Bien que la GPA reste interdite en France, les évolutions
récentes de la jurisprudence française et européenne permettent à un nombre
croissant de parents français de faire reconnaître la filiation de leurs
enfants nés d’une mère porteuse à l'étranger. Cette contradiction apparente,
entre une législation restrictive et une pratique judiciaire qui se développe,
fait dire à de nombreux experts que la loi française de bioéthique doit être
revue, en tenant compte des réalités du terrain.
Malgré
l’interdiction de la GPA en France, des centaines de familles françaises se
tournent chaque année vers des pays où cette pratique est légale, comme le
Canada, l’Ukraine ou certains États américains. S’il
n’existe pas de données précises en France du fait de l’interdiction, les
associations spécialisées considèrent généralement que, chaque année, entre 200
et 400 enfants naîtraient par GPA à l’étranger de parents français.
Les
parents qui se lancent dans une GPA ne risquent pas de poursuites pénales à
leur retour en France, a souligné Clélia Richard, avocate spécialisée en droit
de la famille, lors d’un colloque organisé mardi 17 décembre à l’université
Paris-Saclay. Durant cette journée, plusieurs experts ont fait le point sur les
évolutions récentes en droit de la famille, à l’occasion du trentième
anniversaire des lois de bioéthique, dont les premières versions ont été
promulguées en 1994.
Cette
absence de poursuites judiciaires, à l’encontre des parents français ayant eu
recours à la GPA, s’explique en droit pénal par le principe de réciprocité. Selon ce
principe, un État n'applique pas ses lois pénales pour des actes commis à
l'étranger, sauf si ceux-ci sont également punis dans le pays où ils ont été
perpétrés. Pour le
dire autrement, si un parent français a eu recours à une GPA dans un pays où
cette pratique est légale, il ne peut pas être poursuivi à son retour en
France, car il n’y a pas de réciprocité entre les deux systèmes juridiques (la
GPA étant interdite en France, mais autorisée, par exemple, au Canada).
« Ce
principe de réciprocité s’appliquant à la GPA a été confirmé en 2006 en France
dans une décision emblématique : l'affaire Mennesson, qui a joué un rôle
central dans l'évolution du droit en la matière », a expliqué Clélia Richard. Dans
cette affaire, le juge d’instruction de Créteil a rendu une ordonnance de
non-lieu, confirmant qu'un couple français ayant eu recours à une GPA légale
aux États-Unis ne pouvait pas être poursuivi pénalement à leur retour en
France. « Il est
important de rappeler cette absence de poursuite en France, car de nombreux
parents français qui envisagent une GPA éprouvent souvent, avant de se lancer,
une peur ou une culpabilité, craignant de se trouver dans une situation presque
délinquantielle », a déclaré l’avocate.
Lors du
colloque, plusieurs intervenants ont insisté sur le fait que la décision de
2006 du tribunal de Créteil a marqué un tournant historique en créant une
jurisprudence, bien que la GPA soit interdite en France. Cette
jurisprudence a par la suite été réaffirmée à plusieurs reprises, notamment par
la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
Les moyens de faire reconnaître une filiation après GPA
Cependant,
l’absence de poursuites ne signifie pas pour autant une reconnaissance de la
filiation entre l’enfant et les parents d’intention, c’est-à-dire ceux qui ont
sollicité la GPA. Ainsi,
pour faire valoir par exemple des droits successoraux, les parents d’intention
doivent souvent entamer une procédure administrative ou judiciaire une fois
rentrés en France. Plusieurs
méthodes s’offrent actuellement à eux, a détaillé Clélia Richard.
Dans
certains cas, il est possible d’ouvrir un droit de filiation grâce à la
transcription de l’acte de naissance étranger. « La
transcription est la procédure administrative ou judiciaire qui permet de
recopier l’acte de naissance établi à l’étranger dans les registres de l'état
civil français », a précisé l’avocate.
Si cette
procédure ne confère pas automatiquement un droit à la filiation, elle peut
permettre une reconnaissance officielle de l’acte de naissance par l'État
français, et ainsi ouvrir plus facilement la voie à une reconnaissance de la
filiation et des droits associés (droits successoraux, délivrance d'un
passeport français, etc.). À noter
que la transcription de l’acte de naissance étranger sur les registres français
de l'État civil n’est pas une formalité obligatoire.
« Des
parents qui ont eu un bébé par GPA peuvent en théorie fonctionner avec un
certificat de naissance étranger si celui-ci est traduit par une personne
assermentée. Ce certificat peut notamment permettre l’inscription à la Sécurité
sociale ou à l’école », a précisé Clélia
Richard. Pour
aboutir à la transcription de l’acte de naissance, deux situations sont
toutefois à différencier.
Pour le
parent biologique mentionné dans l’acte de naissance étranger (par exemple le
père génétique dans le cas d’une GPA), la transcription est généralement
acceptée par l’administration française, à condition que l’acte soit conforme
aux lois locales du pays où il a été établi. Les
choses sont en revanche plus complexes pour le second parent non biologique,
même s’il est mentionné dans l’acte de naissance étranger.
La
reconnaissance du lien de filiation nécessite alors des démarches
supplémentaires comme une demande d’adoption ou une procédure judiciaire telle
que l’exequatur, a développé Clélia Richard. La
procédure d’exequatur permet de faire reconnaître en France un jugement rendu à
l’étranger. Dans le cas d’une GPA, une filiation peut être reconnue si une
décision de justice a été rendue en ce sens par un tribunal étranger.
Une loi de bioéthique « affaiblie »
La
reconnaissance de la filiation après GPA a beaucoup évolué ces dernières
années, dans un contexte marqué par la mise en lumière d’une série de décisions
judiciaires favorables aux parents. Les
différents experts présents lors du colloque ont fait état d’une hausse
sensible du nombre de dossiers de filiation portés devant les tribunaux.
Cette
évolution de la jurisprudence, qui tend de plus en plus vers la reconnaissance
de la filiation après GPA, s’est faite à travers des récentes décisions de
tribunaux comme la Cour de cassation ou la CEDH, et ce, malgré le cadre strict
de la loi française réaffirmé (voire renforcé) avec la loi de bioéthique de
2021.
« Plusieurs
réalités coexistent lorsqu’il y a un recours à la GPA. Il peut s’agir d‘un
couple hétérosexuel au sein duquel la femme ne peut pas ou ne veut pas
procréer, d’un couple d’hommes, ou bien de personnes seules, hommes comme
femmes », a souligné Ana Zelcevic-Duhamel,
maîtresse de conférences en droit privé à l'université Paris Cité. La
chercheuse a découpé la jurisprudence en matière de filiation en deux phases
temporelles, une première durant laquelle le lien biologique a primé, avant «
l’avènement de la parenté d’intention » grâce aux procédures d’exequatur.
Malgré
l’interdiction de la GPA par la loi française, la CEDH a condamné la France en
2014 dans les arrêts Mennesson et Labassée pour avoir pratiqué une politique de
refus de transcription des actes de naissance d'enfants nés à l'étranger après
GPA.
La CEDH
a considéré qu’il y avait une violation du droit au respect de la vie privée. «
En effet, interdire totalement la transcription de la filiation paternelle, et
en conséquence l’établissement d’une filiation biologique entre un père et ses
enfants issus d’une GPA, a pour effet de priver ces derniers d’une partie de
leur identité », a expliqué Ana Zelcevic-Duhamel. De cette
manière, la CEDH a ouvert la voie à la reconnaissance du lien biologique entre
les parents et des enfants issus de GPA.
La Cour
de cassation a ensuite repris le même raisonnement dans une jurisprudence
importante de 2015. Malgré l’interdiction de la GPA en France, elle a jugé que
la filiation pouvait être reconnue pour le parent biologique si l’acte de
naissance étranger le mentionne en tant que tel.
« Par la
suite, la CEDH a repris cette logique en 2017 dans l’affaire Paradiso et
Campanelli où la cour européenne a refusé la reconnaissance de la filiation
dans la mesure où il n’y avait pas, au départ, de filiation biologique », continue Ana Zelcevic-Duhamel.
La
justice française est allée encore plus loin, dans une décision rendue en 2019
par la Cour de cassation dans l’affaire Mennesson, en permettant l’inscription
dans leur intégralité des actes de l'État civil des enfants issus d’une GPA à
l’étranger (après reconnaissance d’une procédure d’exequatur).
En 2021,
la loi française de bioéthique a restreint la possibilité de transcription de
la filiation dans l’état civil pour les parents non biologiques. Cette
disposition, qui devait pourtant « mettre fin à la notion de parents
d’intention », a échoué à s'imposer dans la pratique, souligne Ana
Zelcevic-Duhamel.
La Cour
de cassation a depuis continué d’utiliser la procédure d'exequatur pour
permettre la reconnaissance de la filiation, comme elle l’avait déjà fait dans
la décision de 2019 dans l’affaire Mennesson. Depuis
2019, plusieurs décisions de ce type ont été rendues par la Cour, dont deux derniers arrêts, datant du 2 octobre et du 14 novembre 2024, qui ont
confirmé l’utilisation de la procédure d’exequatur pour reconnaître la
filiation dans les cas de GPA, y compris pour les parents non biologiques.
« Cette
procédure a été tout à fait admise par la Cour de cassation. Cela signifie
qu’une pratique s’était déjà installée avant la loi de bioéthique de 2021, bien
que celle-ci visait précisément à supprimer la reconnaissance des parents
d’intention », analyse la chercheuse. « La
disposition introduite en 2021 n’a pas réussi l’épreuve de la réalité ainsi que
celle de la Cour de cassation qui a validé la notion d’exequatur à laquelle
elle a été soumise », précise-t-elle.
Ainsi,
la jurisprudence actuelle, française et européenne, semble contourner les
restrictions de la loi de bioéthique sur la GPA, dans un mouvement déjà amorcé
avant la loi de 2021. Ce
décalage entre législation et pratique judiciaire fait dire à Ana
Zelcevic-Duhamel que la loi française, en matière de bioéthique, « n’a
jamais été aussi affaiblie qu’aujourd’hui ».
Sylvain Labaune