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PFAS : « Cette loi va nous obliger à changer d’habitudes de consommation »

PFAS : « Cette loi va nous obliger à changer d’habitudes de consommation »
Publié le 09/03/2025 à 10:57

INTERVIEW. Promulguée le 27 février 2025, la loi contre les polluants éternels interdit désormais leur usage dans trois catégories d’articles à partir du 1er janvier 2026 et instaure une redevance sur les rejets industriels dans l’eau sur le principe « pollueur-payeur ». Patricia Savin, avocate en droit environnemental chez DS Avocats et responsable de la commission développement durable de l’Ordre des Avocats de Paris, revient sur un texte qui comporte des « avancées majeures », mais nuance : le gouvernement manifestait une volonté de légiférer depuis plusieurs années.

JSS : Que sont les substances per- et polyfluoroalkylées, dites PFAS ?

Patricia Savin : Les PFAS sont des polluants éternels parce qu’ils ne se dégradent pas. Ce sont des molécules issues de l’industrie chimique, utilisées depuis les années 1940 pour leurs propriétés antiadhésives, ininflammables, ignifuges, imperméabilisantes ou résistantes aux fortes chaleurs.

Elles ont été progressivement intégrées dans la composition d’un large éventail de produits industriels et de consommation courante (emballages alimentaires, poêles, textiles, cosmétiques, mousses anti-incendie, batteries, peintures, pesticides…).

Selon l’Agence européenne pour l’environnement, les PFAS seraient responsables de nombreux problèmes dont des maladies thyroïdiennes, un taux élevé de cholestérol, et des lésions au foie, des cancers du rein et des testicules. Concrètement, elles ont un usage et une portée tellement vaste qu’il y en a un peu partout.

JSS : La France est-elle aussi touchée par ces molécules ?

P.S. : Comme tous les pays européens, la France est aussi touchée. Sur le territoire français, le sujet a été clairement identifié dans des territoires comme la Haute-Savoie, le Jura ou l’Oise.

En 2023, des campagnes d’analyse menées par les services de l’État et des collectivités ont révélé la contamination par des PFAS de 3 puits de la zone des Iles, située sur les territoires communaux d’Annecy et Epagny-Metz-Tessy, à des niveaux supérieurs à 100 ng/L pour les 20 PFAS concernés.

Dans le Jura, en février 2024, des analyses menées par Europe Écologie Les Verts sur les cheveux d’habitants du secteur de Tavaux, près de Dole, ont démontré une contamination à 4 PFAS. Dans l’Oise, l’ONG Générations Futures a publié en janvier 2024 les résultats d’analyses d’eau de la rivière Oise. Ils concluent à une concentration de substances PFAS 3,6 fois plus élevée qu’en 2023.

J’ajoute qu’Eaux de Paris a, en février 2025, porté plainte contre X pour plusieurs infractions pénales liées aux PFAS : pollution des réseaux d’adduction d’eau potable par déversement de substances, abandon de déchets et dégradation substantielle de l’environnement.

Face à cette urgence sanitaire, cette loi a donc dû apporter une réponse immédiate en se concentrant principalement sur l’humain. C’est ce qu’on porte sur la peau, près de soi qui est désormais réglementé.

JSS : Auparavant, que disaient les textes de loi de l’Union européenne à ce sujet ?

P.S. : Au niveau européen, le règlement REACH de 2006 protège la santé humaine et l'environnement contre les risques liés aux substances chimiques en interdisant, par exemple, toutes les substances cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR).

Ce règlement émanant de l'Union européenne oblige déjà l’ensemble du tissu industriel à repenser complètement certains de ses modes de production face à l’interdiction de mise sur le marché, d'utilisation et d'une obligation à remplacer cette substance présentant des intérêts techniques évidents par autre chose. De plus, l’Agence européenne des produits chimiques étudie aussi la façon d’étendre l’interdiction des PFAS à plus grande échelle.

En 2017, les PFOA ont été ajoutés à la liste des molécules interdites. Ce sont des PFAS qu’on retrouve dans les moquettes anti-taches et dans les sachets de pop-corn que l’on met au micro-onde. Il y a deux ans, REACH a été à nouveau renforcé pour interdire de nouvelles substances chimiques sur le marché. À l'échelle européenne, cette restriction sectorielle portait déjà cette sensibilité aux PFAS. Or, en tant que règlement européen, il n’a pas besoin d’être transposé et s’applique directement dans tous les pays membres, y compris la France

JSS : La loi française n’est donc pas inédite à l’échelle européenne ? 

P.S. : Dans la proposition de loi, les rédacteurs du texte reconnaissent qu’« En Europe, des initiatives vont dans le sens d’une réflexion large sur les PFAS. [...] La France, depuis le plan d’actions ministériel sur les PFAS de janvier 2023, soutient publiquement ce projet d’interdiction européenne. Néanmoins, cette initiative est conditionnée à un long processus décisionnel européen et pourrait aboutir, dans le meilleur des cas, à horizon 2027. » La loi française ne va donc pas devenir un modèle pour l’Union européenne mais la temporalité est concomitante.

JSS : Cette loi aurait-elle été possible sans le soutien des activistes écologistes et de la pression populaire venue des réseaux sociaux ?

P.S. : Bien que ce soit une loi qui ait été très médiatisée, notamment via les réseaux sociaux et le soutien d’activistes comme Camille Etienne, le gouvernement manifeste une volonté de légiférer depuis plusieurs années.

En effet, en 2017, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a établi une valeur sanitaire maximale pour l’eau potable. Trois ans plus tard, l'INERIS a indiqué que certaines substances sont pertinentes à surveiller dans les eaux de surface.

En 2022 cette fois, un arrêté a ajouté certains PFAS dans ces substances soumises à programme de surveillance, et l'INERIS a produit une synthèse des valeurs toxicologiques de référence pour onze PFAS d'intérêt.

L’arrêté ministériel du 20 juin 2023 a quant à lui encadré l’analyse des substances per- et polyfluoroalkylées dans les rejets aqueux des Installations Classées pour la Protection de l'Environnement (ICPE).

Enfin, en janvier 2023, le ministère de l’écologie a publié un plan d’actions ministériel sur les PFAS, complété par un plan d’actions interministériel sur les PFAS en avril 2024. Ces deux plans avaient pour objectif de renforcer la prévention des risques associés à ces substances.

JSS : Est-ce que ce plan interministériel était déjà contraignant ?

P.S. : Le ministère a mis en place un plan interministériel ambitieux, structuré autour de six actions majeures. Il permet de disposer de normes pour guider l'action publique, porter au niveau de l’Union européenne une interdiction large pour supprimer les risques liés à l'utilisation ou mise sur le marché des PFAS et assurer la connaissance des rejets. Le texte prévoit également de réduire les émissions des industriels (ICPE), assurer une transparence et intégrer les actions sur les PFAS dans le plan micropolluants. Mais il n’a pas de valeur réglementaire. C’est un plan d’action différent de la loi adoptée.

JSS : Quelles interdictions prévoit la loi ?

P.S. : Cette loi comporte des avancées majeures à plusieurs échelles. Elle établit une liste d’interdictions, pures et simples, de fabrication, importation, exportation, et mise sur le marché de certains types de produits qui contiennent des PFAS à compter du 1?? janvier 2026.

Les délais sont très courts pour les entreprises concernées : produits cosmétiques, produits de farts (pour le ski), produits de textile d'habillement, chaussures et agents imperméabilisant.


« Cette loi sera disruptive puisque certains industriels devront changer leur mode de production »

Patricia Savin, avocate en droit environnemental et responsable de la commission développement durable de l’Ordre des Avocats de Paris

La loi instaure une exception pour les textiles techniques qui servent aux missions de défense nationale ou de sécurité civile comme les bottes des pompiers. A partir du 1er janvier 2030, l'interdiction française sera étendue à tous les produits textiles contenant des PFAS. Les rideaux avec ces molécules seront interdits, par exemple.

Cette première entrée d’interdiction stricte était déjà à l'œuvre avec la loi sur les plastiques uniques. A l’époque, elle était perçue comme très radicale avec notamment l’interdiction des pailles en plastique qui touchaient particulièrement le monde du fast-food. Aujourd’hui elle est rentrée dans les mœurs.

JSS : Pourtant, le lobby industriel, dont le groupe Seb, a réussi à faire supprimer plusieurs aspects …

P.S. : Tout à fait. La réflexion est toujours la même : où mettre le curseur entre une interdiction rapide de tout ou une interdiction progressive, étalée pour répondre à des enjeux économiques ?  L’impact de cette loi contre les PFAS pour le groupe Seb aurait pu être assez radical économiquement. Alors, dans le cadre des débats parlementaires, des dérogations ont réussi à se glisser dont une sur les ustensiles de cuisine, dont les poêles antiadhésives. L’autre question à se poser est : cela va-t-il durer ? A l'avenir, les ustensiles de cuisine vont probablement être remis sur la liste d’interdiction.

JSS : Quid des impacts sur l’eau ?

P.S. : La loi comprend aussi un point de contrôle notamment sur la qualité des eaux potables par l’Etat français. Et puis, il y a aussi l’instauration d’un bilan national de la qualité de l'eau au robinet, dans un esprit de transparence pour les consommateurs. Des mesures d’information doivent aussi rendre public les analyses de dépistage dans les eaux de consommation humaine notamment dans les eaux conditionnées en bouteilles.

JSS : Y-a-t-il des axes de prévention dans ce texte ?

P.S. : Il est prévu des mesures de planification, qu'on avait déjà depuis 2023 en réalité. Mais dans ces mesures de planification par le ministère de l'Ecologie et de la Santé, la rédaction d'une carte des sites qui ont émis et continue d'émettre des substances PFAS dans l'environnement. Cela va donc permettre une cartographie de pollution des sols en France.

Ensuite, les mesures de planification prévoient une trajectoire nationale de réduction progressive des rejets aqueux de substances PFAS. Ça, c'est pour qu'il y ait une fin progressive de tout rejet PFAS dans les installations industrielles dans un délai de cinq ans. Ce délai est important pour qu’il y ait une mise en cohérence entre un idéal et une réalité industrielle.

JSS : Concrètement, que reste-t-il à faire pour que cette loi soit mise en application ?

P.S. : Désormais, il faut que des décrets soient publiés. Il n’y a pas de risque que ces nouveaux textes ne correspondent pas à la loi. En revanche, ils vont permettre de définir une liste précise de PFAS interdits. Il y en a aujourd’hui plus de 10 000. Reste à voir lesquels seront interdits.

JSS : Finalement, quelles seront les conséquences de cette loi pour les industriels ?

P.S. : D’abord, le texte de loi prévoit des mesures économiques pour financer la dépollution des eaux. La redevance de pollueur-payeur, fixée à 100 euros pour chaque tranche de 100 grammes de PFAS rejetés dans l’eau, sanctionnera les installations industrielles émettrices de polluants éternels. Cette nouvelle taxe doit être utile pour remédier aux dégâts causés par les polluants éternels.

Et puis, cette loi sera disruptive puisque certains industriels devront changer leur mode de production. Certaines substances qu'ils utilisaient dans leur process vont être purement et simplement interdites de mise sur le marché. Mais le tissu industriel, lorsqu'il y a des moments disruptifs, sait s'adapter. Le règlement REACH nous l’a prouvé au niveau européen.

JSS : Et pour le consommateur ?

P.S. : Cette loi entraînera un bouleversement notable pour l’ensemble de la société. Nous sommes tous et toutes habitués à avoir nos supers imperméables, à mettre de l’imperméabilisant sur nos chaussures pour que lorsqu’il pleut, il n'y ait pas de tache sur nos chaussures en cuir.

La technicité apportée par les PFAS, aux textiles et notamment, aux sportifs va devoir être remplacée. On ne sait pas aujourd’hui si nous allons retrouver le même niveau de technicité, par exemple, avec les vestes qui sont imperméabilisantes mais qui laissent sortir la transpiration. Alors cette loi va nous obliger à changer d’habitudes de consommation.

JSS : Est ce qu’il y a un risque de se tourner vers des produits importés ?

PS : La loi comprend l’interdiction de l’import de produits avec PFAS en France. C’est essentiel sinon nos industriels ne pourraient plus fabriquer des produits techniques avec toutes les caractéristiques mais nous retrouverions les avantages de ces produits techniques dans des produits de l’autre bout de la planète. La question qui se pose est celle du contrôle des achats en ligne des particuliers. L’importation industrielle peut être contrôlable mais ce n’est pas le cas de l’achat via un site hors de l’Union européenne de monsieur et madame tout-le-monde.

Au moins cela va créer un marché à grande échelle. Encore reste-t-il à réguler le développement des textiles PFAS hors Union européenne.

 

Propos recueillis par Marie-Agnès Laffougère

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