POLITIQUE

Quelle dimension nationale pour l'intelligence économique ?

Quelle dimension nationale pour l'intelligence économique ?
Publié le 12/06/2024 à 07:00

L’attrait pour l’intelligence économique (IE) s’est répandu en quelques décennies. Parallèlement aux sociétés privées, les services de l’État renforcent leur utilisation de cette science.


Dans le rapport d’information sénatoriale, rendu en juillet 2023, « L’intelligence économique, outil privilégié de reconquête de la souveraineté économique nationale », Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur, a voulu avec sa collègue Marie-Noëlle Lienemann « fabriquer du consensus », pour « défendre la souveraineté française et se doter des outils de cette souveraineté ». Ce travail se concluait par quatre axes à suivre : doter la France d’une stratégie nationale d’intelligence économique ; définir une gouvernance nationale pour mettre en œuvre cette stratégie ; diffuser la démarche d’intelligence économique dans les territoires ; et mieux valoriser l’intelligence économique en France.

L’indispensable investissement des politiques dans l’intelligence économique

9 mois plus tard, en avril dernier, Jean-Baptiste Lemoyne a indiqué au cours d’un colloque à l’école militaire qu’il notait certes un « changement de paradigme » depuis six ou sept ans, mais que si le volet défensif de l’IE a été pris en charge, concernant le volet offensif, « on en a encore sous le pied ».

Le sénateur insiste sur l’importance de « mieux embarquer » les collectivités locales ainsi que les entreprises, en particulier les PME, sur la question. Si l’État doit rester « moteur », il faut aussi sensibiliser les régions à s’emparer du sujet, d’autant qu’elles en ont les compétences économiques.

Il considère qu’il faut faire « des choix d’allocations des ressources humaines et des moyens des politiques publiques en faveur d’une l’IE plus accrue ». Le domaine manque d’un soutien politique fort. Il a besoin de l’engagement des préfets et des présidents de régions pour se développer. Le rapport de 2023 faisait d’ailleurs clairement état d’un véritable « défaut de portage politique ».

Tout de même, l’expression « guerre économique » et la réalité de l’IE ont « bien infusé » depuis trente ans, constate Jean-Baptiste Lemoyne, en particulier en raison de l’environnement de plus en plus hostile pour les entreprises. La prise de conscience a progressé, et le sénateur n’a plus le sentiment de « prêcher dans le désert ». À la suite de plusieurs catastrophes économiques et industrielles, la France et les Européens ont « ouvert les yeux », et nous ne sommes plus les « idiots du village global ».

La France a même été, depuis six ou sept ans, l’aiguillon principal du changement et de l’adaptation de règlementations européennes en matière d’intelligence économique – au prix d’un fort engagement du président de la République. À l’avenir, la perte d’influence française au Parlement européen pourrait bien ralentir les évolutions de l’UE sur le sujet.

D’après Jean-Baptiste Lemoyne, les organes de gouvernance sont aujourd’hui pleinement opérationnels. Ils maitrisent la « sécurité économique ». Toutefois, la dimension offensive demeure « imparfaitement assumée ».

L’IE déployée dans les organes de l’État

La direction de l’industrie de défense (DID) a pour mission d’orienter et de soutenir la base industrielle et technologique de défense (BITD). Elle a été inaugurée en avril 2024. Son directeur, Alexandre Lahousse, ingénieur général de l’armement, rappelle que l’État n’a jamais été absent du domaine de l’IE, en particulier concernant son volet défensif. La structure de la DID vise à « renforcer l’axe autour de l’autonomie stratégique qu’on peut avoir dans le domaine de la défense ». Cet objectif implique une industrie capable de fournir les besoins d’une armée, une stratégie, et les moyens de s’y tenir.

La DID s’appuie sur trois pôles. La partie industrielle tout d’abord vise à définir les orientations. Ensuite, la partie « connaissance de l’industrie », en termes de qualités et de performances, se joue chez les industriels. Enfin, la partie « sécurité économique », à la fois assure la protection et la résilience des entreprises, mais aussi porte les axes de développement du volet offensif.

Accélérateur de défense, la DID œuvre pour faire évoluer les moyens de production des entreprises de défense ou encore pour la création du campus Osint* (Open Source INTelligence) pour le renseignement en source ouverte« L’État a toute sa place dans le dispositif », conclut l’ingénieur général. De son point de vue, une politique centrale est nécessaire, dotée de moyens d’actions territoriaux, décentralisés.

La réalité de la guerre économique fait partie du « quotidien » d’Alexandre Lahousse puisque « l’état normal, c’est la compétition économique ». La DGA considère que l’autonomie stratégique n’est pas envisageable sans entreprises compétitives, d’où son investissement, « depuis longtemps », dans l’IE. L’intention est double, à la fois répondre aux besoins d’autonomie stratégique, mais aussi aider les entreprises à devenir ou à rester compétitives.

La base industrielle de défense, composée de neuf grands groupes, 4 500 ETI, PME et startups, ne se finance pas seulement par la commande publique, mais repose aussi sur l’export, et donc elle est soumise à la concurrence.

Autre centre important pour l’IE, le secrétariat général pour l’investissement (SGPI) est le service du Premier ministre en charge du plan France 2030 lancé depuis deux ans. Ce plan de cinquante-quatre milliards d’euros, orienté innovation, est tourné vers dix objectifs énoncés par le président de la République fin 2021 – dont, par exemple, deux millions de véhicules électriques d'ici à 2030, un micro-lanceur français avant 2027, ou encore des réacteurs nucléaires innovants –. Ce plan « holistique » s’applique en amont et en aval, selon Massis Sirapan, chef du pôle nouvelles frontières du SGPI. C’est-à-dire de la recherche fondamentale aux premières usines. Là aussi, l’intelligence économique fait partie du quotidien.

Pour la majorité des acteurs, l’IE et la notion de guerre économique sont intégrés. Chacun s’est armé. Cependant, un espace de rassemblement, une communauté autour du sujet entre le public et le privé fait défaut. Les professionnels le déplorent. Or justement, du côté de la défense, la DID pense à créer une telle structure pour favoriser les échanges (en particulier d’informations). Et dans le même esprit, la DGA songe à lancer une « filière de l’IE » dans le but de faire tomber les frontières.

Sophie Benard

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