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Les casses automobiles désormais obligées de signer un contrat avec les constructeurs, sous peine de fermer

Les casses automobiles désormais obligées de signer un contrat avec les constructeurs, sous peine de fermer
Publié le 26/06/2024 à 10:30

Depuis le 1er janvier 2024, les constructeurs automobiles sont responsables de ce que deviennent les véhicules qu’ils produisent, y compris de leur recyclage lorsqu’ils deviennent hors d’usage.

Chaque année, environ 1,3 million de VHU - pour l'essentiel, des voitures particulières - sont recyclés et détruits en France dans les 1700 centres de traitement et les 60 broyeurs agréés. Les véhicules hors d'usage dits VHU étant des déchets particulièrement dangereux pour l'environnement, ils doivent en effet subir une dépollution complète. Leur âge tourne autour de 19 ans. À titre de comparaison, environ 2 millions de véhicules neufs sont mis tous les ans sur le marché national.

Les détenteurs de véhicules voués à la destruction sont tenus de les remettre à des centres VHU, ces installations étant le point d’entrée unique de la filière. Pour les voitures particulières et les camionnettes, ces centres VHU doivent être agréés par la préfecture.

La filière est régie par la directive européenne du 18 septembre 2000. C’est le cadre juridique historique qui a notamment défini des taux à atteindre pour la réutilisation, le recyclage et la valorisation des pièces de véhicules. Par exemple, un des objectifs était d’atteindre d'ici à 2015 un taux minimum de réutilisation et de recyclage de 85% en masse du VHU. « La France a atteint l'objectif dès 2013 » et ce taux était de 87,6% en 2021, se félicite le ministère de l’Écologie. La directive européenne de 2000 prévoit également que la remise d'un VHU à centre de traitement est réalisée sans aucun frais pour le particulier.

La loi Agec bouscule la filière

Mais la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire du 10 février 2020 ou loi Agec est venue bousculer le secteur. Elle a instauré plusieurs dispositions majeures pour la filière VHU, applicables à partir du 1er janvier 2024. Les dispositions de ce texte ont été précisées en 2022 dans un décret et en 2023 dans un arrêté*. Il impose la création en 2024 d’une filière à responsabilité élargie du producteur (REP) pour les voitures particulières, les camionnettes, les deux ou trois roues et les quadricycles à moteur.

Le ministère de l’Écologie explique que la mise en place de cette filière REP a pour objectif d’améliorer les performances de collecte et de traitement des véhicules hors d’usage, de développer l’économie circulaire des véhicules et de lutter plus efficacement contre la filière illégale. L’organisation de cette filière REP est assez complexe. Chaque constructeur de véhicules est tenu de mettre en place un réseau de centres VHU avec lesquels il aura signé un contrat, soit à travers un éco-organisme, soit à travers un système individuel agréé pour sa marque.

Un éco-organisme est une structure à but non lucratif mise en place par les producteurs, importateurs et distributeurs de produits générateurs de déchets. Il est agréé par l’État en échange de répondre à un objectif de collecte et de recyclage, en l'occurrence de déchets automobiles dans le secteur des centres VHU. L’éco-organisme prend en charge les marques de véhicules des constructeurs signataires.

Un système individuel agréé fait la même chose, mais il est directement géré par le constructeur (ou confié à un prestataire par le constructeur) pour recycler uniquement les véhicules de sa marque. Actuellement, peu importe que la voiture soit une Peugeot ou une Renault, elle est prise en charge et traitée par la filière de destruction, explique Émilie Repusseau, secrétaire générale adjointe de la Fédération nationale de l'automobile (FNA), qui vit le changement de paradigme de l’intérieur.

Chaque centre devra signer un contrat pour continuer son activité

Demain, avec la loi Agec, un centre VHU agréé va devoir signer un contrat avec Renault pour détruire un véhicule Renault (système individuel agréé). S’il a signé avec un éco-organisme, il pourra détruire les véhicules des marques signataires de l’éco-organisme.

D’un côté, des systèmes individuels proposés par Renault Group et Stellantis (anciennement PSA) sont encore en cours d’agrément. De l’autre, l’association « Recycler mon véhicule » est devenue en janvier 2024 le premier éco-organisme de la filière VHU en Europe. Elle a été mise en place par les constructeurs membres de la Chambre syndicale internationale de l’automobile et du motocycle (Csiam) pour le traitement de leurs marques (BMW, Volvo Cars, Porsche, etc.).

Avant la loi Agec, les centres étaient assez autonomes dans le traitement des véhicules. Ils devaient uniquement répondre à des objectifs fixés par la préfecture. « Finalement, les constructeurs étaient assez peu regardant sur la manière dont les véhicules étaient déconstruits », commente Émilie Repusseau. Désormais, le constructeur sera responsable du traitement de ses véhicules une fois qu’ils sont hors d’usage.

L’objectif de la loi est de « renforcer la responsabilité du constructeur » et cela est en train de tout changer dans « l’organisation de la filière », souligne-t-elle. Plusieurs délais supplémentaires ont été successivement attribués au secteur automobile pour la mise en place de la filière REP.

Le délai pour la signature des contrats n’est plus que de quelques mois. « Bien que les choses ne soient pas encore toutes cadrées, les centres VHU ont jusqu’à fin 2024 pour choisir de contracter avec un système individuel ou un éco-organisme, ce qui constituera la filière REP », précise Émilie Repusseau.

Pour les particuliers, le texte prévoit que l’enlèvement est à présent gratuit depuis le lieu de détention du véhicule hors d’usage. Avant, seulement la reprise par un centre était gratuite (frais de déplacement à la charge du particulier).

De nombreux centres menacés de fermeture

D’après les acteurs du secteur, l’arrivée de la loi Agec pourrait conduire à la fermeture de nombreux centres VHU. Alors que la « filière VHU fonctionnait très bien, qu’elle était autonome, indépendante, et ne demandait rien à personne, tout en atteignant les objectifs fixés par l’Union européenne, voilà qu’arrive la loi Agec, tombée de je ne sais où », déplore Jean-Pierre Labonne, professionnel du secteur et président de la filière déconstruction automobile de la Fédération des entreprises du recyclage (Federec). « Soudain, on décide que pour continuer à faire leur métier, les centres VHU vont devoir signer un contrat » avec les constructeurs, poursuit-il.

Les groupes français Renault et Stellantis « n’ont pas décidé de passer par un éco-organisme comme le font en général tous les metteurs en marché, mais plutôt de faire un système individuel ». Avec ce système individuel, les deux constructeurs français « ne vont gérer que leurs marques » en accordant des contrats uniquement aux centres VHU qu’ils considéreront « comme des bons élèves ».

Or « sur les 1700 centres ouverts aujourd’hui, il y en a forcément des bons et des moins bons ». En l’état, « Renault et Stellantis annoncent qu’ils vont retenir seulement 600 centres », explique Jean-Pierre Labonne. En soustrayant les centres qui vont contractualiser avec l’éco-organisme, « il ne restera plus qu’environ 1200 centres après l’application de la loi Agec, contre 1700 avant »À noter que parmi ces 500 fermetures, il figure « 250 centres qui ne remplissent pas depuis longtemps leurs obligations de suivi », notamment leurs déclarations annuelles à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), déclare Jean-Pierre Labonne.

Emilie Repusseau donne quant à elle une estimation plus basse des fermetures : « je pense qu’environ 200 centres vont fermer, y compris des centres qui fonctionnaient bien »Comme Renault et Stellantis ont annoncé « vouloir signer avec un centre VHU sur deux, toute la question est de savoir si l’éco-organisme aura la capacité de prendre en charge les autres marques », continue-t-elle.

À la FNA, « on trouve dommage de laisser un constructeur décider s’il signe ou non avec un centre ». Le « constructeur a surtout besoin d’un réseau de collecte » de véhicules hors d’usage pour remplir des objectifs de recyclage et il « n’a pas forcément besoin de beaucoup de centres par départements »Pourtant, il s’agit de « centres agréés par des préfectures, qui fonctionnent très bien, sont implantés dans leurs territoires et ont de bonnes relations avec les particuliers et les professionnels »Cela « risque d’être compliqué pour les petits centres VHU », précise Émilie Repusseau.

Lutter contre la filière illégale

L’objectif de la loi Agec est aussi de lutter contre la filière illégale. Selon l’Ademe, entre 300 000 et 500 000 véhicules sur les 1,3 million voués à la destruction partent chaque année dans la filière illégale, soit entre 30% et 40%. « Il s’agit souvent de véhicules ‘poubelles’ qui embarquent par bateaux depuis Anvers en Belgique pour être revendus en Afrique, après avoir été rachetés généralement une centaine d’euros par un concessionnaire », explique Jean-Pierre Labonne.

Un autre débouché de la filière (moins important) sont les « affichettes dans la rue » qui proposent d’enlever votre voiture gratuitement ou en échange d’un rachat d’une cinquantaine d’euros. Cette pratique est tout « à fait illégale » car les individus ne procèdent pas à la destruction de la carte grise. Ils récupèrent les pièces pour les revendre et le reste termine souvent « chez un ferrailleur ».

Or, la loi Agec « ne lutte pas du tout » contre la filière illégale. Au contraire, elle va la « faire exploser » car si demain un grand nombre de centres VHU ferment, une « bonne partie » vont continuer leur activité de façon illégale, estime Jean-Pierre Labonne. « A la FNA, qui représente les professionnels des centres VHU, on considère que la loi n’a rien fait contre la filière illégale, alors même que c’était une volonté du législateur », déplore, elle aussi, Émilie Repusseau. La possibilité que les centres VHU ayant fermé continuent leur activité de manière illégale est une « possibilité » tout à fait crédible, conclut-elle.

Sylvain Labaune

* Le décret du 24 novembre 2022 relatif à la gestion des véhicules hors d'usage et à la responsabilité élargie des producteurs et l’arrêté du 20 novembre 2023 portant cahiers des charges des éco-organismes, des systèmes individuels et des organismes coordonnateurs de la filière à responsabilité élargie

 

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