JUSTICE

Loi de confiscation des avoirs criminels : le Conseil constitutionnel saisi

Loi de confiscation des avoirs criminels : le Conseil constitutionnel saisi
Ancienne villa d'Al Capone à Varadero (Cuba). DR
Publié le 06/06/2024 à 11:45

Le 22 mai dernier, le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés pour contrôler la constitutionnalité de la loi d'amélioration des confiscations et saisies des avoirs criminels. Les parlementaires retiennent leur souffle.

Le texte définitif avait été adopté par la commission mixte paritaire le 15 mai 2024, à la suite de l'enclenchement d'une procédure d'urgence par le Gouvernement, le 16 novembre 2023. Malgré un consensus général sur l'essentiel de la loi entre députés et sénateurs de toutes tendances politiques et la Chancellerie, une partie du projet ne fait pas l'unanimité à l'Assemblée nationale. Si les sages déclarent ladite loi conforme à la Constitution, elle sera ensuite promulguée et renforcera la lutte contre le financement du crime en bande organisée.

Une loi d'inspiration italienne

28 ans après l'adoption de la loi italienne de confiscation des biens mafieux au profit d'œuvres associatives, la France est en passe de renforcer un système similaire qu'elle a commencé à adopté en 2010. « La culture de la confiscation si répandue chez nos voisins italiens infuse progressivement dans notre pays », selon le député Laurent Marcangeli, député de Corse-du-Sud.

« Je me souviens de la confiscation du premier hôtel à Palerme par mes collègues italiens. Cet hôtel avait été affecté à des fins sociales », se rappelle l'ancienne juge d'instruction du pôle financier, Laurence Vichnievsky, aujourd'hui députée. En France, c'est seulement à partir de 2010 que le Parlement a commencé à légiférer sur la possibilité de saisir des avoirs criminels.

Ce qui explique le décalage entre droits italien et français, c'est d'abord l'importance des mafias dans le Sud de l'Italie, sans équivalent avec la France. Ainsi, la qualification de « mafia », n'existe pas en droit français puisque l'origine de ce mot serait précisément attribuée à l'organisation Cosa Nostra. En Italie, un code antimafia a d’ailleurs été créé.

La loi italienne de 1996 attribuant les biens mafieux aux associations parachevait la fin des années de lutte contre les mafias, qui ont commencé en 1982 par la création de l'infraction d'association mafieuse (introduite par Pio La Torre, assassiné la même année à Palerme). Par cette infraction nouvelle, il ne s'agissait plus de considérer isolément le narcotrafic, le terrorisme, le blanchiment et la corruption, mais de considérer l'appartenance des filières à une organisation tentaculaire. Cette première grande loi autorisait la confiscation des biens mafieux sans pour autant les attribuer à des associations. Ce qui a fini de convaincre de législateur italien d'aller encore plus loin en 1996, ce sont les attentats commis quatre années plus tôt par Cosa Nostra sur les magistrats antimafia Falcone et Borsellino.

Ces vingt dernières années, l'Italie a confisqué plus de 11 milliards d'euros aux criminels.

175,5 millions d'euros confisqués en 2023 selon Éric Dupond-Moretti

La saisie d'un bien n'est que temporaire, tandis que sa confiscation est définitive et permet ainsi d'attribuer un bien mal acquis à une mission d'intérêt général. Plus concrètement, avant la phase de jugement, un magistrat ordonne la saisie d'un bien pour en conserver la preuve durant la phase de l'enquête ou de l'instruction. Pendant cette phase, l'AGRASC (Agence de gestion de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, similaire à l'ANBSC transalpine) qui a en charge la gestion du bien peut être amenée à décider de la vente du bien s'il ne sert plus comme preuve, et que sa gestion n'est pas rentable. Si le bien n'est pas vendu, il est ensuite, soit restitué à son propriétaire, soit confisqué par jugement. Si l'agence a eu à vendre le bien saisi et que le mis en cause n'est pas condamné, l'argent de la vente de son bien lui est alors restitué.

À la différence de la saisie, la confiscation est une peine complémentaire prononcée au moment du jugement. Le bien confisqué (meuble ou immeuble) est alors attribué à une association.

Selon le sénateur Louis Vogel, l'objectif de cette loi est de dissuader le banditisme en instillant l'idée que le crime ne paie pas. « Lorsqu'on confisque un bien à un voyou, ça sert à indemniser la victime », explique le député Jean-Luc Warsmann, porteur de la loi à l'Assemblée nationale. « ...Mais ça sert aussi, de plus en plus, à une affectation sociale. »

Le Ministre de la justice ajoute à l'Assemblée : « Je suis persuadé que cette proposition de loi permettra de frapper encore plus fort, encore plus vite et encore plus efficacement les délinquants, au portefeuille. » Avec cette réforme qui facilite en particulier la confiscation, le nombre d'attributions de biens mal acquis aux associations pourrait donc sensiblement être augmenté dans les années à venir.

Des moyens de saisies et confiscations élargis

Pour frapper plus largement, le nouveau texte permettra d'étendre la confiscation au profit de l'État pour des faits de corruption et de trafic d'influence.

Cette extension permettra d'inclure la procédure de CJIP (convention judiciaire d'intérêt public), issue de la loi Sapin 2, par laquelle, un accord est conclu entre le parquet et le mis en cause pour éviter des poursuites notamment pour lesdites infractions. Les confiscations y seront automatiques dans le cadre de cette procédure.

La saisie a aussi été élargie aux comptes de paiements et aux actifs numériques (tels que le bitcoin).

Désormais, les saisies concerneront, en plus du bénéfice perçu de l'infraction, la chose qui a permis la commission de cette même infraction. En outre, elles deviendront aussi automatiques, et ne nécessiteront donc plus de motivation de la part du magistrat.

Avant, seul le produit de l'infraction était confisqué. Si le nouveau texte est validé par les sages, les meubles saisis pourront aussi être attribués en plus des services de Police et de Gendarmerie, à l'administration pénitentiaire et à l'AGRASC elle-même. Pour ce dernier type d'affectation, a été pris en considération le manque de moyens dans ces services pour les améliorer.

Des moyens fonctionnels de l'AGRASC sont aussi renforcés par une nouvelle disposition. La vente des biens confisqués sera une mission supplémentaire qui lui sera dévolue. Actuellement l'AGRASC délègue cette mission en organisant une mise aux enchères effectuée par un commissaire-priseur.

L'agence aura aussi pour mission de former les magistrats et les services de police judiciaire sur les pratiques des saisies et confiscations.

L'obligation de motiver les décisions de saisir est perçue par les parlementaires comme un frein. L'automaticité des saisies impliquant l'absence de motivation, est considérée comme un des moyens de rendre une justice plus rapide et plus effective. Ce n'est pas le seul axe d'amélioration de la réforme pour accélérer les procédures. La réduction du nombre de juges pour délibérer en est un autre.

Des procédures de saisie simplifiées

Selon la députée Karine Daniel, le champ d'action des GIR (groupes interministériels de recherches) qui interviennent dans les enquêtes patrimoniales au sein de la police judiciaire est actuellement insuffisant. La réforme permettra aux officiers de police, sous le contrôle des magistrats, de saisir rapidement les biens dont la disparition imminente est soupçonnée. Il pourra s'agir de sommes d'argent déposées sur un compte bancaire ou d'un immeuble. La procédure de saisie dite « spéciale » créée par la loi du 9 juillet 2010 (qui s'étend notamment aux meubles et à certains comptes bancaires) est donc aussi renforcée pour une meilleure conservation des preuves, évitant leurs transferts, leurs destructions ou le transit de l'argent du crime par des comptes à l'étranger.

S’agissant des demandes des parties concernant l'exécution des saisies ou des ventes avant jugement, le président du tribunal judiciaire nommera un juge. Il n'y aura donc plus à réunir et à faire délibérer trois magistrats qui composent le tribunal correctionnel, mais un seul spécialisé sur la question.

La procédure pour contester les saisies évolue aussi. Dans le cadre d'une instruction classique (avant tout jugement), c'est la réunion de trois juges d'appel (la chambre de l'instruction) qui se prononcent en appel des décisions prises par le juge d'instruction. Ce sera désormais le délégué du président de la cour d'appel seul qui décidera ou le président lui-même. Cette réforme aura pour effet un allègement de la procédure et un gain de temps puisqu'une délibération collégiale ne sera plus nécessaire.

Actuellement, il fait saisir le juge civil pour diligenter l’expulsion des occupants de l'immeuble saisi. Selon le nouveau texte, elle deviendra automatique. Cette automaticité est contestée par les députés qui ont saisi les sages du Conseil constitutionnel. Malgré son adoption par la CMP, les détails souffriraient d'une inconstitutionnalité selon les députés à l'origine de la saisine (portée par Mathilde Panot, LFI-NUPES). L'article 3 alinéa 8 de la loi dispose que l'occupant d'un immeuble saisi sera expulsé alors même qu'il ne fait l'objet d'aucune condamnation pénale pour complicité.

Dans les motifs de la saisine du Conseil constitutionnel, l'occupant « se voit soumis à un titre d'expulsion pour le fait d'autrui. ». Cette disposition porterait notamment atteinte à l'objectif à valeur constitutionnelle de l'accès à un logement décent.

Cette même disposition serait en outre inconforme à l'article 66 de la Constitution qui énonce que le juge judiciaire est gardien des libertés individuelles (et par extension de sa vie privée et familiale). L'expulsion d'un occupant ne peut donc actuellement se faire automatiquement, sans la décision préalable motivée d'un magistrat.

Les sages n'ont pas encore tranché la question.

Antonio Desserre

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