SOCIÉTÉ

Les demandes de reconnaissance de filiation augmentent pour les enfants nés d'une GPA

Les demandes de reconnaissance de filiation augmentent pour les enfants nés d'une GPA
Publié le 05/01/2025 à 12:00

Bien que la GPA reste interdite en France, les évolutions récentes de la jurisprudence française et européenne permettent à un nombre croissant de parents français de faire reconnaître la filiation de leurs enfants nés d’une mère porteuse à l'étranger. Cette contradiction apparente, entre une législation restrictive et une pratique judiciaire qui se développe, fait dire à de nombreux experts que la loi française de bioéthique doit être revue, en tenant compte des réalités du terrain.

Malgré l’interdiction de la GPA en France, des centaines de familles françaises se tournent chaque année vers des pays où cette pratique est légale, comme le Canada, l’Ukraine ou certains États américains. S’il n’existe pas de données précises en France du fait de l’interdiction, les associations spécialisées considèrent généralement que, chaque année, entre 200 et 400 enfants naîtraient par GPA à l’étranger de parents français.

Les parents qui se lancent dans une GPA ne risquent pas de poursuites pénales à leur retour en France, a souligné Clélia Richard, avocate spécialisée en droit de la famille, lors d’un colloque organisé mardi 17 décembre à l’université Paris-Saclay. Durant cette journée, plusieurs experts ont fait le point sur les évolutions récentes en droit de la famille, à l’occasion du trentième anniversaire des lois de bioéthique, dont les premières versions ont été promulguées en 1994.

Cette absence de poursuites judiciaires, à l’encontre des parents français ayant eu recours à la GPA, s’explique en droit pénal par le principe de réciprocité. Selon ce principe, un État n'applique pas ses lois pénales pour des actes commis à l'étranger, sauf si ceux-ci sont également punis dans le pays où ils ont été perpétrés. Pour le dire autrement, si un parent français a eu recours à une GPA dans un pays où cette pratique est légale, il ne peut pas être poursuivi à son retour en France, car il n’y a pas de réciprocité entre les deux systèmes juridiques (la GPA étant interdite en France, mais autorisée, par exemple, au Canada).

« Ce principe de réciprocité s’appliquant à la GPA a été confirmé en 2006 en France dans une décision emblématique : l'affaire Mennesson, qui a joué un rôle central dans l'évolution du droit en la matière », a expliqué Clélia Richard. Dans cette affaire, le juge d’instruction de Créteil a rendu une ordonnance de non-lieu, confirmant qu'un couple français ayant eu recours à une GPA légale aux États-Unis ne pouvait pas être poursuivi pénalement à leur retour en France. « Il est important de rappeler cette absence de poursuite en France, car de nombreux parents français qui envisagent une GPA éprouvent souvent, avant de se lancer, une peur ou une culpabilité, craignant de se trouver dans une situation presque délinquantielle », a déclaré l’avocate.

Lors du colloque, plusieurs intervenants ont insisté sur le fait que la décision de 2006 du tribunal de Créteil a marqué un tournant historique en créant une jurisprudence, bien que la GPA soit interdite en France. Cette jurisprudence a par la suite été réaffirmée à plusieurs reprises, notamment par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Les moyens de faire reconnaître une filiation après GPA

Cependant, l’absence de poursuites ne signifie pas pour autant une reconnaissance de la filiation entre l’enfant et les parents d’intention, c’est-à-dire ceux qui ont sollicité la GPA. Ainsi, pour faire valoir par exemple des droits successoraux, les parents d’intention doivent souvent entamer une procédure administrative ou judiciaire une fois rentrés en France. Plusieurs méthodes s’offrent actuellement à eux, a détaillé Clélia Richard.

Dans certains cas, il est possible d’ouvrir un droit de filiation grâce à la transcription de l’acte de naissance étranger. « La transcription est la procédure administrative ou judiciaire qui permet de recopier l’acte de naissance établi à l’étranger dans les registres de l'état civil français », a précisé l’avocate.

Si cette procédure ne confère pas automatiquement un droit à la filiation, elle peut permettre une reconnaissance officielle de l’acte de naissance par l'État français, et ainsi ouvrir plus facilement la voie à une reconnaissance de la filiation et des droits associés (droits successoraux, délivrance d'un passeport français, etc.). À noter que la transcription de l’acte de naissance étranger sur les registres français de l'État civil n’est pas une formalité obligatoire.

« Des parents qui ont eu un bébé par GPA peuvent en théorie fonctionner avec un certificat de naissance étranger si celui-ci est traduit par une personne assermentée. Ce certificat peut notamment permettre l’inscription à la Sécurité sociale ou à l’école », a précisé Clélia Richard. Pour aboutir à la transcription de l’acte de naissance, deux situations sont toutefois à différencier.

Pour le parent biologique mentionné dans l’acte de naissance étranger (par exemple le père génétique dans le cas d’une GPA), la transcription est généralement acceptée par l’administration française, à condition que l’acte soit conforme aux lois locales du pays où il a été établi. Les choses sont en revanche plus complexes pour le second parent non biologique, même s’il est mentionné dans l’acte de naissance étranger.

La reconnaissance du lien de filiation nécessite alors des démarches supplémentaires comme une demande d’adoption ou une procédure judiciaire telle que l’exequatur, a développé Clélia Richard. La procédure d’exequatur permet de faire reconnaître en France un jugement rendu à l’étranger. Dans le cas d’une GPA, une filiation peut être reconnue si une décision de justice a été rendue en ce sens par un tribunal étranger.

Une loi de bioéthique « affaiblie »

La reconnaissance de la filiation après GPA a beaucoup évolué ces dernières années, dans un contexte marqué par la mise en lumière d’une série de décisions judiciaires favorables aux parents. Les différents experts présents lors du colloque ont fait état d’une hausse sensible du nombre de dossiers de filiation portés devant les tribunaux.

Cette évolution de la jurisprudence, qui tend de plus en plus vers la reconnaissance de la filiation après GPA, s’est faite à travers des récentes décisions de tribunaux comme la Cour de cassation ou la CEDH, et ce, malgré le cadre strict de la loi française réaffirmé (voire renforcé) avec la loi de bioéthique de 2021.

« Plusieurs réalités coexistent lorsqu’il y a un recours à la GPA. Il peut s’agir d‘un couple hétérosexuel au sein duquel la femme ne peut pas ou ne veut pas procréer, d’un couple d’hommes, ou bien de personnes seules, hommes comme femmes », a souligné Ana Zelcevic-Duhamel, maîtresse de conférences en droit privé à l'université Paris Cité. La chercheuse a découpé la jurisprudence en matière de filiation en deux phases temporelles, une première durant laquelle le lien biologique a primé, avant « l’avènement de la parenté d’intention » grâce aux procédures d’exequatur.

Malgré l’interdiction de la GPA par la loi française, la CEDH a condamné la France en 2014 dans les arrêts Mennesson et Labassée pour avoir pratiqué une politique de refus de transcription des actes de naissance d'enfants nés à l'étranger après GPA.

La CEDH a considéré qu’il y avait une violation du droit au respect de la vie privée. « En effet, interdire totalement la transcription de la filiation paternelle, et en conséquence l’établissement d’une filiation biologique entre un père et ses enfants issus d’une GPA, a pour effet de priver ces derniers d’une partie de leur identité », a expliqué Ana Zelcevic-Duhamel. De cette manière, la CEDH a ouvert la voie à la reconnaissance du lien biologique entre les parents et des enfants issus de GPA.

La Cour de cassation a ensuite repris le même raisonnement dans une jurisprudence importante de 2015. Malgré l’interdiction de la GPA en France, elle a jugé que la filiation pouvait être reconnue pour le parent biologique si l’acte de naissance étranger le mentionne en tant que tel.

« Par la suite, la CEDH a repris cette logique en 2017 dans l’affaire Paradiso et Campanelli où la cour européenne a refusé la reconnaissance de la filiation dans la mesure où il n’y avait pas, au départ, de filiation biologique », continue Ana Zelcevic-Duhamel.

La justice française est allée encore plus loin, dans une décision rendue en 2019 par la Cour de cassation dans l’affaire Mennesson, en permettant l’inscription dans leur intégralité des actes de l'État civil des enfants issus d’une GPA à l’étranger (après reconnaissance d’une procédure d’exequatur).

En 2021, la loi française de bioéthique a restreint la possibilité de transcription de la filiation dans l’état civil pour les parents non biologiques. Cette disposition, qui devait pourtant « mettre fin à la notion de parents d’intention », a échoué à s'imposer dans la pratique, souligne Ana Zelcevic-Duhamel.

La Cour de cassation a depuis continué d’utiliser la procédure d'exequatur pour permettre la reconnaissance de la filiation, comme elle l’avait déjà fait dans la décision de 2019 dans l’affaire Mennesson. Depuis 2019, plusieurs décisions de ce type ont été rendues par la Cour, dont deux derniers arrêts, datant du 2 octobre et du 14 novembre 2024, qui ont confirmé l’utilisation de la procédure d’exequatur pour reconnaître la filiation dans les cas de GPA, y compris pour les parents non biologiques.

« Cette procédure a été tout à fait admise par la Cour de cassation. Cela signifie qu’une pratique s’était déjà installée avant la loi de bioéthique de 2021, bien que celle-ci visait précisément à supprimer la reconnaissance des parents d’intention », analyse la chercheuse. « La disposition introduite en 2021 n’a pas réussi l’épreuve de la réalité ainsi que celle de la Cour de cassation qui a validé la notion d’exequatur à laquelle elle a été soumise », précise-t-elle.

Ainsi, la jurisprudence actuelle, française et européenne, semble contourner les restrictions de la loi de bioéthique sur la GPA, dans un mouvement déjà amorcé avant la loi de 2021. Ce décalage entre législation et pratique judiciaire fait dire à Ana Zelcevic-Duhamel que la loi française, en matière de bioéthique, « n’a jamais été aussi affaiblie qu’aujourd’hui ».

Sylvain Labaune

 

0 commentaire
Poster

Nos derniers articles