Ministre de la Justice et sénateurs s’accordent pour développer le
recours aux repentis dans la lutte contre le trafic de drogue en s’inspirant du
modèle italien. La justice transalpine s’appuie depuis 40 ans sur ces
collaborateurs de justice pour casser les réseaux de délinquants. Un système
rôdé, loin du statut français défaillant.
Le 28 avril, dans les
colonnes de La Tribune dimanche, le
ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a affirmé vouloir repenser le statut
de repenti dans la lutte contre les narcotrafics. Son exemple : l’Italie. Alors
que le système français de protection des collaborateurs de justice, créé en
2014, n’accompagne que 42 personnes et leurs proches, le dispositif transalpin
protège aujourd’hui plus d’un millier d’anciens délinquants. Avec leurs familles,
ce sont entre 5 000 et 6 000 personnes qui sont assistées.
Au-delà des chiffres, le
statut italien de collaborateur de justice est un précieux succès pour les
autorités locales. D’abord pensée pendant les années de plomb des décennies 70
et 80 pour contrer le terrorisme politique, l’idée d’une protection des
délinquants qui se confieraient à la justice s’est rapidement étendue à la
lutte anti-mafia. C’est dans ce cadre que les pentiti ont été les plus
utiles. Leurs informations ont en effet permis de briser l’omerta qui régnait
autour de ces organisations criminelles très secrètes.
« Le fonctionnement
détaillé de la mafia en interne était quasiment inconnu des autorités,
explique Vincenzo Scalia, professeur de sociologie criminelle à l’université de
Florence. Les premiers repentis ont permis de lever le voile sur un
certaines zones d’ombres déterminantes. » Parmi les cas les plus
connus, celui de Tommaso Buscetta, dont les révélations ont été immortalisées
dans le film Le Traître de Marco
Bellocchio. Buscetta a été un des premiers repenti et ses informations sur Cosa
Nostra ont notamment abouti au maxi-procès de Palerme en 1986 et ses 360
condamnations.
Une
justice proactive
Si Tommaso Buscetta est un
des premiers mafieux à être identifié sous le statut de repenti puis protégé -
il finit sa vie de mort naturelle aux Etats-Unis, malgré les nombreuses menaces
de mort -, il n’est pas le premier à parler. En 1973, le mafioso Leonardo
Vitale avait déjà voulu parler à la police. Il s’était lui-même rendu aux
autorités pour expliquer le fonctionnement de la mafia sicilienne mais n’avait
pas été cru. La justice l’avait même déclaré « psychologiquement inapte ».
Le fait qu’une dizaine
d’années plus tard les confessions de Buscetta soient entendues traduit une
prise de conscience : des masses d’informations peuvent être tirées de
sources internes au trafic. Une des conditions d’efficacité du dispositif
italien repose ainsi sur le volontarisme des autorités, en l'occurrence pour
Buscetta, des magistrats Giovanni Falcone et Paolo Borsellino. « Le
juge Falcone avait identifié Tommaso Buscetta comme un des perdants de la
guerre des clans en Sicile, rappelle Vincenzo Scalia. Il avait ciblé son
profil avant d’aller au Brésil où il était caché pour essayer de le convaincre. »
Voyant sa famille restée en Italie toujours plus menacée, le trafiquant avait
fini par céder.
C’est donc l’identification
d’un profil susceptible de parler et la force de conviction du magistrat qui ont
permis la collaboration de Buscetta. Ce volontarisme de la justice dans les
phases de recherche et de passage aux aveux est parfois oublié. Le terme “repenti”,
emprunté à la religion chrétienne, évoque d’ailleurs l’idée qu’un délinquant va
de lui-même trouver les autorités pour confier ses erreurs. Ce qui est loin d’être
toujours le cas.
La réussite du modèle italien
se trouve également dans la complémentarité des différentes méthodes de recueil
d’information. Le recours aux repentis n’est pas un remède miracle pour lutter
contre les trafics organisés mais un élément complété par l’investigation, l’infiltration,
etc. Multiplier les outils pour accumuler les renseignements, mais surtout les
vérifier. « Il est primordial de se donner les moyens de recouper les
informations délivrées par le repenti, insiste Vincenzo Scalia. C’est
une garantie pour rendre efficace les collaborations de délinquants avec la
justice. » En effet, au moment de juger les responsables comme pour
déterminer la protection du repenti, la justice doit pouvoir prouver les
éléments avancés.
La
mise en lumière des failles françaises
C’est devant ce constat que
la commission d’enquête du Sénat sur les narcotrafics, qui a rendu ses
conclusions le 14 mai dernier, a formulé plusieurs propositions, consciente que
la réponse doit prendre plusieurs formes. Rejoignant le garde des Sceaux, elle
propose notamment d’améliorer le dispositif de recours aux collaborateurs de
justice.
En France, le statut de
repenti est récent. Il n’a été voté qu’en 2004 et a attendu dix ans avant
d’être effectif. Les quelques personnes accompagnées se sont avérées utiles aux
enquêteurs mais les autorités n’ont jamais vraiment investi dans un recours aux
repentis jugé trop coûteux. Par ailleurs, la complexité du millefeuille procédural
consubstantiel à ces dossiers ne facilite pas le développement du dispositif.
Mais les sénateurs soulignent
surtout l’impasse juridique de l’actuel statut. Celui-ci exclut aujourd’hui, a
priori, les délinquants ayant eux-mêmes commis des infractions. L’article
132-78 du Code pénal prévoit ainsi une exemption de peine pour « la
personne qui a permis d’éviter la réalisation de l’infraction et, le cas
échéant, d’en identifier les autres auteurs ou complices. » De fait,
la justice ne peut pas s’attendre à des témoignages de criminels haut placés
dans la hiérarchie d’un trafic. Le président de la commission d’enquête Jérôme
Durain, lors de la présentation du rapport, expliquait même que « certains
délinquants qui aident la justice ne voient pas leur peine réduite ».
Difficile, dans ce contexte, d’en convaincre d’autres de parler.
Des contextes
différents
Reste une question :
s’inspirer du modèle italien, résolument efficace pour affronter la mafia,
est-il pertinent dans le contexte français des narcotrafics ? « Ces
trafics forment des économies hyper spécialisées et des réseaux protéiformes où
les modalités d'association sont plutôt opportunistes. La comparaison
avec la mafia n’est pas vraiment pertinente, reconnaît Jérôme Durain. En
revanche, il est évident que le système italien est beaucoup plus efficace que
le nôtre. »
Pas de certitude, donc, sur
l’adéquation du système de repentis avec la lutte contre les narcotrafics en
France. Vincenzo Scalia se montre néanmoins optimiste. « Certes, il n’y
a pas de réelle mafia en France, mais le recours aux repentis a aussi fait ses
preuves dans d’autres pays, aux États-Unis par exemple. Cela peut toujours
aider les autorités à enquêter », assure le professeur de sociologie
criminelle.
Dans la mesure où
l’organisation des trafics français est mieux connue que celle de la mafia,
l’apport des collaborateurs de justice ne se fera pas sur ce point. Ils
pourront surtout permettre de mieux cibler le haut de la hiérarchie criminelle,
dont les chefs de réseau.
Louis Faurent