INTERVIEW. Promulguée le 27 février 2025, la loi contre les
polluants éternels interdit désormais leur usage dans trois catégories
d’articles à partir du 1er janvier 2026 et instaure une redevance sur les
rejets industriels dans l’eau sur le principe « pollueur-payeur ». Patricia
Savin, avocate en droit environnemental chez DS Avocats et responsable de la commission
développement durable de l’Ordre des Avocats de Paris, revient sur un texte qui
comporte des « avancées majeures », mais nuance : le gouvernement
manifestait une volonté de légiférer depuis plusieurs années.
JSS : Que sont les substances per- et
polyfluoroalkylées, dites PFAS ?
Patricia Savin : Les
PFAS sont des polluants éternels parce qu’ils ne se dégradent pas. Ce sont des
molécules issues de l’industrie chimique, utilisées depuis les années 1940 pour
leurs propriétés antiadhésives, ininflammables, ignifuges, imperméabilisantes
ou résistantes aux fortes chaleurs.
Elles
ont été progressivement intégrées dans la composition d’un large éventail de
produits industriels et de consommation courante (emballages alimentaires,
poêles, textiles, cosmétiques, mousses anti-incendie, batteries, peintures,
pesticides…).
Selon l’Agence européenne pour
l’environnement, les PFAS seraient responsables de nombreux problèmes dont des
maladies thyroïdiennes, un taux élevé de cholestérol, et des lésions au foie,
des cancers du rein et des testicules. Concrètement, elles ont
un usage et une portée tellement vaste qu’il y en a un peu partout.
JSS : La France
est-elle aussi touchée par ces molécules ?
P.S. : Comme tous les pays européens, la France est aussi touchée. Sur le
territoire français, le sujet a été clairement identifié dans des territoires
comme la Haute-Savoie, le Jura ou l’Oise.
En 2023, des campagnes d’analyse menées
par les services de l’État et des collectivités ont révélé la contamination par
des PFAS de 3 puits de la zone des Iles,
située sur les territoires communaux d’Annecy et Epagny-Metz-Tessy, à des
niveaux supérieurs à 100 ng/L pour les 20 PFAS concernés.
Dans le Jura, en février 2024, des analyses menées par
Europe Écologie Les Verts sur les cheveux d’habitants du secteur de Tavaux,
près de Dole, ont démontré une contamination à 4 PFAS. Dans l’Oise, l’ONG Générations Futures a publié en janvier 2024 les résultats
d’analyses d’eau de la rivière Oise. Ils concluent à une concentration de
substances PFAS 3,6 fois plus élevée qu’en 2023.
J’ajoute qu’Eaux de Paris a, en février
2025, porté plainte contre X pour plusieurs infractions pénales liées aux PFAS :
pollution des réseaux d’adduction d’eau potable par
déversement de substances, abandon de déchets et dégradation substantielle de
l’environnement.
Face à cette urgence sanitaire, cette loi
a donc dû apporter une réponse immédiate en se concentrant principalement sur
l’humain. C’est ce qu’on porte sur la peau, près de soi qui est désormais
réglementé.
JSS : Auparavant, que disaient les
textes de loi de l’Union européenne à ce sujet ?
P.S. :
Au niveau européen, le règlement REACH de 2006 protège la santé humaine et
l'environnement contre les risques liés aux substances chimiques en
interdisant, par exemple, toutes les substances cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction
(CMR).
Ce
règlement émanant de l'Union européenne oblige déjà l’ensemble du tissu
industriel à repenser complètement certains de ses modes de production face à
l’interdiction de mise sur le marché, d'utilisation et d'une obligation à
remplacer cette substance présentant des intérêts techniques évidents par autre
chose. De plus, l’Agence européenne des produits chimiques étudie aussi la
façon d’étendre l’interdiction des PFAS à plus grande échelle.
En 2017, les PFOA ont été ajoutés à la
liste des molécules interdites. Ce sont
des PFAS qu’on retrouve dans les moquettes anti-taches et dans les sachets de
pop-corn que l’on met au micro-onde. Il y a deux ans, REACH a été à nouveau
renforcé pour interdire de nouvelles substances chimiques sur le marché. À
l'échelle européenne, cette restriction sectorielle portait déjà cette
sensibilité aux PFAS. Or, en tant que règlement européen, il n’a pas besoin
d’être transposé et s’applique directement dans tous les pays membres, y
compris la France
JSS : La loi française n’est donc
pas inédite à l’échelle européenne ?
P.S. : Dans la proposition de loi, les
rédacteurs du texte reconnaissent qu’« En
Europe, des initiatives vont dans le sens d’une réflexion large sur les PFAS.
[...] La France, depuis le plan d’actions ministériel sur les PFAS de janvier
2023, soutient publiquement ce projet d’interdiction européenne. Néanmoins,
cette initiative est conditionnée à un long processus décisionnel européen et
pourrait aboutir, dans le meilleur des cas, à horizon 2027. » La loi
française ne va donc pas devenir un modèle pour l’Union européenne mais la
temporalité est concomitante.
JSS : Cette loi aurait-elle été
possible sans le soutien des activistes écologistes et de la pression populaire
venue des réseaux sociaux ?
P.S. :
Bien que ce soit une loi qui ait été très médiatisée, notamment via les réseaux
sociaux et le soutien d’activistes comme Camille Etienne, le gouvernement
manifeste une volonté de légiférer depuis plusieurs années.
En
effet, en 2017, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de
l’environnement et du travail (ANSES) a établi une valeur sanitaire maximale
pour l’eau potable. Trois ans plus tard, l'INERIS a indiqué que certaines
substances sont pertinentes à surveiller dans les eaux de surface.
En
2022 cette fois, un arrêté a ajouté certains PFAS dans ces substances soumises
à programme de surveillance, et l'INERIS a produit une synthèse des valeurs
toxicologiques de référence pour onze PFAS d'intérêt.
L’arrêté
ministériel du 20 juin 2023 a quant à lui encadré l’analyse des substances per- et
polyfluoroalkylées dans les rejets aqueux
des Installations Classées pour la
Protection de l'Environnement (ICPE).
Enfin,
en janvier 2023, le ministère de l’écologie a publié un plan d’actions
ministériel sur les PFAS, complété par un plan d’actions interministériel sur
les PFAS en avril 2024. Ces deux plans avaient pour objectif de renforcer la
prévention des risques associés à ces substances.
JSS : Est-ce que ce plan
interministériel était déjà contraignant ?
P.S. :
Le ministère a mis en place un plan interministériel ambitieux, structuré
autour de six actions majeures. Il permet de disposer de normes pour guider
l'action publique, porter au niveau de l’Union européenne une interdiction
large pour supprimer les risques liés à l'utilisation ou mise sur le marché des
PFAS et assurer la connaissance des rejets. Le texte prévoit également de
réduire les émissions des industriels (ICPE), assurer une transparence et
intégrer les actions sur les PFAS dans le plan micropolluants. Mais il n’a pas
de valeur réglementaire. C’est un plan d’action différent de la loi adoptée.
JSS : Quelles interdictions prévoit
la loi ?
P.S. :
Cette loi comporte des avancées majeures à plusieurs échelles. Elle établit une
liste d’interdictions, pures et simples, de fabrication, importation,
exportation, et mise sur le marché de certains types de produits qui
contiennent des PFAS à compter du 1?? janvier 2026.
Les
délais sont très courts pour les entreprises concernées : produits cosmétiques,
produits de farts (pour le ski), produits de textile d'habillement, chaussures
et agents imperméabilisant.

« Cette loi sera disruptive puisque certains
industriels devront changer leur mode de production »
- Patricia Savin, avocate en droit environnemental et responsable de la commission développement durable de l’Ordre des Avocats de Paris
La
loi instaure une exception pour les textiles techniques qui servent aux
missions de défense nationale ou de sécurité civile comme les bottes des
pompiers. A partir du 1er janvier 2030, l'interdiction française sera étendue à
tous les produits textiles contenant des PFAS. Les rideaux avec ces molécules
seront interdits, par exemple.
Cette
première entrée d’interdiction stricte était déjà à l'œuvre avec la loi sur les
plastiques uniques. A l’époque, elle était perçue comme très radicale avec
notamment l’interdiction des pailles en plastique qui touchaient
particulièrement le monde du fast-food. Aujourd’hui elle est rentrée dans les
mœurs.
JSS : Pourtant, le lobby industriel,
dont le groupe Seb, a réussi à faire supprimer plusieurs aspects …
P.S. :
Tout à fait. La réflexion est toujours la même : où mettre le curseur entre une
interdiction rapide de tout ou une interdiction progressive, étalée pour
répondre à des enjeux économiques ?
L’impact de cette loi contre les PFAS pour le groupe Seb aurait pu être
assez radical économiquement. Alors, dans le cadre des débats parlementaires,
des dérogations ont réussi à se glisser dont une sur les ustensiles de cuisine,
dont les poêles antiadhésives. L’autre question à se poser est : cela va-t-il
durer ? A l'avenir, les ustensiles de cuisine vont probablement être remis sur
la liste d’interdiction.
JSS : Quid des impacts sur l’eau ?
P.S. : La loi comprend aussi un point de
contrôle notamment sur la qualité des eaux potables par l’Etat français. Et
puis, il y a aussi l’instauration d’un bilan national de la qualité de l'eau au
robinet, dans un esprit de transparence pour les consommateurs. Des mesures
d’information doivent aussi rendre public les analyses de dépistage dans les
eaux de consommation humaine notamment dans les eaux conditionnées en
bouteilles.
JSS : Y-a-t-il des axes de
prévention dans ce texte ?
P.S. : Il est prévu des mesures de
planification, qu'on avait déjà depuis 2023 en réalité. Mais dans ces mesures
de planification par le ministère de l'Ecologie et de la Santé, la rédaction
d'une carte des sites qui ont émis et continue d'émettre des substances PFAS
dans l'environnement. Cela va donc permettre une cartographie de pollution des
sols en France.
Ensuite,
les mesures de planification prévoient une trajectoire nationale de réduction
progressive des rejets aqueux de substances PFAS. Ça, c'est pour qu'il y ait
une fin progressive de tout rejet PFAS dans les installations industrielles
dans un délai de cinq ans. Ce délai est important pour qu’il y ait une mise en
cohérence entre un idéal et une réalité industrielle.
JSS : Concrètement, que reste-t-il à
faire pour que cette loi soit mise en application ?
P.S. :
Désormais, il faut que des décrets soient publiés. Il n’y a pas de risque que
ces nouveaux textes ne correspondent pas à la loi. En revanche, ils vont
permettre de définir une liste précise de PFAS interdits. Il y en a aujourd’hui
plus de 10 000. Reste à voir lesquels seront interdits.
JSS : Finalement, quelles seront les
conséquences de cette loi pour les industriels ?
P.S. :
D’abord, le texte de loi prévoit des mesures économiques pour financer la
dépollution des eaux. La redevance de pollueur-payeur, fixée à 100 euros pour
chaque tranche de 100 grammes de PFAS rejetés dans l’eau, sanctionnera les
installations industrielles émettrices de polluants éternels. Cette nouvelle
taxe doit être utile pour remédier aux dégâts causés par les polluants
éternels.
Et
puis, cette loi sera disruptive puisque certains industriels devront changer
leur mode de production. Certaines substances qu'ils utilisaient dans leur
process vont être purement et simplement interdites de mise sur le marché. Mais
le tissu industriel, lorsqu'il y a des moments disruptifs, sait s'adapter. Le
règlement REACH nous l’a prouvé au niveau européen.
JSS : Et pour le consommateur ?
P.S. :
Cette loi entraînera un bouleversement notable pour l’ensemble de la société. Nous sommes tous et toutes habitués à avoir nos
supers imperméables, à mettre de l’imperméabilisant sur nos chaussures pour que
lorsqu’il pleut, il n'y ait pas de tache sur nos chaussures en cuir.
La
technicité apportée par les PFAS, aux textiles et notamment, aux sportifs va
devoir être remplacée. On ne sait pas aujourd’hui si nous allons retrouver le
même niveau de technicité, par exemple, avec les vestes qui sont
imperméabilisantes mais qui laissent sortir la transpiration. Alors cette loi
va nous obliger à changer d’habitudes de consommation.
JSS : Est ce qu’il y a un risque de
se tourner vers des produits importés ?
PS : La loi comprend l’interdiction de
l’import de produits avec PFAS en France. C’est essentiel sinon nos industriels
ne pourraient plus fabriquer des produits techniques avec toutes les
caractéristiques mais nous retrouverions les avantages de ces produits
techniques dans des produits de l’autre bout de la planète. La question qui se
pose est celle du contrôle des achats en ligne des particuliers. L’importation
industrielle peut être contrôlable mais ce n’est pas le cas de l’achat via un
site hors de l’Union européenne de monsieur et madame tout-le-monde.
Au
moins cela va créer un marché à grande échelle. Encore reste-t-il à réguler le
développement des textiles PFAS hors Union européenne.
Propos recueillis par Marie-Agnès
Laffougère