Que serait Le
professionnel sans Chi Mai ? Kill Bill sans The Lonely Sheperd ou encore James Bond sans
ses quatre notes immédiatement reconnaissables parmi tant d’autres ? Que serait un film sans musique ?
La
bande originale est à distinguer de la création qui reprend une musique
préexistante, elle est composée tout spécialement pour la sonorisation d’un
film et pour l’accompagner du début à la fin.
Que
cela soit conscient ou non, la bande originale de l’œuvre joue un rôle
essentiel, aussi bien dans l’identification de celle-ci, dans l’émotion
transmise au spectateur transporté par la musicalité, que dans son succès
commercial. Elle est celle qui reste en mémoire et qui nous touche.
Des
ostinatos d’Ennio Morricone, répétés tout au long des westerns de Sergio Leone,
aux motifs orchestrés de Hans Zimmer, il existe autant de façons de composer
une bande son qu’il en est de réaliser un film. Une chose est certaine :
L’« audio » constitue bien pour moitié l’œuvre « audiovisuelle ».
Sans la bande originale, l’œuvre n’aurait pas la même dimension.
L’œuvre
audiovisuelle est un enchevêtrement complexe des contributions d’acteurs, aux
métiers différents, autour desquelles s’articulent les dispositions du Code de
la propriété intellectuelle (CPI). La législation
encadre à la fois l’intégration de la bande originale à l’œuvre globale, mais
également les étapes nécessaires à sa production comme œuvre à part entière,
elle-même souvent collective.
Du
fait de cette pluralité d’acteurs, l’articulation des droits affiliés à la
bande originale du film n’est pas une chose aisée, et l’exploitation qui en
découle est chargée d’enjeux juridiques au regard du droit d’auteur.
Le
droit d’auteur se divise en deux catégories : une composante patrimoniale
et une composante morale. Les droits patrimoniaux, eux, portent sur
l’exploitation de l’œuvre et peuvent faire l’objet d’un aménagement
contractuel, tandis que les droits moraux, rattachés à la personnalité de
l’auteur, sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles.
Lire aussi : Entretien avec Emmanuel Pierrat, coauteur du premier Code de la liberté d'expression
L’œuvre audiovisuelle, œuvre de collaboration
En droit français, l’œuvre audiovisuelle est nécessairement
une œuvre de collaboration, c’est-à-dire une œuvre à laquelle concourent
plusieurs personnes physiques. Selon l’article?L. 113-7?4° du CPI, «
l’auteur de compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées
pour l’œuvre » se voit attribuer d’office la qualité d’auteur d’une œuvre
audiovisuelle du fait de sa création intellectuelle.
Ce
même article?institue une présomption irréfragable visant une liste non
exhaustive de coauteurs, dont le réalisateur ou encore le scénariste, sur la
création audiovisuelle dès l’instant où ils disposent d’une marge de liberté et
d’initiative personnelle.
Ainsi,
le compositeur d’une musique originale composée spécialement pour la
sonorisation d’une œuvre audiovisuelle jouit d’un statut particulier de
coauteur.
Chaque
participant personne physique, coauteur de l’œuvre audiovisuelle, dispose d’un
droit à agir en justice contre toute violation des droits moraux afin d’obtenir
réparation de son préjudice. Ainsi, le compositeur de la bande originale d’un
film qui voit son nom retiré de l’affiche peut agir contre son producteur ou
les distributeurs, responsables de cette omission sur le fondement de son droit
au respect du nom.
Si
chacune des contributions est considérée comme une œuvre autonome, l’œuvre
globale l’est tout autant, en atteste notamment l’affaire du clip de campagne
d’Éric Zemmour, qui a été condamné pour contrefaçon de droit d’auteur et
atteinte au droit moral sur les extraits de films utilisés par le tribunal
judiciaire de Paris le 4?mars 2022. En cas de représentation non autorisée
d’une partie de l’œuvre audiovisuelle, il ressort de cet arrêt qu’en théorie,
il n’est pas nécessaire que le compositeur de la bande originale d’un film
prouve que sa contribution propre est contrefaite dès lors qu’il souhaite agir
en contrefaçon de l’œuvre globale.
L’exercice des droits patrimoniaux par les coauteurs
Les
droits patrimoniaux des coauteurs se composent d’un droit de reproduction et de
représentation de l’œuvre permettant, ou non, son exploitation.
Conformément
à l’article L. 113-3
du CPI, les coauteurs partagent la propriété de l’œuvre commune, ainsi que
l’exercice des droits affiliés, et doivent exercer leurs droits d’un commun
accord. En cas de désaccord entre les parties, le tribunal judiciaire sera
compétent pour statuer.
En cas d’action en justice intentée contre des tiers, il
est nécessaire que l’exercice des droits soit effectué de concert entre les
coauteurs si leurs contributions sont inséparables « sauf à saisir la
juridiction de leur différend » (Cass.1re.civ., 14 oct. 2015, n° 14-19.214).
Ajoutons
enfin que, si l’exploitation n’est possible qu’à la suite d’un accord unanime
de l’ensemble des coauteurs, la loi prévoit que chaque auteur reste maître de
son propre apport si celui-ci est individualisable.
Effectivement,
selon l’article précité et l’article L. 132-29 du CPI, si la participation de
chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention
contraire, exploiter librement et séparément sa contribution personnelle.
Toutefois, aucun préjudice ne doit être porté à l’exploitation de l’œuvre
commune.
En
témoigne l’exploitation commerciale des productions musicales des compositeurs,
et de leurs maisons de disques, indépendamment de l’exploitation du film
lui-même. Le compositeur pourra donc exploiter la bande originale de l’œuvre
audiovisuelle, en tirant profit de son succès. En effet, les bandes originales
de films à succès sont vendues physiquement, en streaming, mais également sous
forme de produits dérivés.
Lire aussi : Les plateformes de streaming, la révolution de l’industrie musicale
Le droit moral des coauteurs de bande
originale de film
Le
droit moral, visé aux articles L. 121-1 et suivants du CPI, comporte un
ensemble de droits : le droit à la divulgation, à la paternité, de retrait
et de repentir, ainsi que le droit au respect de l’œuvre. Le droit moral est
inaliénable, perpétuel et imprescriptible.
Conformément
à l’article L. 121-1 du
CPI, l’auteur-compositeur de l’œuvre musicale dispose d’un droit moral sur
celle-ci et peut ainsi s’opposer à toute atteinte portée à l’intégrité de son
œuvre.
La
réalité économique derrière la production d’un film est de nature à faire
fléchir une partie du droit moral. Le Code de la propriété intellectuelle
prévoit des dispositions spécifiques concernant le droit de divulgation des
coauteurs d’une œuvre audiovisuelle, afin de permettre à celle-ci de voir le
jour sans que les coauteurs ne viennent paralyser sa réalisation. En effet, le
compositeur voit son droit moral suspendu au profit de l’œuvre jusqu’à ce
qu’elle soit achevée.
Il
faut également relever une sorte d’exception légale, posée par l’article L.
121-6 du CPI, qui interdit à l’auteur-compositeur de s’opposer à ce qu’un tiers
achève la contribution qu’il n’aura pas terminée en cas de refus ou de force
majeure.
Une
fois encore, le législateur considère l’œuvre audiovisuelle comme une entité
dont l’importance dépasse les doléances des individus : seule compte la
continuité dans sa réalisation.
Le
droit au respect du nom semble être le dernier rempart inébranlable de chacun
des auteurs face au producteur. Les artistes-interprètes sont titulaires de
droits moraux sur leur interprétation et ont droit, selon l’article L. 212-2 du
CPI, au respect de leur nom, de leur qualité et de leur interprétation.
Bande originale de film et pluralité d’acteurs
La
production d’une bande originale nécessite une pluralité de compétences, de la
plus artistique à la plus technique, et d’acteurs.
Le
cas du compositeur de bande originale de film est particulier en ce qu’il
répond souvent à une commande du réalisateur : il porte une double
casquette, c’est à la fois un créateur exerçant des choix artistiques libres et
éclairés, dont la production porte l’empreinte de sa personnalité, et un
prestataire obéissant à un cahier des charges.
Lorsque
la bande originale est spécialement composée pour un film en particulier, le
producteur conclut un contrat de commande avec le compositeur sur l’œuvre
musicale.
Il faut savoir que la particularité du statut du
compositeur résulte également du fait que l’article L. 132-24
du CPI l’exclut de la présomption de cession au profit du producteur des droits
exclusifs d’exploitation de l’œuvre audiovisuelle.
Pour
autant, afin de sécuriser les relations contractuelles avec le compositeur, le
producteur intègre au contrat de commande des clauses prévoyant les modes
d’exploitation de la musique.
Une
fois le contrat de commande conclu, la bande originale du film doit faire l’objet
d’un contrat d’enregistrement entre l’artiste et le producteur, dans l’optique
d’une future exploitation commerciale et d’une rémunération perçue par
l’artiste (CPI, art. L. 112-1). Effectivement, le compositeur ne peut céder ses
droits afférents à la bande originale créée spécialement pour l’œuvre
audiovisuelle puisque son adhésion à la SACEM emporte directement l’apport de
l’ensemble des droits patrimoniaux à la société. Outre la rémunération de leur
travail, les acteurs ayant participé à la création musicale, comme les
musiciens ou les chanteurs, se voient accorder des droits voisins.
En
effet, le contrat passé entre l’artiste-interprète et le producteur emporte la
cession automatique des droits voisins au producteur de l’œuvre audiovisuelle,
autrement dit « une autorisation de fixer, reproduire et communiquer au
public la prestation » (CPI., art. L.
212-4).
Donc,
c’est en vertu des droits voisins si tous, des ensembles ou orchestres
enregistrés aux perchmen chargés de la captation, sont cités au générique de
fin de l’œuvre audiovisuelle.
Emmanuel Pierrat,
Avocat au barreau de Paris,
Pierrat & Associés