Ce dimanche 22 mai,
l’artiste Miss. Tic est décédée à l'âge de 66 ans. Pour un numéro
thématique consacré au street art (JSS n° 75 du 16 octobre 2019) réalisé par l’Institut
Art & Droit, l’artiste au pochoir se confiait à Françoise Labarthe, professeure
à l’Université Paris-Sud, Paris-Saclay et coordinateur scientifique de ce
numéro. Quel rapport la célèbre artiste et poète urbaine, pionnière du
mouvement en France, entretenait-elle au street art ? Entretien.
Le terme « street art » vous convient-il ?
Mon amour de la
langue française me fait préférer celui d’art urbain, mais celui qui s’impose
est le « street art ». Il est compréhensible pour tout le monde. En
réalité, ce qui est important, c’est que le mouvement soit nommé, ce qu’il est
depuis les années 2005-2006, depuis l’arrivée de Banksy.
Comment envisagez-vous les rapports, d’une manière générale, entre
l’auteur de street art et le droit ? Plus particulièrement, pouvez-vous m’expliquer votre ressenti par rapport au procès que vous
avez connu et qui vous a condamnée ?
Ces rapports sont
complexes. Mais lorsque l’on se retrouve face aux magistrats, il est impossible
d’y échapper. Mes dessins dans la rue étaient faits en connaissance de cause.
Ma condamnation par un tribunal correctionnel, puis par la cour d’appel, m’ont
fait changer de stratégie. J’ai donc choisi de demander désormais les
autorisations des propriétaires, en règle générale des commerçants, car il est
trop compliqué de s’adresser à des copropriétaires d’immeubles.
L’important pour moi est de conserver ma liberté d’expression, ce qui
signifie que je demande l’accord des propriétaires, mais ne leur révèle pas ce
que sera mon dessin. Ils prennent le risque de l’inconnu. évidemment, ils peuvent repeindre leur
mur si cela ne leur plait pas.
Quel est votre sentiment si le propriétaire repeint son mur ?
Bien sûr, cela
serait désagréable s’il le repeignait très rapidement, mais j’entends qu’on
puisse l’enlever. La rue, cela reste un travail éphémère, je suis favorable à
cet état de fait. Les œuvres peintes dans l’espace public peuvent ne pas être
pérennes.
Votre prise de conscience et votre changement d’attitude sont-il
positifs ou négatifs ?
Ils sont positifs.
Je devais travailler de nuit, et mon but n’était pas de provoquer la police. Il
faut dire que j’en avais également assez de passer mes nuits dans les
commissariats, ce qui n’est guère confortable, parfois humiliant ! Travailler en paix me semble désormais préférable et tout à
fait conforme à mon envie de transmettre de la poésie.
Pensez-vous que l’art urbain participe d’une transgression, d’un
interdit ?
Comme tous les mouvements, au début, ils sont transgressifs, puis ils
deviennent officiels. J’ai fait partie du transgressif, mais aujourd’hui, le
street art a perdu cet aspect. Bien entendu, le contenu peut être subversif. Ma
pensée peut l’être, mais peindre dans la rue ne l’est que si c’est fait de
manière sauvage et sans autorisation préalable.
Que pensez-vous de la reconnaissance de l’art urbain aujourd’hui ?
Quelle évolution va-t-elle entraîner pour les artistes ?
La rue permet un coup de projecteur, mais aujourd’hui, c’est aussi devenu
un marché et une économie.
Comment percevez-vous la vente d’une œuvre qui a été retirée
d’un mur ?
Je le vis mal, car l’œuvre est altérée. Je suis contre et je pourrais m’y
opposer en invoquant mon droit moral. Les œuvres ainsi retirées de leur
contexte et vendues ne sont plus en situation, elles ne sont plus dans leur
intégrité.
Quel lien avez-vous avec ceux qui photographient votre œuvre ?
Je laisse faire ceux qui les photographient pour les faire circuler sur
les réseaux sociaux, mais je ne suis pas d’accord si mes œuvres sont
exploitées, qu’il s’agisse d’illustrer des articles dans des revues,
d’affiches, de cartes postales, etc. Notre droit en France est protégé, mais ce
n’est pas le cas partout, par exemple en Allemagne, ce qui est regrettable.
Propos recueillis par Françoise
Labarthe,
Professeure à l’Université Paris-Sud,
Paris-Saclay