Depuis le 1er janvier 2024, les constructeurs automobiles sont
responsables de ce que deviennent les véhicules qu’ils produisent, y compris de
leur recyclage lorsqu’ils deviennent hors d’usage.
Chaque année, environ 1,3
million de VHU - pour l'essentiel, des voitures particulières - sont recyclés et détruits en France dans les 1700 centres de
traitement et les 60 broyeurs agréés. Les véhicules hors d'usage dits VHU étant des déchets particulièrement dangereux pour l'environnement, ils doivent en effet subir une dépollution complète. Leur âge tourne autour de 19 ans. À titre de comparaison,
environ 2 millions de véhicules neufs sont mis tous les ans sur le marché
national.
Les détenteurs de véhicules
voués à la destruction sont tenus de les remettre à des centres VHU, ces
installations étant le point d’entrée unique de la filière. Pour les voitures
particulières et les camionnettes, ces centres VHU doivent être agréés par la
préfecture.
La filière est régie par la
directive européenne du 18 septembre 2000. C’est le cadre juridique historique
qui a notamment défini des taux à atteindre pour la réutilisation, le recyclage
et la valorisation des pièces de véhicules. Par exemple, un des objectifs était d’atteindre d'ici à 2015 un taux minimum de
réutilisation et de recyclage de 85% en masse du VHU. « La France a atteint
l'objectif dès 2013 » et ce taux était de 87,6% en 2021, se
félicite le ministère de l’Écologie. La directive européenne de
2000 prévoit également que la remise d'un VHU à centre de traitement est
réalisée sans aucun frais pour le particulier.
La
loi Agec bouscule la filière
Mais la loi anti-gaspillage
pour une économie circulaire du 10 février 2020 ou loi Agec est venue bousculer
le secteur. Elle a instauré plusieurs dispositions majeures pour la filière
VHU, applicables à partir du 1er janvier 2024. Les dispositions de ce texte ont été précisées en 2022 dans un décret et en 2023
dans un arrêté*. Il impose la
création en 2024 d’une filière à responsabilité élargie du producteur (REP)
pour les voitures particulières, les camionnettes, les deux ou trois roues et
les quadricycles à moteur.
Le ministère de l’Écologie
explique que la mise en place de cette filière REP a pour objectif d’améliorer
les performances de collecte et de traitement des véhicules hors d’usage, de
développer l’économie circulaire des véhicules et de lutter plus efficacement
contre la filière illégale. L’organisation de cette
filière REP est assez complexe. Chaque constructeur de véhicules est tenu de
mettre en place un réseau de centres VHU avec lesquels il aura signé un
contrat, soit à travers un éco-organisme, soit à travers un système individuel
agréé pour sa marque.
Un éco-organisme est une
structure à but non lucratif mise en place par les producteurs, importateurs et
distributeurs de produits générateurs de déchets. Il est agréé par l’État en
échange de répondre à un objectif de collecte et de recyclage, en l'occurrence
de déchets automobiles dans le secteur des centres VHU. L’éco-organisme prend
en charge les marques de véhicules des constructeurs signataires.
Un système individuel agréé
fait la même chose, mais il est directement géré par le constructeur (ou confié
à un prestataire par le constructeur) pour recycler uniquement les véhicules de
sa marque. Actuellement, peu importe que
la voiture soit une Peugeot ou une Renault, elle est prise en charge et traitée
par la filière de destruction, explique Émilie Repusseau, secrétaire générale
adjointe de la Fédération nationale de l'automobile (FNA), qui vit le
changement de paradigme de l’intérieur.
Chaque
centre devra signer un contrat pour continuer son activité
Demain, avec la loi Agec, un
centre VHU agréé va devoir signer un contrat avec Renault pour détruire un
véhicule Renault (système individuel agréé). S’il a signé avec un
éco-organisme, il pourra détruire les véhicules des marques signataires de
l’éco-organisme.
D’un côté, des systèmes
individuels proposés par Renault Group et Stellantis (anciennement PSA) sont
encore en cours d’agrément. De l’autre, l’association « Recycler
mon véhicule » est devenue en janvier 2024 le premier éco-organisme de la
filière VHU en Europe. Elle a été mise en place par les constructeurs membres
de la Chambre syndicale internationale de l’automobile et du motocycle (Csiam)
pour le traitement de leurs marques (BMW, Volvo Cars, Porsche, etc.).
Avant la loi Agec, les
centres étaient assez autonomes dans le traitement des véhicules. Ils devaient
uniquement répondre à des objectifs fixés par la préfecture. « Finalement, les
constructeurs étaient assez peu regardant sur la manière dont les véhicules
étaient déconstruits », commente Émilie Repusseau. Désormais, le constructeur
sera responsable du traitement de ses véhicules une fois qu’ils sont hors
d’usage.
L’objectif de la loi est
de « renforcer la responsabilité du constructeur » et cela est
en train de tout changer dans « l’organisation de la filière »,
souligne-t-elle. Plusieurs délais
supplémentaires ont été successivement attribués au secteur automobile pour la
mise en place de la filière REP.
Le délai pour la signature
des contrats n’est plus que de quelques mois. « Bien que les choses ne
soient pas encore toutes cadrées, les centres VHU ont jusqu’à fin 2024 pour
choisir de contracter avec un système individuel ou un éco-organisme, ce qui
constituera la filière REP », précise Émilie Repusseau.
Pour les particuliers, le texte prévoit que l’enlèvement est à présent gratuit depuis le lieu de détention
du véhicule hors d’usage. Avant, seulement la reprise par un centre était
gratuite (frais de déplacement à la charge du particulier).
De
nombreux centres menacés de fermeture
D’après les acteurs du
secteur, l’arrivée de la loi Agec pourrait conduire à la fermeture de nombreux
centres VHU. Alors que la « filière
VHU fonctionnait très bien, qu’elle était autonome, indépendante, et ne
demandait rien à personne, tout en atteignant les objectifs fixés par l’Union
européenne, voilà qu’arrive la loi Agec, tombée de je ne sais où »,
déplore Jean-Pierre Labonne, professionnel du secteur et président de la
filière déconstruction automobile de la Fédération des entreprises du recyclage
(Federec). « Soudain, on
décide que pour continuer à faire leur métier, les centres VHU vont devoir
signer un contrat » avec les constructeurs,
poursuit-il.
Les groupes français Renault
et Stellantis « n’ont pas décidé de passer par un éco-organisme comme
le font en général tous les metteurs en marché, mais plutôt de faire un système
individuel ». Avec ce système individuel,
les deux constructeurs français « ne vont gérer que leurs
marques » en accordant des contrats uniquement aux centres VHU qu’ils
considéreront « comme des bons élèves ».
Or « sur les 1700
centres ouverts aujourd’hui, il y en a forcément des bons et des moins
bons ». En l’état, « Renault et Stellantis annoncent qu’ils
vont retenir seulement 600 centres », explique Jean-Pierre Labonne. En soustrayant les centres
qui vont contractualiser avec l’éco-organisme, « il ne
restera plus qu’environ 1200 centres après l’application de la loi Agec, contre
1700 avant ». À noter que parmi ces 500
fermetures, il figure « 250 centres qui ne remplissent pas depuis
longtemps leurs obligations de suivi », notamment leurs déclarations
annuelles à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe),
déclare Jean-Pierre Labonne.
Emilie Repusseau donne quant
à elle une estimation plus basse des fermetures : « je pense qu’environ
200 centres vont fermer, y compris des centres qui fonctionnaient bien ». Comme Renault et Stellantis
ont annoncé « vouloir signer avec un centre VHU sur deux, toute la
question est de savoir si l’éco-organisme aura la capacité de prendre en charge
les autres marques », continue-t-elle.
À la FNA, « on trouve
dommage de laisser un constructeur décider s’il signe ou non avec un
centre ». Le « constructeur a surtout besoin d’un réseau de
collecte » de véhicules hors d’usage pour remplir des objectifs de
recyclage et il « n’a pas forcément besoin de beaucoup de centres par
départements ». Pourtant, il s’agit de « centres
agréés par des préfectures, qui fonctionnent très bien, sont implantés dans
leurs territoires et ont de bonnes relations avec les particuliers et les
professionnels ». Cela « risque d’être
compliqué pour les petits centres VHU », précise Émilie Repusseau.
Lutter
contre la filière illégale
L’objectif de la loi Agec est
aussi de lutter contre la filière illégale. Selon l’Ademe, entre 300 000
et 500 000 véhicules sur les 1,3 million voués à la destruction partent chaque
année dans la filière illégale, soit entre 30% et 40%. « Il s’agit
souvent de véhicules ‘poubelles’ qui embarquent par bateaux depuis Anvers en
Belgique pour être revendus en Afrique, après avoir été rachetés généralement
une centaine d’euros par un concessionnaire »,
explique Jean-Pierre Labonne.
Un autre débouché de la
filière (moins important) sont les « affichettes dans la rue »
qui proposent d’enlever votre voiture gratuitement ou en échange d’un rachat
d’une cinquantaine d’euros. Cette pratique est tout « à
fait illégale » car les individus ne procèdent pas à la destruction de
la carte grise. Ils récupèrent les pièces pour les revendre et le reste termine
souvent « chez un ferrailleur ».
Or, la loi Agec « ne
lutte pas du tout » contre la filière illégale. Au contraire, elle va
la « faire exploser » car si demain un grand nombre de centres
VHU ferment, une « bonne partie » vont continuer leur activité
de façon illégale, estime Jean-Pierre Labonne. « A la FNA, qui
représente les professionnels des centres VHU, on considère que la loi n’a rien
fait contre la filière illégale, alors même que c’était une volonté du
législateur », déplore, elle aussi, Émilie Repusseau. La possibilité que les
centres VHU ayant fermé continuent leur activité de manière illégale est une « possibilité »
tout à fait crédible, conclut-elle.
Sylvain Labaune
* Le décret du 24 novembre
2022 relatif à la gestion des véhicules hors d'usage et à la responsabilité
élargie des producteurs et l’arrêté du 20 novembre 2023 portant cahiers des
charges des éco-organismes, des systèmes individuels et des organismes
coordonnateurs de la filière à responsabilité élargie