Prêts participatifs et obligations Relance : cette mesure vise à
apporter aux PME et aux ETI de nouveaux financements de long terme, d’une
maturité de huit ans, s’insérant entre les fonds propres et la dette
classique. Entretien avec Florent Jacques, CEO du cabinet de conseil Finkey,
qui revient, pour le JSS,
sur ce dispositif et sur les nouvelles aides de l’État à l’heure de la fin du
« quoi qu’il en coûte ».
Pour sauver les entreprises, l’État a versé 80 milliards d’euros
d’aides directes de subventions, a rappelé Bruno Le Maire le 30 août
dernier. Cet effort a-t-il été suffisant pour maintenir en vie nombre
d’entreprises ?
Selon moi,
la question du montant est importante, mais l’orientation de ces aides l’est
encore plus. L’État a décidé de
mener une politique de distribution des aides avec une logique sectorielle pour
soutenir les secteurs les plus touchés. Cependant, au sein même de ces
secteurs, certaines sociétés en équilibre financier précaire avant la crise ont
pu survivre grâce aux aides alors qu’elles auraient normalement dû mettre la
clé sous la porte. Le montant est probablement suffisant, mais la distribution
et l’utilisation des fonds sont probablement à revoir. Aucune contrepartie n’a
été demandée aux entreprises, ce qui a créé des effets d’opportunité.
« Le PPR vient financer des projets de
croissance pour les entreprises. C’est un outil pour dynamiser l’activité. »
Dans son plan d’action pour aider les entreprises en difficulté à sortir
de la crise, le gouvernement a prévu la fin du fonds de solidarité au 30
septembre qui sera remplacé par le dispositif de coûts fixes. Qu’est-ce que
cela va changer pour les entreprises ?
Les
entreprises des secteurs dont l’activité est encore pénalisée par les
restrictions sanitaires (ce sont les secteurs S1 et S1bis) de couvrir une
partie de leurs pertes d’exploitation.
Le critère
de minimum de chiffre d’affaires a été récemment supprimé. Ce dispositif doit
couvrir :
-
70 % des pertes d’exploitation pour les
entreprises de plus de 50 salariés,
-
90 % des pertes d’exploitation pour les
entreprises de moins de 50 salariés, dans la limite de 1,8 million d’euros sur
l’année 2021.
La
principale différence réside dans le système de calcul de l’aide. Dans le cadre
du fonds de solidarité, l’aide correspondait à une quote-part du chiffre
d’affaires. L’intérêt du nouveau dispositif est d’orienter les aides en
priorité vers des sociétés réalisant des pertes d’exploitation.
Pour des secteurs économiques comme la restauration, l’hôtellerie, le
tourisme… qui connaissent encore de graves difficultés, n’est-ce pas un peu
trop tôt pour mettre fin aux anciens dispositifs ?
Oui, c’est
certainement trop tôt, car la reprise du marché n’est pas encore totale. De
plus, ces secteurs subissent naturellement des effets de saisonnalité qui
peuvent alourdir leurs besoins en trésorerie sur certaines périodes. On risque
d’observer une augmentation importante du nombre de sociétés en difficulté, en
particulier dans ces trois secteurs. Certains commerces survivaient à peine
avec les aides d’État. Sans ce soutien, la
période hivernale sera d’autant plus dure à passer. Les entreprises n’ont pas
eu le temps de reconstituer leur fonds de roulement et stabiliser leur
trésorerie.
Concernant plus particulièrement le Prêt Participatif Relance (PPR) et
Obligations Relances (OR), pouvez-vous expliquer le fonctionnement de ce
dispositif mis en œuvre par Bercy ?
C’est un dispositif qui s’adresse encore une fois aux sociétés d’une
certaine taille, mais ouvert à tous les secteurs d’activité. C’est un outil de
financement de la croissance pour les PME réalisant plus de deux millions
d’euros de chiffre d’affaires. Il vise à financer des projets de croissance
comme la digitalisation, la croissance externe ou des plans d’accélération
commerciale. C’est un financement avec cinq ans de différé et trois ans de
remboursement. Au niveau bancaire, il sera considéré comme des quasi-fonds
propres et ne devrait pas alourdir les bilans.
En instaurant le PPR et l’OR, quel est l’objectif de
l’État ? En quoi ces deux dispositifs favorisent-ils la
croissance française ?
L’intérêt du PPR et de l’OR est d’apporter un financement de long terme
aux entreprises. Un financement patient qui va permettre de déployer un projet
d’envergure pendant cinq ans avant de devoir rembourser progressivement
l’emprunt. Cinq ans, c’est la durée d’un cycle de développement moyen dans une
entreprise. C’est souvent la durée qu’un fonds de capital investissement
retient lorsqu’il entre au capital d’une PME.
Quelles
entreprises sont éligibles au PPR ? Quels sont les critères pour être
considérée comme une société innovante ?
L’éligibilité est un sujet
relativement complexe, car il y a plusieurs points à valider. Le premier,
commun à toutes les entreprises, concerne le chiffre d’affaires qui doit être
supérieur à deux millions d’euros. Ensuite, il y a plusieurs cas de figure,
notamment en lien avec la mise en place d’un PGE et les ratios d’endettement de
la structure. En synthèse, on peut retenir que l’entreprise doit disposer d’une
note de crédit au moins supérieur à BB-. La particularité des sociétés
innovantes concerne les montants qu’elles pourront emprunter. Le ratio de 25 % du chiffre d’affaires 2019 a été conservé
comme règle de calcul pour déterminer un des critères d’éligibilité.
Que doit contenir le plan d’affaires ou d’investissement que doit
produire l’entreprise pour bénéficier d’un PPR ?
Le plan d’affaires est
relativement proche des attentes d’un organisme de financement classique. La
différence porte sur le projet de développement. En effet, le PPR vient
financer des projets de croissance pour les entreprises. C’est un outil pour
dynamiser l’activité, il faut donc porter une vision stratégique sur les
prochaines. Les dirigeants peuvent construire seuls ce type de document ou être
accompagnés par des spécialistes du domaine. L’intérêt est de structurer sa
vision et construire un plan de financement cohérent pour obtenir ce type
d’aide et parfois le compléter par d’autres outils financiers.
Une entreprise peut-elle cumuler le bénéfice d’un PPR avec le prêt
garanti par l’État (PGE) ou d’autres aides ?
Oui, c’est une possibilité, mais
plusieurs critères sont à respecter. Il est intéressant de noter que les
critères financiers d’endettement sont plus souples que pour le PGE. À titre d’illustration,
voici les deux critères d’endettement à respecter :
• Endettement/fonds propres = 5, (y compris PGE, PPR et obligations relance)
• (PPR + obligations relance) = ½ fonds propres.
Pour les
lecteurs non avertis, le critère des fonds propres pouvait être très bloquant
au niveau du PGE. Dans le cas du PPR, ce critère est essentiel, mais légèrement
plus favorable aux entreprises qui auraient déjà un endettement conséquent au
niveau du bilan.
À votre avis, est-on réellement en train de sortir de la crise,
sanitaire et économique, ou bien, comme certains le pensent, les conséquences
de celle-ci sont en réalité devant nous ?
C’est une
question délicate, car plusieurs effets se conjuguent. Le marché subit
actuellement des effets structurels et conjoncturels. Ce qui est inédit, c’est
que la pandémie a eu un impact quasi simultané sur l’ensemble des économies de
chaque pays. Avec la mondialisation, on ne peut se limiter à l’analyse de
l’économie nationale et à la politique de soutien de l’État pour anticiper ce qui peut se passer.
On sent une
dynamique commerciale extrêmement forte dans certains secteurs comme l’IT, le
BTP, les énergies vertes. Pour autant, les problèmes de logistique internationale
et la pénurie des matières premières ralentissent très fortement toute
l’économie. Nous vivons une « crise de la demande », les carnets de commandes s’allongent, les livraisons clients sont ralenties, ce qui génère des
besoins de trésorerie dans les entreprises.
Les
tensions dans les entreprises risquent de s’alourdir dans les mois à venir. Le
plus frustrant ce n’est pas que le business n’est pas présent, mais que les
entreprises ne disposent pas toujours des moyens (humains/financiers)
suffisants pour y répondre. D’un autre côté, on a tous les secteurs durement
touchés par la crise qui subissent une « crise de l’offre ». La restauration, l’hôtellerie, le tourisme : leur
problématique principale réside dans la fréquentation de leur établissement. Là
encore, les flux internationaux ont un impact très important.
Au final,
la période difficile est plutôt devant nous, car les aides de l’État vont se réduire drastiquement et nous sommes extrêmement dépendants
d’un retour à la normale des échanges mondiaux.
Propos recueillis par Maria-Angélica Bailly