Beaucoup
de jeunes juristes français n’ont pas connu l’âpre bataille menée par Robert
Badinter qui conduisit à l’abolition de la peine de mort en France en 1981.
L’ancien ministre de la Justice de François Mitterrand disait lui-même que ce
fut « une longue lutte commencée au jour
de l’exécution de Claude Buffet et de Roger Bontems, le 24 novembre 1972 et qui
s’acheva le 30 septembre 19811 ».
Partout
dans le monde, la peine de mort, même abolie, fait et a toujours fait débat,
tant elle traduit la difficulté de nos sociétés à sanctionner à leur juste
mesure ceux et celles de nos concitoyens qui sont reconnus coupables d’avoir
commis les actes les plus odieux. Il en va ainsi aux États-Unis qui, forts de
leur système fédéral, ne sont jamais parvenus à avoir sur cette question une
réponse unifiée aux quatre coins du pays. La peine de mort continue à diviser
l’Amérique !
Joe Biden,
alors candidat à la présidence des États-Unis, s’était engagé à mettre fin aux
exécutions fédérales et à proposer une législation visant à abolir la peine de
mort au niveau fédéral. Un mois avant son entrée en fonction, 45 membres du Congrès, menés par la
représentante démocrate Ayanna Pressley du Massachusetts, lui avaient écrit,
demandant des actions concrètes dès le 20 janvier 2021 afin de montrer l’importance de son engagement contre la
peine de mort ; cette demande est restée sans réponse alors que dès sa
prestation de serment, le nouveau locataire de la Maison Blanche signait de
très nombreux décrets présidentiels (climat, pandémie, égalité ethnique…).
La
peine de mort ou l’éternel débat judiciaire
Depuis
l’existence de la peine de mort aux États-Unis, sa constitutionnalité n’a été
discutée avec succès qu’une fois, et seulement de manière relative.
En 1972, la
Cour suprême des États-Unis rend une décision Furman v. Georgia dans
laquelle elle conclut que l’utilisation arbitraire de la peine de mort est
contraire au 8e Amendement de la Constitution américaine, rendant la
peine de mort illégale en l’absence d’une révision des procédures judiciaires.
Les États – en particulier le Texas, la Floride et la Géorgie –, révisent leurs
lois pénales pour satisfaire la Cour suprême, et la peine de mort est rétablie
dès 1976 avec l’affaire Gregg v. Georgia.
En réalité,
on assiste à la mise en place d’un régime à double vitesse.
Certains
États ont décidé d’abolir la peine de mort – les derniers en date étant le
Colorado et la Virginie, État sudiste, respectivement en mars 2020 et mars 2021.
D’autres, à
l’instar de la Californie – État considéré comme progressiste – ou encore de la
Pennsylvanie estiment toujours la peine de mort comme une sanction
constitutionnelle mais ont imposé un moratorium. Ces moratoriums signifient que
les condamnés à mort restent officiellement des condamnés à mort et que les
gouvernements de ces États ont la possibilité de reprendre l’exécution de leur
peine à tout moment.
Enfin, la
peine de mort est en vigueur dans 27 États, ainsi qu’au niveau fédéral et au sein de l’armée.
Force est
de constater que les justiciables ne sont pas égaux aux États-Unis face à la
peine capitale. À ce jour, pas moins de 2 500 personnes sont dans le couloir de la mort,
et la seule manière de mettre véritablement fin à la peine de mort aux
États-Unis est de la déclarer contraire à la Constitution fédérale.
La
peine de mort demeure une promesse de campagne de Biden qui semble désormais
abandonnée
L’actuel
Secrétaire à la justice, Merrick Garland, nommé par Joe Biden, avait réaffirmé,
lors de ses auditions de confirmation en février 2021, que la nouvelle administration s’engagerait
à inverser l’approche de Donald Trump.
À
l’évidence, en ne signant pas de décret à son arrivée à la Maison Blanche,
l’administration Biden ne semble pas faire de la peine de mort une priorité
nationale.
Pire, Joe
Biden s’éloigne de sa promesse en reprenant la procédure de peine de mort
contre Dzhokhar Tsarnaev, le poseur de bombe du marathon de Boston du 15 avril 2013.
L’administration
Trump avait porté l’affaire Tsarnaev devant la Cour suprême des États-Unis afin
d’en avoir l’aval à l’automne dernier. C’est contre toute attente que Merrick
Garland a repris le dossier en juin, usant du même argumentaire que William
Barr sous Trump.
La volonté
de poursuivre la procédure d’exécution de Tsarnaev est un indicateur qui laisse
les abolitionnistes pessimistes quant à la possibilité d’une campagne
d’abolition définitive de la peine de mort par l’administration Biden. En
effet, l’on ne peut dans le même temps poursuivre la condamnation à la peine
capitale du terroriste Tsarnaev et plaider l’inconstitutionnalité de la peine
de mort.
C’est
pourquoi les chances pour que l’administration Biden se batte pour une
abolition absolue de la peine de mort sont désormais très faibles. La seule
solution intermédiaire envisageable consisterait pour le gouvernement à réguler
davantage la peine de mort pour limiter en pratique son recours.
Si
l’administration Biden décidait effectivement de mettre en œuvre une politique
de restriction de la peine de mort, il lui faudrait indéniablement le soutien
du Congrès afin d’en faire une réforme qui résiste aux courants politiques. En
outre, ce serait le moyen d’éviter qu’une nouvelle administration ne revienne
sur cette réforme.
Le soutien
de la Cour suprême fédérale est quant à lui probablement impossible à obtenir,
cette dernière étant composée en majorité de juges républicains conservateurs.
Une décision de la Cour suprême déclarant la peine de mort inconstitutionnelle
en toutes circonstances est pourtant ce qui aurait permis d’abolir la peine de
mort tant au niveau fédéral qu’au niveau étatique.
D’autres
solutions pourraient permettre à l’administration Biden de freiner les États
pratiquant la peine de mort.
Elle
pourrait notamment demander à la Food and Drug Administration et à la Drug
Enforcement Administration de faire appliquer les lois relatives aux
médicaments utilisés pour les exécutions, ce que les avocats en défense ont
déjà demandé.
Loin de s’acheminer vers une abolition
définitive des demi-mesures, on risque d’en rester à un système bancal et très
incertain pour les justiciables.
Et l’Amérique polarisée continue de se déchirer
sur la peine de mort
La peine de mort est une
problématique transpartisane. D’après un sondage national mené en 2015 par le Pew
Ressource Center, entre 1995 et 2015, il y a eu une baisse de 31 % et
22 % chez les Démocrates et les Indépendants respectivement, ainsi qu’une
baisse de 10 % du soutien à la peine de mort chez les Républicains.
En mars 2015, 77 % des
Républicains, 57 % des Indépendants et 40 % des Démocrates se
disaient favorables à la peine de mort. 17 % des Républicains, 37 %
des Indépendants et 56 % des Démocrates ont déclaré être opposés à la peine
capitale2.
Malgré le déclin du soutien à la
peine de mort depuis une trentaine d’années et malgré le fait que cette
problématique soit toujours intimement liée à la question de la discrimination
raciale et de la condition sociale, la peine de mort reste très ancrée dans la
société américaine.
En attendant que Joe Biden
respecte sa promesse de campagne, le projet de loi parrainé par Ayanna Pressley
visant à abolir la peine de mort au niveau fédéral a été réintroduit en janvier
et est à l’examen.
Quant au niveau
étatique, la Virginie, qui a aboli la peine de mort en mars dernier, est le
premier État sudiste à le faire. Peut-être est-ce un signe encourageant ?
On l’aura compris, nous
sommes loin d’une abolition définitive et générale de la peine de mort aux
États-Unis. Un
sujet hautement politique qui, compte tenu de la polarisation de la vie
politique publique aux États-Unis, a peu de chance d’être réglé
sous la mandature du 46e président des États-Unis.
NOTES :
1) Robert
Badinter, L’Abolition, éditions Fayard, Paris, 2000, 327 pages.
2) Pew Ressource Center - https://deathpenaltyinfo.org/facts-and-research/public-opinion-polls/political-affiliation-and-the-death-penalty)
Jean-Claude Beaujour,
Docteur en droit,
LLM, avocat au barreau de Paris