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Pénurie de médicaments, les laboratoires plus que jamais sous pression

Pénurie de médicaments, les laboratoires plus que jamais sous pression
Publié le 30/10/2024 à 07:00

Les laboratoires pharmaceutiques ont le devoir d’assurer une permanence nationale d’approvisionnement pour certains médicaments. Les autorités de contrôle ont dû sévir à l’encontre de ceux qui ne respectaient pas cette mission vitale.

A la suite d'une gestion inédite du nombre de ruptures de stocks de médicaments au cours de l’année 2023, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a infligé, en septembre dernier, 8 millions d’euros de sanctions financières à l’encontre de 11 laboratoires pharmaceutiques qui ont manqué à leur obligation de constituer un stock de 4 mois pour certains médicaments destinés au marché français. L’Agence entend, en effet, enrayer la fréquence des pénuries de médicaments, synonymes de perte de chance pour les patients. Quitte à accentuer les sanctions qui pèsent sur les labos.

Des stocks de sécurité pour les Médicaments d’intérêt thérapeutique majeur

Depuis septembre 2021, la loi prévoit que les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) font l’objet d’un stock de sécurité de 4 mois minimum s’ils ont été en rupture(s) ou risqué de l’être au cours des deux années précédentes. Si tel n’a pas été le cas, le stock est de deux mois pour les MITM. Une mesure de précaution qui concerne 748 médicaments.

Cela implique qu’à tout moment, un laboratoire soumis à cette contrainte doit pouvoir justifier d’un stock de sécurité de 4 mois pour le MITM concerné. Comme le précise l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), « ce stock de sécurité est vivant : sans cesse renouvelé, il peut être mobilisé à tout moment pour couvrir les besoins des patients ».

Par ailleurs, tous les deux ans, l’ANSM procède à un toilettage de la liste des MITM en vue d’identifier ceux pour lesquels le seuil du stock de sécurité doit passer à 4 mois. À chaque fois, les laboratoires pharmaceutiques concernés ont six mois à compter de la réception de la décision pour constituer les réserves mentionnées. On constate une augmentation significative du nombre de MITM en raison de la progression constante, depuis 2018, des déclarations de rupture ou de risque de rupture.

Mettre en œuvre des plans de gestion des pénuries

Par ailleurs, toujours pour les MITM, les laboratoires pharmaceutiques sont tenus d’élaborer et de mettre en œuvre des plans de gestion des pénuries dont l'objet est justement de prévenir et de pallier les ruptures. Évidemment, tout risque ou toute rupture de stock d’un MITM doit être déclaré à l’ANSM. Parallèlement, les laboratoires pharmaceutiques doivent déployer, en accord avec l’Agence, des actions destinées à éviter ou, à tout le moins, à réduire la période de pénurie et ses incidences. Il s’agit notamment d’informer les professionnels de santé et les patients, d’instaurer un contingentement quantitatif et/ou qualitatif (priorisation de l’utilisation pour certains patients…) ou encore, d’adapter les circuits de distribution.

Si ces inflexions ne peuvent être mises en œuvre ou s’avèrent insuffisantes, d’autres, complémentaires, sont envisageables après évaluation et autorisation de l’ANSM. En particulier, l’importation ou l’adaptation des conditions de fabrication.

A noter que l’Agence est également habilitée à effectuer des inspections auprès des laboratoires pharmaceutiques afin de vérifier qu’ils sont dotés de systèmes de détection des ruptures et des risques de rupture ainsi que d’une procédure de gestion et de suivi des stocks.

Des sanctions qui se veulent dissuasives

On comprend aisément la finalité de cet arsenal législatif : sécuriser l’approvisionnement des MITM et permettre aux acteurs de la chaîne du médicament d’avoir plus de temps pour se retourner et prendre leurs dispositions si une rupture se profile. C’est pourquoi, au regard de cet enjeu de santé publique crucial, les laboratoires qui ne respectent pas ces injonctions encourent des sanctions financières loin d’être marginales. Celles-ci sont décidées et infligées par l’ANSM, laquelle exerce, en la matière, une mission de contrôle et de police sanitaire. Elle intervient dans le cadre d’une procédure contradictoire lors de laquelle elle interroge l’ensemble des laboratoires concernés et vérifie l’état de leurs stocks de sécurité.

Les montants des amendes sont proportionnels à la gravité des manquements constatés. Depuis le 1er octobre 2022, ils ont été durcis et donc revus à la hausse. Ainsi, actuellement, le maximum légal, spécifié dans les articles L.5471-1 et R.5471-1 du Code de la santé publique, s’élève, selon la nature du manquement :

- de 15 000 ou 150 000 euros pour une personne physique ;
- à 30 % du chiffre d’affaires du produit ou du groupe de produits concernés réalisé lors du dernier exercice clos dans la limite de 1 million d’euros pour une personne morale.

Comme le rappelle l’ANSM, « si le prononcé d’une sanction financière répond au double objectif d’effectivité et de répression, ce dernier lui confère également un caractère dissuasif à la fois individuel et général vis-à-vis de l’ensemble des opérateurs ».

Les cinq éléments du calcul de l’amende

La fixation de la sanction se fonde d’abord sur un montant de base afin « d’assurer la prévisibilité et la lisibilité des décisions de sanction financière, en évitant le recours à une personnalisation excessive », justifie l’ANSM qui a souhaité opter pour « une approche forfaitaire ». Ledit montant de base est déterminé selon trois niveaux d’importance dont la cotation varie de 1 à 3. Ensuite, s’ajoutent des modulations au regard de critères formalisés :

- en premier lieu, est prise en considération la nature intrinsèque du manquement ;
- l’agence tient également compte, d’une part, de la gravité des faits (gravité des effets indésirables, criticité des évènements résultant de la réalisation du manquement, report vers une autre spécialité pharmaceutique en cas de rupture de stock, etc.) et de leur impact en termes de santé publique (lequel est distinct de la nature et de l’étendue du préjudice qu’ont pu subir les personnes victimes du manquement) ; d’autre part, du fait que le manquement ait empêché ou pas la prise de mesure en temps utile par l’ANSM ;
- la sanction fait, ensuite, l’objet d’une personnalisation au regard des éléments propres au comportement de l’entreprise. En clair, le but est de tenir compte des circonstances atténuantes (degré de diligence et de coopération de l’entreprise dans la détection et la cessation du manquement ainsi que dans la mise en œuvre de mesures correctives), aggravantes (tout obstacle opposé par l’entreprise ou son manque de diligence y compris dans la mise en œuvre de la procédure de sanction, caractère délibéré du manquement ainsi que sa répétition et sa fréquence) ou exceptionnelles (extérieures à l’action de l’entreprise ainsi que les cas de force majeure). L’Agence procède à une appréciation au cas par cas ;
- le législateur a fait d’éventuelles réitérations des manquements un critère qui pèse lourd. En effet, l’article L.5312-4-1 du Code de la santé publique énonce que « les montants de la sanction financière et de l'astreinte (…) tiennent compte, le cas échéant, de la réitération des manquements sanctionnés dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ». L’importance conférée à ce facteur « vise à garantir l’effet dissuasif et répressif de la sanction », insiste l’ANSM. Si bien qu’en cas de récidive, le montant de la sanction peut être majoré ;
- enfin, un ajustement de la sanction est possible au regard du maximum légal encouru et de la capacité contributive de l’entreprise. Là, les difficultés rencontrées individuellement par cette dernière peuvent être prises en compte. Néanmoins, la société doit en apporter la preuve par écrit et de manière motivée au cours de la procédure contradictoire. Si les éléments qu’elle fournit attestent de manière fiable et objective ses dires, une réduction de l’amende peut être accordée par l’Agence.

Des sanctions financières bientôt fortement aggravées ?

Ce mécanisme est repris et aggravé dans le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2025, actuellement débattu au Parlement. Les parlementaires et le Gouvernement veulent en effet sévir davantage en portant le plafond de la pénalité à 50 % du chiffre d’affaires du produit ou du groupe de produits concernés réalisé lors du dernier exercice clos dans la limite de 5 millions d’euros pour les laboratoires fautifs.

Sachant que le tout est susceptible d’être assorti d’astreintes journalières pour chaque jour de rupture d’approvisionnement constaté. Lesquelles peuvent atteindre 20 % du chiffre d’affaires journalier moyen réalisé, en France, par l’entreprise au titre du dernier exercice clos pour le produit considéré, puis 30 % (dans la limite de 1 million d’euros) en cas de récidive. Là encore, le PLFSS suggère un sérieux tour de vis en passant à 50 % du chiffre d’affaires journalier.

« On se focalise sur la responsabilité industrielle des laboratoires »

« Le problème, c’est que les textes ne contiennent pas de mesure particulière nouvelle pour améliorer la gestion des flux et prévenir les ruptures, déplore Maître Aude Vidal, avocate associée au sein du cabinet ELSI Avocats, spécialisée dans le secteur de la santé humaine et vétérinaire. Encore une fois, nous ne sommes que dans le durcissement des sanctions, ce qui pose la question de leur proportionnalité. La coercition ne résoudra pas le problème. L’origine de l’augmentation constante du nombre de ruptures de stocks a des causes multiples et mondiales, qu’il s’agisse de la pénurie de matières premières ou de dysfonctionnements dans les chaînes de production. »

Alors, quelles seraient les pistes à exploiter ? « Instaurer une large concertation interministérielle, notamment entre les ministères de l’Économie et de la Santé, afin de coconstruire une logique de gestion de crise, répond Maître Aude Vidal. Se focaliser exclusivement sur la responsabilité industrielle des laboratoires n’est pas la solution et il eut été préférable d’activer tous les mécanismes d’incitation, en particulier de fabrication en France, de diversification des sources, mais également d’adaptation des prix. Il conviendrait de revaloriser celui des produits matures, de type Amoxicilline ou Paracétamol, qui sont depuis longtemps sur le marché afin de les rendre plus attractifs et d’éviter que des firmes privilégient l’approvisionnement de territoires où le prix de vente des médicaments est plus élevé et permet une rentabilité minimale. Le renforcement et l’amélioration des flux d’information avec les autorités afin d’anticiper le plus en amont possible les risques de rupture de stocks n’est pas non plus au programme de cette loi de finance. »

Alexandre Terrini
Pi+

 

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