À
l’occasion du Forum Technologies et Notariat, Technot’,
organisé le 17 juin
dernier par les Notaires du Grand Paris, nous nous sommes entretenus avec
Maîtres Olivier Herrnberger, notaire à Issy-les-Moulineaux et président du 117e
Congrès des notaires qui se tiendra en septembre prochain à Nice, Nicole
Bokobza, notaire à Paris, associée chez Arias Notaires et Maître Stéphane
Adler, notaire à Paris, associé chez 137 notaires.
Ces derniers ont fait le point sur les nouvelles technologies utilisées dans
leur étude, et plus globalement sur leur impact sur la profession notariale. En
quoi la crise sanitaire a-t-elle accéléré la révolution numérique dans les
offices ? Réponses.
Le 17 juin dernier, vous avez
participé à la 4e édition de Technot’,
que représente pour vous cet événement ?
Olivier
Herrnberger : Pour moi, il s’agit d’un rendez-vous central pour les
notaires, qui leur permet, chaque année, de faire un point sur les innovations
technologiques commercialisées ou en développement. C’est un moment essentiel
pour appréhender les nouveaux outils et s’assurer que l’on ne prend pas de
retard dans son propre fonctionnement. Les évolutions sont rapides et l’on peut
vite se retrouver sur le bord du chemin.
Nicole Bokobza : Cet événement permet en effet de
faire le point sur les avancées technologiques dans le monde du droit et de
découvrir les évolutions à venir.
Stéphane
Adler : J’ajoute que c’est une concentration des dernières évolutions
digitales pour le besoin à la fois des notaires et de leurs clients. Il y a
plein de bonnes idées et de belles applications au même endroit et au même
moment. Cela fait réfléchir sur ce que l’on peut faire, sur la gestion de nos
offices et le service à rendre à nos clients.
Quelles conséquences la crise sanitaire a-t-elle eues sur les offices
notariaux ? Et plus particulièrement sur le vôtre ?
Olivier
Herrnberger : Incontestablement, la crise sanitaire a accéléré le processus de
dématérialisation totale des flux. Notre étude par exemple est passée en moins
de 24 heures à 100 % en
télétravail, y compris avec des postes d’ordinateurs fixes qui n’avaient pas
été configurés pour cela à l’origine, et nous avons été stupéfaits de
l’efficacité des outils et des réseaux. Avant la crise, nous avions trois
collaborateurs à plein temps en home office, et ils sont désormais six,
trois ayant finalement décidé de quitter la région parisienne, mais de
continuer à travailler avec nous. En ce qui me concerne, mes semaines sont de
plus en plus hybrides, et il m’arrive de travailler à l’extérieur lorsque je
n’ai pas de rendez-vous, et j’ajuste mon agenda quotidiennement en fonction de
la nature de ce que j’ai à faire, du degré d’interaction dont j’ai besoin avec
d’autres à un instant donné, etc. La rédaction d’une clause très complexe ou un
audit se réalisent très bien à distance dans le calme d’un domicile. En
revanche, je trouve que la mise en commun des conclusions d’un audit ou la
définition d’une stratégie de négociation est plus efficace en présentiel. Par
ailleurs, le télétravail fonctionne bien dès lors que les collaborateurs
concernés sont en mesure de gérer leurs actions avec une certaine autonomie, et
disposent d’une culture de travail en équipe qui implique une capacité à faire
circuler les informations. C’est enfin un enjeu de ressources humaines, pour
évoluer vers un management de la confiance, comme Julia de Funès l’a expliqué
dans sa conférence*.
Nicole
Bokobza : Pour ma part, je pense que la crise sanitaire nous a obligés à
repenser nos méthodes de travail. La digitalisation s’est accélérée avec le
télétravail imposé. Dans mon entreprise créée entre deux confinements (par la
fusion en octobre 2020 de deux offices, l’un à Paris et l’autre au
Bourget), le zéro papier vers lequel nous tendions est ainsi devenu la règle.
Une réflexion démarre aussi sur la mise en place du flexi-travail.
Stéphane
Adler : Comme mes confrères l’ont dit, nous avons accéléré la
dématérialisation au sein de nos offices, et le nombre de signatures d’acte à
distance est devenu très important. Nous n’échappons pas à la règle. Toutefois,
le risque de cette dématérialisation accrue c’est que les clients ne se
déplacent plus, de même que nos confrères alors que nous sommes à deux rues. En
tout cas, avec la crise, tout s’est ralenti, car l’ensemble des administrations
et institutionnels, comme les banques par exemple, sont plus lents que d’habitude.
C’est à l’heure actuelle une réalité à laquelle nous sommes confrontés.
Quels outils
technologiques sont utilisés dans votre étude ?
Olivier
Herrnberger : Globalement, les outils métiers sont performants. Ils gèrent ce
qu’il se passe « dans la cuisine » (rédaction des actes, tenue des
fichiers clients…). Il y a en revanche des progrès à faire sur ce qu’il se
passe « dans la salle à manger », c’est-à-dire l’interaction entre
les clients, le notaire et les autres intervenants au dossier (banque, agent
immobilier, syndic, etc.), notamment pour assurer à chaque participant un
niveau d’information identique et en temps réel. Certains de ces outils
présentent cependant l’inconvénient de mettre en évidence qui a fait son
travail et qui ne l’a pas fait, sans pouvoir se dissimuler derrière telle ou
telle excuse. Mais je crois que ces exigences de fluidité et de transparence –
et finalement de responsabilité – sont des demandes sociales qui ne peuvent
plus être ignorées.
Notre étude s’est beaucoup impliquée dans le développement de NOTIPLUS,
dont l’un de mes associés est cofondateurs. Cette plateforme vise justement à
améliorer les interactions et les échanges d’informations, dans le respect des
règles du secret professionnel et de déontologie du notaire.
Nicole
Bokobza : De notre côté, nos deux offices sont équipés de tous les moyens
technologiques actuels : documentation dématérialisée, ordinateurs
portables, téléphones portables professionnels, serveurs de mutualisation des
données, actes à distance, visioconférences.
Stéphane Adler : Dans mon office, c’est
la généralisation du télétravail qui a dû être adaptée. Aujourd’hui, le
télétravail n’est vraiment possible que si nous sommes zéro papier et que nous
pouvons travailler de la même manière en présentiel que chez nous. C’est
pourquoi nous avons investi pour que nos collaborateurs soient aussi efficaces
chez eux qu’au bureau. Nous travaillons depuis longtemps en zéro papier, nous
avons des ordinateurs portables avec un double écran pour la plupart de nos collaborateurs.
Évidemment, la visioconférence est de rigueur et nous échangeons via une
messagerie interne. En outre, nous avons de plus en plus besoin de faire
certifier des procurations, par conséquent, l’identification du signataire à
distance est de plus en plus nécessaire et utile.
Il est
communément admis que la crise a été un accélérateur des outils numériques.
Dans quelle mesure cela est-il vrai pour vous en tant que notaire ?
Olivier Herrnberger : La crise a amplifié la
dématérialisation totale de tous les documents, y compris ceux qui arrivent en
format papier dans les études. Elle a fait prendre conscience aussi que la
dématérialisation impliquait une très grande rigueur dans le classement des
dossiers, le nommage et le rangement des éléments numérisés. De ce point de
vue, digitalisation ne rime pas avec moins grande rigueur et moins grande
précision, et c’est sans doute exactement le contraire… La crise sanitaire a
aussi accéléré l’habitude de se réunir à distance en visioconférence pour
discuter et évidemment pour signer. Elle a aussi été propice aux réunions
mixtes, certains étant présents, d’autres à distance. Il sera intéressant de
voir dans l’avenir quelles seront les habitudes qui vont s’installer :
va-t-on revenir à une majorité de réunions physiques ou non ? Il est
amusant de constater que les grandes salles de réunion de 20 ou 25 places de nos études sont aujourd’hui moins occupées… mais ce phénomène
sera-t-il pérenne ? Je crois pour ma part qu’il n’y aura pas de règle
générale et que l’on se dirige vers une forme d’ « hybridation
intelligente » : on décidera à chaque fois, au coup par coup, de
la forme appropriée de la réunion selon le contexte, la nature de la réunion,
le degré de tension (simple échange technique froid ou véritable négociation
avec une implication psychologique).
Nicole Bokobza : Ainsi que je l’ai
indiqué ci-dessus, la crise sanitaire nous a poussés à repenser l’exercice à
distance de notre métier. En tant que notaires, nous avons dû nous adapter pour
organiser des réunions entre participants présents virtuellement dans la même
salle.
Stéphane Adler : Pour ma part, je crois
que nous étions une profession en avance sur le sujet du numérique, bien qu’il
y ait aujourd’hui un effet de rattrapage par les autres professionnels du
droit. Nous voyons bien que la profession du notariat continue d’innover en
cherchant sans cesse des outils digitaux permettant d’assurer la continuité des
services tout en assurant de la sécurité dans le digital. Et c’est l’enjeu
majeur. Ne pas détériorer la sécurité au bénéfice du numérique.
La profession était-elle prête à faire face à de nouvelles formes
d’organisation du travail comme le télétravail notamment ?
Olivier Herrnberger : Oui, et la plupart des
études ont très bien géré ce passage, puisque nous travaillions déjà totalement
de manière dématérialisée et que les échanges en interne se faisaient déjà sous
cette forme d’un bureau à l’autre dans les offices, ainsi qu’avec les
administrations, à commencer par la publicité foncière.
Nicole Bokobza : Comme mon confrère
vient de le dire, notre profession était très en avance dans le domaine
technologique : tous les outils étaient déjà opérationnels et efficients.
Mais leur utilisation était balbutiante. Le télétravail était déjà utilisé dans
mes deux offices, mais en était à ses débuts. La crise nous a montré que le
télétravail était possible et que dans le mot « télétravail » il y a
plus le mot « travail » que le mot « télé ».
Stéphane Adler : De notre côté, nous
avions déjà des collaborateurs en télétravail avant même que la pandémie
arrive. Nous nous sommes employés à l’adapter à la situation sanitaire pour nos
collaborateurs et nos clients comme je vous l’ai indiqué au-dessus.
Pour faire le lien avec le 117e Congrès des notaires qui
approche – Le numérique, l’Homme et le Droit – comment justement allier
intelligence artificielle et humain ?
Olivier Herrnberger : Luc Julia, un chercheur de la Silicon Valley, sera
présent à Nice lors du congrès pour nous parler de l’IA. Plusieurs masters
class y seront consacrées pour réfléchir, avec des avocats, des huissiers et
des magistrats, sur son impact potentiel sur l’exercice du droit. En ce qui me
concerne, je perçois l’intelligence artificielle comme une occasion de
recentrer le juriste sur le cœur de sa mission et de son utilité sociale, et
non comme une menace. Elle devrait lui permettre de gagner du temps sur le
travail d’audit de documents ou de conformité d’un contrat à la loi et à la
jurisprudence. Ce temps pourra être redéployé en faveur du client, à son
écoute, à la construction de sa stratégie contractuelle ou judiciaire, en un
mot à la contextualisation humaine. L’IA peut donc être une chance de mieux
remplir notre office, qui est celui d’accompagner des projets, en passant moins
de temps sur le « dossier » et plus sur la situation humaine.
Nicole Bokobza : Je suis persuadée
qu’un nouveau défi est devant nous : celui de pouvoir conserver les
données numériques, y avoir accès en toute sécurité et en assurer l’intégrité.
Le notaire a en tout cas vocation à être un acteur central dans cette nouvelle
ère.
Stéphane Adler : De mon côté, je suis
certain que l’intelligence artificielle sera un facilitateur pour demain. Pour
qu’elle soit efficace demain, il faut l’entraîner aujourd’hui, et pour cela,
nous avons besoin de l’humain. Il ne s’agit pas de combattre l’intelligence
artificielle, car on ne peut pas y échapper. Il faut l’utiliser au mieux pour
nous faire gagner du temps et nous donner plus de sécurité juridique.
Actuellement, la Chambre des notaires de Paris et Paris Notaires Services
travaillent sur l’IA avec des sociétés comme Hyperlex, ou Pricehubble pour que
nous ayons des outils efficaces et fiables au profit de nos confrères et de nos
clients. L’intelligence artificielle, c’est évidemment l’avenir, il suffit
juste de la mettre là où il faut pour nous faire gagner du temps et nous
permettre de nous concentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée pour nos
clients.
Propos recueillis par Myriam de Montis et Maria-Angélica Bailly