DROIT

Les notaires, acteurs essentiels de la protection des majeurs vulnérables

Les notaires, acteurs essentiels de la protection des majeurs vulnérables
Publié le 26/11/2024 à 10:00

À la suite d'une réforme progressive sur la protection des personnes vulnérables, le rôle des notaires a pris de l’ampleur dans ce périmètre. Le modèle français paraît complexe, comment se traduit-il en pratique ?

L'université Panthéon-Sorbonne vient d’accueillir un séminaire consacré à ce thème. Les intervenants ont souligné l'opacité des différentes mesures de protection prescrites par la loi. Ils ont aussi remarqué un renforcement du devoir de vigilance des notaires dans le cadre spécifique des tutelles. Pour les mesures plus récemment créées que sont l'habilitation familiale et le mandat de protection future, ces officiers ministériels ont aussi un rôle important à jouer puisqu'ils en sont souvent les promoteurs.

100 000 nouvelles mesures de protection en 2023

En 2016, un rapport de la Cour des comptes alertait sur les défaillances de la loi en matière de protection des majeurs vulnérables. Face à la recrudescence des demandes de mesures de ces dernières années. Le législateur a réagi en vue d'éviter un engorgement des tribunaux. Le Parlement a donc adopté en 2019 une loi instaurant des aménagements aux mesures de protection. Si le nombre de demandes de protections n'a pas fléchi depuis, il est encore trop tôt pour savoir si les saisines du juge pour le contrôle des mesures déjà prononcées diminuent. Si moins d'autorisations d'actes au cours des tutelles incombent au juge des contentieux de la protection, les recours des protégés contre ces mêmes autorisations prises par les mandataires judiciaires pourraient augmenter.

À l'origine, la curatelle n'était qu'une assistance dans les actes courants d'administration du majeur protégé (ex : gestion des ressources financières, renouvellement d'un bail) tandis que la tutelle était la représentation de la personne vulnérable, y compris pour certains actes dits « de disposition ». C'est-à-dire les décisions fondamentales comme la vente immobilière ou la clôture d'un compte bancaire.

Depuis l'adoption de la loi du 23 mars 2019, la distinction des différents régimes de protection est devenue « assez floue » pour Christophe Vernières, Professeur à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Dorénavant, le curateur outrepasse la simple assistance du protégé et peut aussi le représenter en formant des actes en son nom, comme le faisait le tuteur avec l’ancienne loi. Les décrets d'application de la nouvelle loi n'ont été publiés que récemment (jusqu'à cette année).

Concernant la tutelle spécifiquement, les juges ne sont plus toujours saisis pour les actes de disposition, déléguant ainsi aux tuteurs et aux notaires une responsabilité accrue. Les intervenants redoutent une augmentation des contentieux en responsabilité à l'encontre des notaires.

Quid des moyens qui leur sont octroyés pour l'élargissement de leurs fonctions ?

Une déjudiciarisation des tutelles au profit du notaire

Depuis 2019, le tuteur peut « tout seul » accepter la succession dévolue au protégé. Il doit cependant s'assurer auprès du notaire que les créances du défunt sont supérieures à ses dettes. À la différence d'une succession classique, le notaire doit aussi vérifier que le tuteur n'accepte pas lui-même la succession si elle est déficitaire. Le texte dispose que le notaire doit, dans cette situation, établir une attestation par laquelle il certifie que le patrimoine contient significativement plus d'actif que de passif. En matière patrimoniale, la réforme n'a pas modifié que le choix de la succession, mais aussi le partage d'un immeuble. L'accord préalable du juge des contentieux de la protection (nouveau juge des tutelles depuis 2020) n'est plus requis.

Le notaire devient donc le seul interlocuteur, tiers à la mesure de protection, qui veille à éviter un abus de faiblesse. Dans ces deux situations, « le notaire se retrouve substitué au juge », conclut Christophe Vernières.

Dans la loi nouvelle, le législateur étend la liberté du majeur sous protection à se pacser, se marier et à divorcer. Auparavant, le protégé devait obtenir l'accord du juge avant de s'engager dans l'un ou l'autre de ces actes. Depuis, « le juge se trouve un peu évincé ». Le notaire a donc désormais une responsabilité accrue dans la recherche du consentement du protégé.

Le seul palliatif à la déjudiciarisation du mariage, c'est qu'il ne concerne pas seulement le notaire, mais aussi les tuteurs/curateurs. « Le majeur protégé doit simplement informer préalablement son tuteur ou son curateur afin qu'il puisse s'y opposer », poursuit le professeur.

La disposition la plus surprenante de la réforme, est l'attribution au notaire du contrôle des comptes de gestion des majeurs protégés dans le cadre des tutelles et des curatelles. Auparavant, cette surveillance était effectuée par le greffier-en-chef. Le décret du 3 juillet dernier est venu ajouter cette fonction aux officiers ministériels.

Concernant la tutelle et la curatelle, le notaire voit son office fondamentalement modifié. Néanmoins, cette modification n'est que partielle en considération du droit étranger. Nathalie Baillon Wirtz, professeure à l'université Reims Champagne-Ardenne, évoque le cas de la Belgique. En plus de conseiller sur les mesures de protection adéquates, les notaires belges ont pour charge de les inscrire sur un registre central géré par eux. Cette mission n'est pas dévolue aux notaires français.

En France, parmi les mesures de protection que prononce le juge, le mandat de protection future et l'habilitation familiale ont été créés respectivement en 2007, puis en 2016. Le mandat de protection future est l'acte par lequel un majeur, protégé ou non, convient de laisser la gestion ultérieure de ses biens ou de sa personne à un tiers. Il doit être notarié si le mandataire est amené à vendre un bien immobilier. Le juge, lui, n'intervient dans la conclusion d'un mandat de protection future que si la personne vulnérable a été mise sous tutelle.

Selon une enquête du Conseil supérieur du notariat en décembre 2021, le nombre de mandats de protections futures était de 15 000 par an. Ces chiffres sont faibles comparés au Québec où la mesure est très répandue (44% des Québécois auraient souscrit à un tel mandat) et plus de 60 000 établis en Belgique, selon le professeur Vernières, pour une population bien inférieure.

En France, l'habilitation familiale ne peut se cumuler à une autre mesure de protection et consiste en une représentation actuelle de la personne vulnérable par un proche. Elle ne nécessite pas de contrôle judiciaire, bien qu'elle soit prononcée par un juge et qu'elle ne soit pas contractuelle. Ces nouvelles mesures sont encore peu sollicitées dans l'hexagone, car les Français connaissent la protection des majeurs essentiellement par des mesures contrôlées par le juge et à son initiative.

« C'est le notaire qui est l'instigateur »

Pour les deux mesures précitées, la proposition provient souvent du notaire. « Dans le mandat de protection future, c'est le notaire qui est l'instigateur. Il détecte chez son client une inaptitude et recherche la mesure adéquate pour protéger au mieux les intérêts de ce dernier. »

Il peut aussi proposer une habilitation familiale où il a un rôle élargi puisqu'il doit chercher à savoir si son client est déjà protégé par une mesure. Or, une habilitation familiale générale est publiée officiellement, contrairement à une habilitation spéciale. Le notaire doit donc investiguer par ses propres moyens pour assurer la sécurité juridique de l'acte.

Le « désordre » pointé par le professeur Vernières à propos des différents régimes de protection français pourrait trouver son terme dans l'inspiration du système belge.

De l'autre côté des Ardennes, le législateur a prévu deux mesures uniques de protection bien distinctes l'une de l'autre. Il s'agit de l'administration judiciaire que le juge décide en nommant un administrateur qu'il contrôle, et le mandat extrajudiciaire qui ne fait pas appel au magistrat. Depuis 2018, ce mandat porte sur la gestion du patrimoine, mais aussi sur la protection de la personne, explique Nathalie Baillon Wirtz. Ces deux mesures simplifient les procédures et la compréhension pour les majeurs vulnérables de leurs droits, sans pour autant être rigides, puisque des aménagements restent possibles. Au mandat extrajudiciaire, peut être ajoutée une déclaration de préférence, qui est l'équivalent du mandat de protection future français. Une personne de confiance peut aussi être désignée dans le mandat. Cette dernière aura pour obligation de surveiller les actes effectués par le mandataire. Étant contractuels, le mandat extrajudiciaire et la déclaration de préférence sont des actes solennels, et leur établissement relève donc du notaire.

Plus que dans notre droit, la Belgique fait prévaloir sur la mesure le principe de l'autonomie de la personne, par lequel, même dans le cadre d'une mesure de protection, le majeur protégé conserve sa capacité juridique. Il ne la perd « qu'en cas d'exception ultime » selon la professeure Baillon Wirtz.

En France, pour rechercher le consentement de la personne vulnérable, le notaire se mue parfois en juge et réclame des certificats médicaux circonstanciés de ses clients. C'est le seul moyen dont il dispose pour s'assurer de la lucidité du majeur vulnérable au moment de signer un mandat de protection future ou d'un état de santé déclinant pour une directive anticipée. En effet, pour cette dernière, un majeur, même s'il est protégé, peut, malgré la méconnaissance de ce principe de l'autonomie, décider seul d'un acte médical le concernant si son état le permet, en vertu de l'article 459 du Code civil.

Antonio Desserre

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