> Attention : le droit de gage de
l’administration fiscale et des organismes de Sécurité sociale porte sur
l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur
individuel en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservations graves et
répétées.
Extinction de l’EIRL
Tirant les conséquences de la création du nouveau régime
protecteur de l’entreprise individuelle, qui permet une protection du
patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel, équivalente à l’EIRL, la loi
interdit de créer de nouvelles EIRL à compter du 15 février 2022 (date de
publication de la loi nouvelle).
Il n’est donc plus possible d’adopter le statut d’EIRL et
d’affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son
patrimoine personnel.
EIRL existantes
Les EIRL créées avant le 14 février 2022 pourront
toutefois continuer d’exister. L’affectation ou le retrait d’éléments à un
patrimoine affecté déjà constitué reste possible (art. 6 – loi 14/02/2022).
Les EIRL actuelles existantes continueront à être régies
par les textes actuels légèrement modifiés par la loi du 14 février 2022.
Succession dans le cadre de l’EIRL
L’article L. 526-16 du Code de commerce qui prévoyait que
l’affectation ne cessait pas dès lors que l’un des héritiers ou ayants droit de
l’EIRL souhaitait poursuivre l’activité est abrogé.
L’abrogation de cet article interviendra le 15 août
2022 (dans les six mois de la promulgation de la loi : 15 février 2022 + 6 mois
= 15/08/2022).
En clair, à compter du 15 août 2022, en cas de décès de
l’entrepreneur, les héritiers ne pourront poursuivre l’activité au sein de
l’EIRL.
L’article L. 526-5-1 qui prévoyait « que toute personne physique qui souhaitait exercer une activité
professionnelle en son nom propre devait déclarer, lors de la création, si elle
souhaitait exercer en tant qu’entrepreneur individuel ou en EIRL », est
également abrogé.
Depuis 2011, il s’est créé près de 100 000 EIRL, ce
qui confirme le peu de succès de cette formule.
Transfert du patrimoine professionnel
L’entrepreneur individuel peut céder à titre onéreux,
transmettre par donation ou apporter en société l’intégralité de son patrimoine
professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci. Le transfert non
intégral d’éléments de ce patrimoine demeure soumis aux conditions légales
applicables à la nature dudit transfert et, le cas échéant, à celle du ou des
éléments transférés.
« Le transfert de
propriété ainsi opéré n’est opposable aux tiers qu’à compter de sa publicité,
dans des conditions prévues par décret. »
(art. L. 526-27).
Sous réserves des articles L. 223-9 (applicable aux
SARL), L. 225-8-1 (société anonyme) et L.227-1 (société par actions
simplifiée), lorsque le patrimoine professionnel apporté en société contient
des biens constitutifs d’un apport en nature, il est fait recours à un
commissaire aux apports (art. L. 526-31).
Le transfert du patrimoine professionnel s’entend sans
préjudice des pouvoirs reconnus aux époux pour administrer leurs biens communs
en en disposer (art. L. 526-26).
L’entreprise individuelle en
difficulté
Innovation très importante : le tribunal de
commerce ou le tribunal judiciaire (agriculteurs, professions libérales) est
saisi lors de l’ouverture d’une procédure amiable ou collective, mais également
lors d’une demande d’une procédure de surendettement.
Le tribunal compétent (tribunal de commerce ou tribunal
judiciaire) sera saisi que si la défaillance concerne le patrimoine
professionnel ou le patrimoine personnel.
Quatre situations peuvent se
présenter
Le patrimoine professionnel est seul
concerné
Le tribunal prononcera l’ouverture d’une procédure
amiable ou collective : conciliation, sauvegarde, redressement judiciaire,
liquidation judiciaire.
- une sauvegarde peut être ouverte si l’entreprise
connaît des difficultés financières, mais n’est pas en cessation de paiement.
- le tribunal connaîtra
des contestations concernant la séparation des patrimoines du débiteur (art. L. 681-2-5).
Naturellement, seul le patrimoine professionnel et les
dettes professionnelles feront partie de la procédure.
Les patrimoines professionnel et
personnel sont concernés
Si, lors de l’ouverture de la procédure professionnelle,
les conditions d’ouverture d’une procédure de surendettement sont aussi
réunies, une seule procédure ouverte traitera les patrimoines professionnel et
personnel ainsi que leurs dettes rattachées. Le même jugement prendra en compte
les dettes professionnelles et les dettes concernant le patrimoine personnel.
Dans ce cas, le tribunal assume la mission de la
commission de surendettement pour les aspects personnels.
Les patrimoines professionnel et
personnel sont concernés, mais bien séparés
Dans le cas où les deux patrimoines ont été bien séparés,
et sont bien structurés et qu’il n’existe aucune interférence entre eux, on
assiste à l’ouverture de deux procédures :
• une procédure devant le tribunal de commerce (ou le TJ),
• une procédure devant la commission de surendettement.
Processus :
le tribunal saisira la commission de surendettement avec l’accord du débiteur
qui traitera le patrimoine et les dettes personnelles. Tribunal et commission
de surendettement restent en lien.
Le patrimoine personnel est seul
concerné
Dès lors que les dettes ne sont que personnelles, le
tribunal saisi dit n’y avoir lieu à l’ouverture d’une procédure amiable ou
collective concernant le passif professionnel et renvoie l’affaire, devant la
commission de surendettement avec l’accord du débiteur.
Si en cours de la procédure, la commission de
surendettement constate que les conditions d’ouverture devant le tribunal sont
réunies, elle invitera le débiteur à se retourner vers le tribunal.
Autres dispositions de la nouvelle
loi
Liquidation judiciaire simplifiée
L’insaisissabilité de la résidence principale de
l’entrepreneur individuel ne fait pas obstacle à l’ouverture d’une liquidation
judiciaire simplifiée (art. 5-15 loi du 14/02/2022 confirmation de la
jurisprudence…).
Commission de surendettement
Le nouveau statut d’entrepreneur individuel pourra lui
permettre d’accéder à la commission de surendettement, dès lors que ses dettes
concerneront exclusivement le patrimoine personnel (art. L. 681-3 –
al. 1).
Constitution d’un nouveau patrimoine
professionnel en liquidation judiciaire
Conformément à l’article L. 641-9 du Code de
commerce, un entrepreneur individuel en liquidation judiciaire ne peut
normalement, durant la procédure, exercer une activité indépendante (seul le statut
de salarié était possible).
Désormais, la nouvelle loi autorise l’entrepreneur
individuel en liquidation judiciaire à exercer une nouvelle activité
professionnelle avec constitution d’un nouveau patrimoine professionnel qui ne
sera pas concerné par la procédure ouverte (art. L. 682-2-VII, le rebond
avec la création d’un troisième patrimoine…).
Michel Di Martino,
Expert-comptable diplômé,
Commissaire aux comptes,
Doctorat de Droit privé