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Le statut juridique de la bande originale

Le statut juridique de la bande originale
Publié le 24/06/2022 à 09:00

Que serait Le professionnel sans Chi Mai ? Kill Bill sans The Lonely Sheperd ou encore James Bond sans ses quatre notes immédiatement reconnaissables parmi tant d’autres ? Que serait un film sans musique ?

La bande originale est à distinguer de la création qui reprend une musique préexistante, elle est composée tout spécialement pour la sonorisation d’un film et pour l’accompagner du début à la fin.

Que cela soit conscient ou non, la bande originale de l’œuvre joue un rôle essentiel, aussi bien dans l’identification de celle-ci, dans l’émotion transmise au spectateur transporté par la musicalité, que dans son succès commercial. Elle est celle qui reste en mémoire et qui nous touche.

Des ostinatos d’Ennio Morricone, répétés tout au long des westerns de Sergio Leone, aux motifs orchestrés de Hans Zimmer, il existe autant de façons de composer une bande son qu’il en est de réaliser un film. Une chose est certaine : L’« audio » constitue bien pour moitié l’œuvre « audiovisuelle ». Sans la bande originale, l’œuvre n’aurait pas la même dimension.

L’œuvre audiovisuelle est un enchevêtrement complexe des contributions d’acteurs, aux métiers différents, autour desquelles s’articulent les dispositions du Code de la propriété intellectuelle (CPI). La législation encadre à la fois l’intégration de la bande originale à l’œuvre globale, mais également les étapes nécessaires à sa production comme œuvre à part entière, elle-même souvent collective.

Du fait de cette pluralité d’acteurs, l’articulation des droits affiliés à la bande originale du film n’est pas une chose aisée, et l’exploitation qui en découle est chargée d’enjeux juridiques au regard du droit d’auteur.

Le droit d’auteur se divise en deux catégories : une composante patrimoniale et une composante morale. Les droits patrimoniaux, eux, portent sur l’exploitation de l’œuvre et peuvent faire l’objet d’un aménagement contractuel, tandis que les droits moraux, rattachés à la personnalité de l’auteur, sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles.

 

 



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L’œuvre audiovisuelle, œuvre de collaboration

En droit français, l’œuvre audiovisuelle est nécessairement une œuvre de collaboration, c’est-à-dire une œuvre à laquelle concourent plusieurs personnes physiques. Selon l’article?L. 113-7?4° du CPI, « l’auteur de compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l’œuvre » se voit attribuer d’office la qualité d’auteur d’une œuvre audiovisuelle du fait de sa création intellectuelle.

Ce même article?institue une présomption irréfragable visant une liste non exhaustive de coauteurs, dont le réalisateur ou encore le scénariste, sur la création audiovisuelle dès l’instant où ils disposent d’une marge de liberté et d’initiative personnelle.

Ainsi, le compositeur d’une musique originale composée spécialement pour la sonorisation d’une œuvre audiovisuelle jouit d’un statut particulier de coauteur.

Chaque participant personne physique, coauteur de l’œuvre audiovisuelle, dispose d’un droit à agir en justice contre toute violation des droits moraux afin d’obtenir réparation de son préjudice. Ainsi, le compositeur de la bande originale d’un film qui voit son nom retiré de l’affiche peut agir contre son producteur ou les distributeurs, responsables de cette omission sur le fondement de son droit au respect du nom.

Si chacune des contributions est considérée comme une œuvre autonome, l’œuvre globale l’est tout autant, en atteste notamment l’affaire du clip de campagne d’Éric Zemmour, qui a été condamné pour contrefaçon de droit d’auteur et atteinte au droit moral sur les extraits de films utilisés par le tribunal judiciaire de Paris le 4?mars 2022. En cas de représentation non autorisée d’une partie de l’œuvre audiovisuelle, il ressort de cet arrêt qu’en théorie, il n’est pas nécessaire que le compositeur de la bande originale d’un film prouve que sa contribution propre est contrefaite dès lors qu’il souhaite agir en contrefaçon de l’œuvre globale.

 

 






L’exercice des droits patrimoniaux par les coauteurs

Les droits patrimoniaux des coauteurs se composent d’un droit de reproduction et de représentation de l’œuvre permettant, ou non, son exploitation.

Conformément à l’article L. 113-3 du CPI, les coauteurs partagent la propriété de l’œuvre commune, ainsi que l’exercice des droits affiliés, et doivent exercer leurs droits d’un commun accord. En cas de désaccord entre les parties, le tribunal judiciaire sera compétent pour statuer.

En cas d’action en justice intentée contre des tiers, il est nécessaire que l’exercice des droits soit effectué de concert entre les coauteurs si leurs contributions sont inséparables « sauf à saisir la juridiction de leur différend » (Cass.1re.civ., 14 oct. 2015, n° 14-19.214).

Ajoutons enfin que, si l’exploitation n’est possible qu’à la suite d’un accord unanime de l’ensemble des coauteurs, la loi prévoit que chaque auteur reste maître de son propre apport si celui-ci est individualisable.

Effectivement, selon l’article précité et l’article L. 132-29 du CPI, si la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter librement et séparément sa contribution personnelle. Toutefois, aucun préjudice ne doit être porté à l’exploitation de l’œuvre commune.

En témoigne l’exploitation commerciale des productions musicales des compositeurs, et de leurs maisons de disques, indépendamment de l’exploitation du film lui-même. Le compositeur pourra donc exploiter la bande originale de l’œuvre audiovisuelle, en tirant profit de son succès. En effet, les bandes originales de films à succès sont vendues physiquement, en streaming, mais également sous forme de produits dérivés.

 



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Le droit moral des coauteurs de bande originale de film

Le droit moral, visé aux articles L. 121-1 et suivants du CPI, comporte un ensemble de droits : le droit à la divulgation, à la paternité, de retrait et de repentir, ainsi que le droit au respect de l’œuvre. Le droit moral est inaliénable, perpétuel et imprescriptible.

Conformément à l’article L. 121-1 du CPI, l’auteur-compositeur de l’œuvre musicale dispose d’un droit moral sur celle-ci et peut ainsi s’opposer à toute atteinte portée à l’intégrité de son œuvre.

La réalité économique derrière la production d’un film est de nature à faire fléchir une partie du droit moral. Le Code de la propriété intellectuelle prévoit des dispositions spécifiques concernant le droit de divulgation des coauteurs d’une œuvre audiovisuelle, afin de permettre à celle-ci de voir le jour sans que les coauteurs ne viennent paralyser sa réalisation. En effet, le compositeur voit son droit moral suspendu au profit de l’œuvre jusqu’à ce qu’elle soit achevée.

Il faut également relever une sorte d’exception légale, posée par l’article L. 121-6 du CPI, qui interdit à l’auteur-compositeur de s’opposer à ce qu’un tiers achève la contribution qu’il n’aura pas terminée en cas de refus ou de force majeure.

Une fois encore, le législateur considère l’œuvre audiovisuelle comme une entité dont l’importance dépasse les doléances des individus : seule compte la continuité dans sa réalisation.

Le droit au respect du nom semble être le dernier rempart inébranlable de chacun des auteurs face au producteur. Les artistes-interprètes sont titulaires de droits moraux sur leur interprétation et ont droit, selon l’article L. 212-2 du CPI, au respect de leur nom, de leur qualité et de leur interprétation.

 


 

Bande originale de film et pluralité d’acteurs

La production d’une bande originale nécessite une pluralité de compétences, de la plus artistique à la plus technique, et d’acteurs.

Le cas du compositeur de bande originale de film est particulier en ce qu’il répond souvent à une commande du réalisateur : il porte une double casquette, c’est à la fois un créateur exerçant des choix artistiques libres et éclairés, dont la production porte l’empreinte de sa personnalité, et un prestataire obéissant à un cahier des charges.

Lorsque la bande originale est spécialement composée pour un film en particulier, le producteur conclut un contrat de commande avec le compositeur sur l’œuvre musicale.

Il faut savoir que la particularité du statut du compositeur résulte également du fait que l’article L. 132-24

du CPI l’exclut de la présomption de cession au profit du producteur des droits exclusifs d’exploitation de l’œuvre audiovisuelle.

Pour autant, afin de sécuriser les relations contractuelles avec le compositeur, le producteur intègre au contrat de commande des clauses prévoyant les modes d’exploitation de la musique.

Une fois le contrat de commande conclu, la bande originale du film doit faire l’objet d’un contrat d’enregistrement entre l’artiste et le producteur, dans l’optique d’une future exploitation commerciale et d’une rémunération perçue par l’artiste (CPI, art. L. 112-1). Effectivement, le compositeur ne peut céder ses droits afférents à la bande originale créée spécialement pour l’œuvre audiovisuelle puisque son adhésion à la SACEM emporte directement l’apport de l’ensemble des droits patrimoniaux à la société. Outre la rémunération de leur travail, les acteurs ayant participé à la création musicale, comme les musiciens ou les chanteurs, se voient accorder des droits voisins.

En effet, le contrat passé entre l’artiste-interprète et le producteur emporte la cession automatique des droits voisins au producteur de l’œuvre audiovisuelle, autrement dit « une autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation » (CPI., art. L. 212-4).

Donc, c’est en vertu des droits voisins si tous, des ensembles ou orchestres enregistrés aux perchmen chargés de la captation, sont cités au générique de fin de l’œuvre audiovisuelle.



Emmanuel Pierrat,

Avocat au barreau de Paris,

Pierrat & Associés



 

 



 

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