La traditionnelle
représentation théâtrale était de retour fin juin avec une nouvelle pièce : « Interdit
au public (et aux avocats) ». Un show de trois heures rondement mené, qui,
en coulisses, a nécessité « une grosse capacité de travail » au
sein d’une troupe « multitâches », rapporte l’avocate et
comédienne Marianne Tharreau, émue après la fin de cette édition, qui marque
aussi la fin « d’une effervescence ».
« Interdit au public (et aux avocats) » : avec ce titre
provocateur, l’Union des jeunes avocats de Nanterre (UJAN) comptait bien faire salle
comble. Pari réussi lors de sa deuxième représentation de l’été, ce jeudi 27
juin – le JSS est lui aussi dans la
place.
Alors que les lumières
s'éteignent et que le rideau s'ouvre, le public venu braver l’interdiction est
immédiatement transporté dans une ambiance électrique. Dans leurs costumes
disco flashy, les 11 comédiens ont choisi de réserver aux spectateurs un
accueil digne d’une comédie musicale. Ils entament le spectacle avec une
reprise originale de « Gimme Gimme Gimme » du célèbre groupe de pop suédois
ABBA, donnant immédiatement le ton pour le reste de la soirée à venir.
Les comédiens font une entrée en scène rythmée sur une chanson d’ABBA @ JSS
Cette année encore, à
l’instar de leurs confrères issus des associations UJA d’autres barreaux, c’est
à travers une série de trois dates que l’UJAN est remontée sur les planches du
Théâtre de la Garenne-Colombes pour sa traditionnelle Revue, moment phare de la vie du barreau des Hauts-de-Seine. Une représentation sous la houlette de ce dernier, et qui offre à cette poignée de robes noires une précieuse opportunité de
dénoncer, avec humour et un brin de cynisme, les sujets polémiques et d’actualité
qui entourent la profession d'avocat.
Une façon aussi pour ces
professionnels du droit, à qui l’on attribue volontiers une image rigide, voire
austère, de délaisser le sérieux des dossiers et des audiences pour se
transformer, le temps d'une soirée, en une joyeuse bande de copains dont le
seul objectif est de faire rire et de se divertir. Sur scène, ils se
métamorphosent en acteurs, chanteurs et danseurs, et se livrent pleinement à
leur passion.
« La vie
professionnelle et la vie personnelle en prennent un coup »
Parmi eux, Marianne Tharreau,
avocate au barreau des Hauts-de-Seine, aussi passionnée par sa profession que
par le théâtre, qu’elle « pratique depuis toute petite ». Pour préparer
la pièce, elle a habilement jonglé entre ses deux casquettes, un défi qu’elle
ne trouve « pas forcément évident », même après plusieurs années de
participation à la Revue.
« Que ce soit la vie personnelle ou la vie
professionnelle, les deux en prennent un coup, surtout en mai et juin, période
cruciale pour nous », admet
Marianne Tharreau, avec laquelle nous nous sommes entretenus
post-représentation. En effet, pour la troupe de la Revue, les mois qui
précèdent le show sont intenses : « On se retrouve chaque week-end, avec
plusieurs répétitions par semaine. C'est une véritable organisation. Sans
oublier la dernière semaine, où l’on est au théâtre du matin au soir ».
Une logistique qui implique
de préparer ses proches, comme le souligne l’avocate. Reste que « certains
ne se rendent pas forcément compte de tout ce que cela implique ».
« Mais quand ils voient le résultat final, ils comprennent beaucoup mieux
que ce n’est pas une simple kermesse », sourit Marianne Tharreau. Car il
faut bien le dire, loin d’une simple fête de fin d’année, c’est un véritable
travail théâtral qui est offert par la troupe.
A côté de l’écriture des
sketches et des répétitions, entre les formalités administratives, la conception
des costumes et du décor, la coordination de la régie ou encore les opérations
« com’ », l’UJAN doit tout anticiper avec minutie. « On doit
avoir une très grosse capacité de travail et être multitâches. Il faut savoir
s’adapter. Une de nos consœurs avait deux gros dossiers à la Cour d’assises en
même temps ! », précise-t-elle.
Se
représenter, un « exploit » compte tenu des contraintes
Pour toutes ces raisons, et parce
qu’ « une seule année, c’est bien trop peu pour tout préparer correctement
», la périodicité de la Revue a été repensée. Auparavant programmée chaque
année, elle se tient désormais tous les deux ans seulement. Le budget, limité, joue
également un rôle dans cette réorganisation. « On utilise les subventions de
l’Ordre et du Barreau avec parcimonie, car depuis la pandémie du COVID-19, on
ne parvient plus du tout à trouver de sponsors ».
La troupe de l’UJAN bénéficie
cependant du soutien précieux de plusieurs alliés : d'anciens membres toujours
engagés pour donner un coup de pouce, des maquilleurs, des coiffeurs ou encore
des musiciens « fidèles depuis des années ». « Une véritable équipe qui est
présente et qui a envie et l’habitude de travailler avec nous »,
insiste Marianne Tharreau.
De quoi venir compenser les
inquiétudes liées à un effectif réduit côté troupe, laquelle comptait notamment
seulement trois hommes cette année, compliquant la tâche pour certains rôles,
reconnaît l’avocate : « Normalement, nous sommes beaucoup plus nombreux,
mais depuis le COVID-19, période à laquelle nous n’avions pas pu présenter une
Revue que nous avions pourtant presque terminée, je pense que nous avons
peut-être perdu un peu d'élan ».
« Trouver des personnes
motivées et pleines d'énergie n'est pas facile »,
regrette également Marianne Tharreau. « S’investir dans la revue demande une
implication considérable. Il peut y avoir des tensions, de la fatigue, et tout
le monde ne peut pas s'engager dans un tel projet, même si certains le
souhaiteraient ». Cette année encore, la réussite du spectacle était donc
loin d’être gagnée ; l’avocate mesure le chemin parcouru et n’hésite pas à
se montrer fière du travail réalisé : « C’est un exploit qu’on a
accompli ! »
De l’auto-dérision et des hommages
Sur scène, pourtant, le 27
juin, des nombreux obstacles en coulisses, rien ne transparaît. Les musiques,
danses et sketches s'enchaînent durant plus de trois heures, ponctués de rires
sonores émanant d’un public charmé par ces « avocomédiens » qui n’hésitent
pas à pratiquer l’auto-dérision. Les petits cabinets sont autant moqués que les
gros, et les conciliateurs de justice eux aussi en prennent pour leur grade. La pièce en profite également pour pointer du doigt les aspects problématiques
de la profession, à l’instar du plafond de verre ou encore des outils
défaillants - et notamment le fameux RPVA, le réseau informatique sécurisé de
la profession.
Fil rouge du spectacle :
la mission (qui s’avérera impossible !) que se donnent la bâtonnière des
Hauts-de-Seine, Isabelle Clanet dit Lamani, interprétée par Marianne Tharreau, et le vice-bâtonnier Fabien Arakelian (Siméon
Bloch) de rendre la justice « plus attractive », leur marotte.
Une obsession qui va mener les personnages à envisager l’organisation d'émissions
télé calquées sur des programmes populaires, tels que « Cauchemar en Saisine
» ou « La Cour a un Incroyable Talent ».
Dans ce sketch, qui parodie Cauchemar en Cuisine, le « pseudo » chef Etchebest est révolté non pas devant un plat… mais devant le RPVA (réseau privé virtuel des avocats) @ JSS
Le tout, servi par un travail
d’écriture rigoureux entrepris par les différents comédiens de la Revue. Un
travail qui se déroule sensiblement de la même façon d’une édition à l’autre. «
Il n’y a pas de thématique fixe dès le départ ; chacun écrit sur
le sujet qu’il souhaite, en fonction de sa sensibilité, de son expérience »,
explique Marianne Tharreau. « En somme, on écrit sur tout ce que
l’on veut, on ne se fixe pas de limites », résume l’avocate.
Une fois l’écriture achevée,
vient invariablement la phase de validation des saynètes. « Pendant deux
grosses soirées, on relit et on présente chacun nos numéros avant de finalement
voter pour ceux que l’on aimerait garder dans la pièce, même si parfois,
malheureusement, il y a de supers sketchs qui passent à la trappe ».
Cette année, un élément ne
pouvait toutefois pas être omis dans la Revue : l'hommage en chanson à Marie Truchet, vice-présidente du tribunal correctionnel de
Nanterre, décédée d’un AVC en pleine audience en octobre 2022, à l’âge de 44
ans,
révélateur de la surcharge de travail des magistrats. Un hommage qui s’avère particulièrement
poignant ce 27 juin, tant dans les tribunes que sur scène, où une actrice ne
peut s’empêcher de retenir ses larmes, submergée par l'émotion. Et ce n’est pas
le seul hommage rendu lors du spectacle, également dédié à Robert Badinter,
l’ancien garde des Sceaux décédé plus tôt dans l’année.
La fin d’une « bande
de copains »
Ce soir-là, l’heure de la fin
du show approche. Les spectateurs, absorbés, attendent le dénouement. En
revanche, pour la troupe, c’est une toute autre sensation vécue ensemble. À ce moment-là, ce n’est pas seulement la fin de la pièce qui approche, mais aussi
celle d’une bande de copains, rapporte rétrospectivement Marianne
Tharreau.
«On se retrouve du jour au
lendemain sans cette effervescence. On s’habitue vite à passer beaucoup de
temps ensemble, à s’écrire très souvent. C’est difficile, déroutant quand ça s’arrête.
C’est un peu comme quand on partait en colonie de vacances quand on était petits.
Quand c’est fini, on se sent un peu tout seul », confie Marianne Tharreau. «
Heureusement, il y a les vacances qui arrivent, et puis on va se revoir, on est
en quelque sorte liés ! »
Des souvenirs mémorables également
pour les familles et particulièrement les enfants des comédiens, qui ont pu
assister aux répétitions. « Ils aimaient bien se retrouver, ils apprenaient
beaucoup de gros mots, rit l’avocate. Avec la Revue, on embarque un peu
notre famille malgré tout là-dedans. Je pense aussi que ça devait faire plaisir
à nos enfants de voir leurs parents faire quelque chose qui leur plaît. A la
maison, ma fille m’a entendu répéter plein de fois et connaissait mon texte
presque aussi bien que moi ! »
« Toujours prendre du
plaisir »
Après un final salué par des
salves d’applaudissements nourris ce jeudi soir, et une dernière représentation le lendemain,
les regards se tournent déjà vers la prochaine pièce, prévue pour juin 2026. Et
même s’il est « difficile de se projeter aussi loin », l’avenir
pourrait réserver quelques surprises.
Le changement majeur pourrait
bien passer par l’intégration d’un véritable metteur en scène, à l’instar de la
Revue de Paris, davantage professionnalisée, notamment du fait d’un budget plus
important. Jusqu’à présent, cette responsabilité était endossée par l’un
des acteurs de la troupe, un rôle difficilement compatible avec le reste,
analyse Marianne Tharreau. « C’est compliqué de prendre le recul
nécessaire lorsque l’on doit à la fois écrire, penser au storyboard, à la mise
en scène, et ainsi de suite… »
Autre objectif : trouver
de nouvelles recrues, car l’avocate n’imagine pas un spectacle « à moins de
onze acteurs ». En cas de pénurie, la Revue pourrait bien s’arrêter
pendant un temps. L’espoir reste toutefois de mise, après une représentation susceptible
de faire des émules. « En tout cas, on veut la faire perdurer »,
assure Marianne Tharreau. Et ce, dans son format originel : quand on lui
demande si l’UJAN envisage de passer à un format entièrement numérique pour la
prochaine édition, c’est un « non » immédiat : « On ne veut pas
car c’est le spectacle vivant qu’on aime ! »
Et d’ajouter : « L’idée,
c’est de toujours prendre du plaisir. Je pense que tous ceux qui font la Revue
ont cette envie de monter sur scène ». Marianne Tharreau en finit même par se
demander : « Est-ce que c’est parce que j’ai fait du théâtre que je
suis devenue avocate, ou bien est-ce que je fais du théâtre encore aujourd’hui
parce que suis avocate ? ». Telle est la question !
Romain
Tardino