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Mesures de sanctions économiques américaines contre la Russie : pour les entreprises françaises, la vigilance s’impose

Mesures de sanctions économiques américaines contre la Russie : pour les entreprises françaises, la vigilance s’impose
Publié le 22/06/2022 à 10:47

L’agression de la Russie contre l’Ukraine a conduit de très nombreux États, et en premier lieu les États-Unis (1), à adopter des sanctions visant le régime et l’économie russe. Ces sanctions visent à contraindre le gouvernement russe, et Vladimir Poutine en premier chef, à mettre un terme à l’invasion de l’Ukraine et à rétablir pleinement cette dernière dans sa souveraineté.

A priori, les mesures prises par le gouvernement américain visent essentiellement des biens et des entités russes. Cependant, les sanctions économiques décidées par les États-Unis sont souvent, on le sait, de nature extraterritoriale et font débat au sein de la communauté juridique depuis de nombreuses années (2). Dans le cas présent, ces sanctions sont assez larges et la prudence voudrait donc que les entreprises françaises y soient attentives. Les acteurs économiques français doivent veiller bien sûr aux sanctions posées par l’Union européenne, mais aussi celles prises par le gouvernement américain.

Or, nombreuses sont les entreprises françaises qui ne réalisent pas que dans le cas présent, certaines directives américaines pourraient, dans certaines circonstances, leur être applicables.

 


 

L’insidieuse portée des mesures de sanctions économiques américaines

À l’heure actuelle, les mesures américaines de sanctions contre la Russie relèvent du régime de sanctions dites « primaires », et visent donc uniquement les « personnes américaines ». Cela ne signifie pas pour autant que les entreprises françaises sont entièrement à l’abri.

En effet, les « personnes américaines » ne sont pas seulement définies comme les citoyens et résidants américains, mais également comme toute entité constituée en vertu du droit américain et toute succursale étrangère d’une entreprise américaine, ainsi que toute personne ou succursale présente sur le territoire américain (3). Ainsi donc, les filiales étrangères d’entreprises américaines peuvent également être visées, mais aussi les filiales américaines ou les succursales des entreprises françaises qui sont sur le territoire américain.






Par ailleurs, une personne ou entreprise française reste sujette aux mesures de sanctions primaires dès lors qu’elle « facilite » une transaction entre une « personne américaine » et une entité ou un pays sous sanctions américaines. C’est le cas par exemple d’une transaction en dollars américain qui serait autorisée par une banque américaine.

On se souvient que BNP Paribas a été condamnée à payer une amende de près de 9 milliards de dollars en 2014 (4). Bien que les transactions étaient effectuées entre des comptes non domiciliés aux États-Unis, la justice américaine a fait valoir sa compétence sur la base de la participation d’une banque correspondante aux États-Unis en charge de prendre en compte ces transactions dans la compensation interbancaire globale des transactions en dollars.

Outre les mesures de sanctions primaires déjà en place à l’encontre de la Russie, la mise en place de sanctions dites « secondaires » est une éventualité de plus en plus forte à mesure que le conflit avec la Russie s’enlise.

Les sanctions secondaires, applicables à toute personne dans le monde, et donc y compris à toute personne ou entreprise française, ont une portée entièrement extraterritoriale. Lorsque des sanctions secondaires sont applicables, les entreprises doivent rompre leurs relations avec les entités sous sanctions, faute de quoi elles sont exclues de tout ou partie du marché américain. Il va sans dire que le poids commercial des États-Unis rend difficile toute poursuite des relations avec les entités sous sanctions.

Or, il y a fort à parier qu’une fois l’Europe sortie de son état de dépendance dans les mois à venir, les États-Unis imposeront des mesures de sanctions secondaires contre la Russie si celle-ci persiste à agresser l’Ukraine.

En effet, les besoins en gaz de l’Europe ont jusque-là dissuadé le gouvernement américain de mettre en place des mesures de sanctions secondaires (5). Cette dépendance de l’Europe a cependant permis à la Russie de maintenir son économie à flot, en limitant la portée des mesures économiques secondaires à son encontre.

 


 

Lire aussi : Le conflit ukrainien démontre une nouvelle fois la nécessité de repenser la gestion prévisionnelle du risque au sein des entreprises  




Comment se prémunir contre le risque de violation des sanctions économiques américaines ?

Toute infraction à ces mesures de sanctions primaires ou secondaires est susceptible d’entraîner des sanctions civiles et pénales (6). Ce sont donc autant de règles et d’interprétations jurisprudentielles qui imposent la prudence, notamment chez les PME et PMI qui ne disposent pas nécessairement de programmes de conformité et de diligence avancés comme c’est le cas dans la plupart des grandes entreprises françaises.

Il convient bien sûr d’être attentif aux activités commerciales en cours, ce qui suppose un audit non négligeable de l’existant.

Pour les activités et relations commerciales à venir, les entreprises doivent être plus vigilantes lors de la négociation et de la conclusion de contrats. Cela inclut notamment l’interdiction aux fournisseurs ou sous-traitants de faire affaire avec des entités sous sanctions, ou bien encore une clause de contingence ou de hardship afin de limiter efficacement les conséquences d’éventuelles futures sanctions sur l’exécution du contrat.

Ensuite, les PME et PMI doivent instaurer des contrôles rigoureux afin de s’assurer qu’elles ne font pas affaire avec des personnes inscrites par le Département du Trésor américain sur la liste des « Specially Designated Nationals » (ou « SDN ») (7). Outre les sanctions civiles et pénales possibles en cas d’activité avec une personne ou entité inscrite sur la liste SDN, l’entreprise en infraction court le risque d’être à son tour inscrite sur la liste « SDN ».

Une entreprise française faisant affaire avec une personne placée sur cette liste SDN pourrait donc devenir à son tour persona non grata, se traduisant par la perte d’investisseurs, de contrats commerciaux, ou encore des difficultés à utiliser les services des banques françaises comme étrangères.

Enfin, lorsqu’une entreprise française pense que son activité risque d’être à l’opposé des mesures de sanctions américaines, il est impératif de négocier une période de transition avec l’OFAC (« Office of Foreign Assets Control »), entité du Département du Trésor chargée de faire appliquer les sanctions économiques américaines.

 

En conclusion, ces précautions sont d’autant plus importantes que les sanctions économiques sont amenées à occuper davantage de place dans les relations internationales dans un monde où la guerre n’est plus une option sur le plan politique. C’est un enjeu que les entreprises françaises se doivent d’anticiper sur le plan juridique et opérationnel afin d’amoindrir l’impact de mesures telles que celles prises à l’encontre de la Russie sur leur activité commerciale.

 

 

1) « Executive Order on Prohibiting Certain Imports, Exports, and New Investment with Respect to Continued Russian Federation Aggression », 11 mars 2022.

2) CF, Régis BISMUTH, Pour une appréhension nuancée de l’extraterritorialité du droit américain. Quelques réflexions autour des procédures et sanctions visant ALSTOM et BNP Paribas, AFDI ; LXI – 2015.CNRS Editions, Paris.

3) Voir 31 CFR § 560.314.

4) United States v. BNP Paribas S.A., 14 Cr. 460 (LGS) (S.D.N.Y. Apr. 30, 2015).

5) https://www.washingtonpost.com/business/what-secondary-sanctions-mean-for-russia-and-world/2022/04/05/83cf8ebc-b52c-11ec-8358-20aa16355fb4_story.html

6) En fonction des mesures enfreintes, les sanctions civiles peuvent aller jusqu’à 1 million de dollars US par infraction, et les sanctions pénales jusqu’à 10 millions de dollars US et 30 ans de prison.

7) https://sanctionssearch.ofac.treas.gov

 

 

Patrick Jones,

Partner PMJ, Chicago

Avocat aux barreaux de l’Illinois et de l’Arizona

 

Sarah Beaujour,

PMJ, Chicago

Avocate aux barreaux de New-York et de Paris

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