Le 22 mai dernier, le Conseil
constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés pour contrôler la
constitutionnalité de la loi d'amélioration des confiscations et saisies des
avoirs criminels. Les parlementaires retiennent leur souffle.
Le texte définitif avait été adopté par
la commission mixte paritaire le 15 mai 2024, à la suite de l'enclenchement d'une
procédure d'urgence par le Gouvernement, le 16 novembre 2023. Malgré un
consensus général sur l'essentiel de la loi entre députés et sénateurs de
toutes tendances politiques et la Chancellerie, une partie du projet ne fait
pas l'unanimité à l'Assemblée nationale. Si les sages déclarent ladite loi
conforme à la Constitution, elle sera ensuite promulguée et renforcera la lutte
contre le financement du crime en bande organisée.
Une loi d'inspiration italienne
28 ans après l'adoption de la loi
italienne de confiscation des biens mafieux au profit d'œuvres associatives, la
France est en passe de renforcer un système similaire qu'elle a commencé à
adopté en 2010. « La culture de la confiscation si répandue chez nos
voisins italiens infuse progressivement dans notre pays », selon le
député Laurent Marcangeli, député de Corse-du-Sud.
« Je me souviens de la confiscation
du premier hôtel à Palerme par mes collègues italiens. Cet hôtel avait été
affecté à des fins sociales », se rappelle l'ancienne juge
d'instruction du pôle financier, Laurence Vichnievsky, aujourd'hui députée. En
France, c'est seulement à partir de 2010 que le Parlement a commencé à
légiférer sur la possibilité de saisir des avoirs criminels.
Ce qui explique le décalage entre droits
italien et français, c'est d'abord l'importance des mafias dans le Sud de
l'Italie, sans équivalent avec la France. Ainsi, la qualification de
« mafia », n'existe pas en droit français puisque l'origine de ce mot
serait précisément attribuée à l'organisation Cosa Nostra. En Italie, un
code antimafia a d’ailleurs été créé.
La loi italienne de 1996 attribuant les
biens mafieux aux associations parachevait la fin des années de lutte contre
les mafias, qui ont commencé en 1982 par la création de l'infraction
d'association mafieuse (introduite par Pio La Torre, assassiné la même année à
Palerme). Par cette infraction nouvelle, il ne s'agissait plus de considérer
isolément le narcotrafic, le terrorisme, le blanchiment et la corruption, mais
de considérer l'appartenance des filières à une organisation tentaculaire.
Cette première grande loi autorisait la confiscation des biens mafieux sans
pour autant les attribuer à des associations. Ce
qui a fini de convaincre de législateur italien d'aller encore plus loin en
1996, ce sont les attentats commis quatre années plus tôt par Cosa Nostra
sur les magistrats antimafia Falcone et Borsellino.
Ces vingt dernières années, l'Italie a
confisqué plus de 11 milliards d'euros aux criminels.
175,5 millions d'euros confisqués en 2023
selon Éric Dupond-Moretti
La saisie d'un bien n'est que temporaire,
tandis que sa confiscation est définitive et permet ainsi d'attribuer un bien
mal acquis à une mission d'intérêt général. Plus concrètement, avant la phase
de jugement, un magistrat ordonne la saisie d'un bien pour en conserver la
preuve durant la phase de l'enquête ou de l'instruction. Pendant cette phase,
l'AGRASC (Agence de gestion de recouvrement des avoirs saisis et confisqués,
similaire à l'ANBSC transalpine) qui a en charge la gestion du bien peut être
amenée à décider de la vente du bien s'il ne sert plus comme preuve, et que sa
gestion n'est pas rentable. Si le bien n'est pas vendu, il est ensuite, soit
restitué à son propriétaire, soit confisqué par jugement. Si l'agence a eu à
vendre le bien saisi et que le mis en cause n'est pas condamné, l'argent de la
vente de son bien lui est alors restitué.
À la différence de la saisie, la
confiscation est une peine complémentaire prononcée au moment du jugement. Le
bien confisqué (meuble ou immeuble) est alors attribué à une association.
Selon le sénateur Louis Vogel, l'objectif
de cette loi est de dissuader le banditisme en instillant l'idée que le crime
ne paie pas. « Lorsqu'on confisque un bien à un voyou, ça sert à
indemniser la victime », explique le député Jean-Luc Warsmann, porteur
de la loi à l'Assemblée nationale. « ...Mais ça sert aussi, de plus en
plus, à une affectation sociale. »
Le Ministre de la justice ajoute à
l'Assemblée : « Je suis persuadé que cette proposition de loi permettra
de frapper encore plus fort, encore plus vite et encore plus efficacement les
délinquants, au portefeuille. » Avec cette réforme qui facilite en
particulier la confiscation, le nombre d'attributions de biens mal acquis aux
associations pourrait donc sensiblement être augmenté dans les années à venir.
Des moyens de saisies et confiscations
élargis
Pour frapper plus largement, le nouveau
texte permettra d'étendre la confiscation au profit de l'État pour des faits de
corruption et de trafic d'influence.
Cette extension permettra d'inclure la
procédure de CJIP (convention judiciaire d'intérêt public), issue de la loi Sapin
2, par laquelle, un accord est conclu entre le parquet et le mis en cause pour
éviter des poursuites notamment pour lesdites infractions. Les confiscations y
seront automatiques dans le cadre de cette procédure.
La saisie a aussi été élargie aux comptes
de paiements et aux actifs numériques (tels que le bitcoin).
Désormais, les saisies concerneront, en
plus du bénéfice perçu de l'infraction, la chose qui a permis la commission de
cette même infraction. En outre, elles deviendront aussi automatiques, et ne
nécessiteront donc plus de motivation de la part du magistrat.
Avant, seul le produit de l'infraction
était confisqué. Si le nouveau texte est validé par les sages, les meubles
saisis pourront aussi être attribués en plus des services de Police et de
Gendarmerie, à l'administration pénitentiaire et à l'AGRASC elle-même. Pour ce
dernier type d'affectation, a été pris en considération le manque de moyens
dans ces services pour les améliorer.
Des moyens fonctionnels de l'AGRASC sont
aussi renforcés par une nouvelle disposition. La vente des biens confisqués
sera une mission supplémentaire qui lui sera dévolue. Actuellement l'AGRASC
délègue cette mission en organisant une mise aux enchères effectuée par un
commissaire-priseur.
L'agence aura aussi pour mission de
former les magistrats et les services de police judiciaire sur les pratiques
des saisies et confiscations.
L'obligation de motiver les décisions de
saisir est perçue par les parlementaires comme un frein. L'automaticité des
saisies impliquant l'absence de motivation, est considérée comme un des moyens
de rendre une justice plus rapide et plus effective. Ce n'est pas le seul axe
d'amélioration de la réforme pour accélérer les procédures. La réduction du
nombre de juges pour délibérer en est un autre.
Des procédures de saisie simplifiées
Selon la députée Karine Daniel, le champ
d'action des GIR (groupes interministériels de recherches) qui interviennent
dans les enquêtes patrimoniales au sein de la police judiciaire est
actuellement insuffisant. La réforme permettra aux officiers de police, sous le
contrôle des magistrats, de saisir rapidement les biens dont la disparition
imminente est soupçonnée. Il pourra s'agir de sommes d'argent déposées sur un
compte bancaire ou d'un immeuble. La procédure de saisie dite
« spéciale » créée par la loi du 9 juillet 2010 (qui s'étend
notamment aux meubles et à certains comptes bancaires) est donc aussi renforcée
pour une meilleure conservation des preuves, évitant leurs transferts, leurs
destructions ou le transit de l'argent du crime par des comptes à l'étranger.
S’agissant des demandes des parties
concernant l'exécution des saisies ou des ventes avant jugement, le président
du tribunal judiciaire nommera un juge. Il n'y aura donc plus à réunir et à
faire délibérer trois magistrats qui composent le tribunal correctionnel, mais
un seul spécialisé sur la question.
La procédure pour contester les saisies
évolue aussi. Dans le cadre d'une instruction classique (avant tout jugement),
c'est la réunion de trois juges d'appel (la chambre de l'instruction) qui se
prononcent en appel des décisions prises par le juge d'instruction. Ce sera
désormais le délégué du président de la cour d'appel seul qui décidera ou le
président lui-même. Cette réforme aura pour effet un allègement de la procédure
et un gain de temps puisqu'une délibération collégiale ne sera plus nécessaire.
Actuellement, il fait saisir le juge
civil pour diligenter l’expulsion des occupants de l'immeuble saisi. Selon le
nouveau texte, elle deviendra automatique. Cette automaticité est contestée par
les députés qui ont saisi les sages du Conseil constitutionnel. Malgré son
adoption par la CMP, les détails souffriraient d'une inconstitutionnalité selon
les députés à l'origine de la saisine (portée par Mathilde Panot, LFI-NUPES).
L'article 3 alinéa 8 de la loi dispose que l'occupant d'un immeuble saisi sera
expulsé alors même qu'il ne fait l'objet d'aucune condamnation pénale pour
complicité.
Dans les motifs de la saisine du Conseil
constitutionnel,
l'occupant « se voit soumis à un titre d'expulsion pour le fait
d'autrui. ». Cette disposition porterait notamment atteinte à l'objectif à
valeur constitutionnelle de l'accès à un logement décent.
Cette même disposition serait en outre
inconforme à l'article 66 de la Constitution qui énonce que le juge judiciaire
est gardien des libertés individuelles (et par extension de sa vie privée et
familiale). L'expulsion d'un occupant ne peut donc actuellement se faire
automatiquement, sans la décision préalable motivée d'un magistrat.
Les sages n'ont pas encore tranché la
question.
Antonio
Desserre