Notre série « Droit et animaux de la rue » s’appuie sur un ensemble d’interventions ayant eu lieu lors d’un webinaire organisé par la commission « Droit et animaux » du barreau de Paris. Elle part du constat que les animaux errants sont estimés à 300 à 500 millions dans le monde. Si aux Pays-Bas, la politique et la réglementation en place permettent aujourd’hui de placer le pays en tête des États comptabilisant le moins d’animaux errants, en France, environ 49 000 chiens et 42 000 chats seraient concernés. De quoi présenter un certain nombre d’enjeux juridiques et judiciaires, comme le souligne l’avocate Marie-Bénédicte Desvallon, responsable de la commission. Et en particulier, au-delà des problématiques liées à la biodiversité, à l’ordre public, à la sécurité, voire à la salubrité publique, qui se posent de façon légitime, quid de la question de la protection de ces animaux ? · La protection des chiens des sans-abri, ou le juridique à l'épreuve du terrain ; · Les actes de cruauté par les enfants sur les animaux, un
phénomène qui gangrène La Réunion ;
· Animaux en divagation : une responsabilité
partagée
· La gestion des chats errants progresse à pas de fourmi |
Au-delà de l’approche
négative par le droit de l’errance animale à l’aune des risques associés pour
les hommes, reste le sujet des risques pour l’animal et des responsabilités
respectives des propriétaires et du maire au titre de ses pouvoirs de police. L’avocate
au barreau de Paris Marie-Bénédicte Desvallon fait le point.
La France recenserait un peu
plus de 90 000 chiens et chats identifiés en état de divagation selon les
associations de protection animale. Voici l’état des lieux partagé par
l’avocate au barreau de Paris Marie-Bénédicte Desvallon, dans le cadre du
webinaire organisé début février par la Commission ouverte « Droit et
Animaux » du barreau de Paris dont elle est responsable.
Une donnée chiffrée
importante, et ce malgré une interdiction générale « de laisser
divaguer les animaux domestiques et les animaux sauvages apprivoisés ou tenus
en captivité » formulée dans l’article L. 211-19-1 du Code
rural et de la pêche maritime (CRPM).
Les enjeux autour de la
divagation de ces animaux, même non dangereux, sont multiples : sécurité et
ordre public, salubrité publique mais aussi environnement par l’érosion de la
biodiversité en lien (non exclusif) avec la divagation des chats. Un animal
errant peut mordre soit un autre animal sous la surveillance de son maitre, soit
une personne, auquel cas il a pu être invoqué la mise en danger d’autrui
par
manquement délibéré à une obligation réglementaire de prudence ou de sécurité.
Marie-Bénédicte Desvallon le
rappelle : la notion de divagation diffère selon qu’il s’agit de chien ou
de chat, qu’il soit identifié ou non. Un chien est considéré en divagation dès
lors n’est plus sous la surveillance effective de son maître, éloigné de plus
de 100 mètres de celui-ci, en dehors d’une action de chasse, de garde ou de la
protection du troupeau ou bien abandonné, livré à son seul instinct. Est
considéré comme errant tout chat identifié trouvé à plus d’un kilomètre du
domicile du maître, tout chat non identifié trouvé à plus de deux cents mètres
des habitations, et tout chat dont le propriétaire n’est pas connu, saisi sur
la voie publique ou la propriété d’autrui.
Quelles sanctions pour les
propriétaires d’animaux en divagation ?
La responsabilité première
incombe au propriétaire. Selon l’article 1243 du Code civil, « le
propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son
usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût
sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé. »
Le fait, par le gardien d’un
animal susceptible de présenter un danger pour les personnes de laisser divaguer cet animal est une
contravention de deuxième classe punie par une amende de 150 euros au titre de tout
manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police
(article R. 622-2 Code pénal). Notons que depuis 2021 le délit de mise en danger englobe
la contravention de divagation, précise l’avocate.
Par ailleurs, dans le cas
d’une condamnation du propriétaire ou si celui-ci est inconnu, « le
tribunal peut décider de remettre l'animal à une œuvre de protection animale
reconnue d'utilité publique ou déclarée, laquelle pourra librement en disposer »,
souligne Marie-Bénédicte Desvallon.
À noter que c’est le
détenteur et non le propriétaire d’un animal ayant causé des dommages ou blessé
une personne qui pourra être tenu pour responsable, à condition que le
propriétaire démontre avoir confié l’animal et que le détenteur avait une garde
effective de l’animal.
Les nouvelles obligations des
maires et communes relatives aux animaux en divagation
À la responsabilité des
propriétaires s’ajoute également celle des maires à qui il incombe, au titre de
leurs pouvoirs de police générale, d’« assurer le bon ordre,
la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques »
(article
L.2212-2 CGCT) d’une part, et de prendre
« toutes
dispositions propres à empêcher la divagation des chiens et des chats »
(article
L.122-22 CRPM) au titre de leurs pouvoirs de police spéciale d’autre
part.
Ils précisent notamment les circonstances et modalités dans lesquelles « les chiens et les chats errants et
tous ceux qui seraient saisis sur le territoire de la commune sont conduits à
la fourrière (…). »
Outre le pouvoir de faire
procéder à la capture des animaux en divagation, les responsabilités des
communes ont été renforcées en matière d’organisation des fourrières.
Ainsi l'article 7 de la loi du 30 novembre 2021
visant à lutter contre la maltraitance animale modifie notamment l’article L. 211-24 du
Code rural, fixant l’obligation pour « chaque commune ou, lorsqu'il
exerce cette compétence en lieu et place de ladite commune, [pour] chaque
établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre [de]
dispose[r] d'une fourrière apte à l'accueil et à la garde, dans des conditions
permettant de veiller à leur bien-être et à leur santé, des chiens et chats
trouvés errants ou en état de divagation. »
Depuis le décret du 24 août
2022 relatif
à la formation des gestionnaires de fourrière en matière de bien-être
des chiens et des chats, ces gestionnaires ont l’obligation de suivre
une formation leur permettant d’acquérir « les connaissances relatives
aux besoins biologiques, physiologiques, comportementaux et à l'entretien des
chiens et des chats » ou bien attester « la possession d’une
certification professionnelle suivie d’un enseignement relatif au bien-être des
chiens et des chats d'une durée au moins égale à six heures ».
Des vides
juridiques à combler
Si on doit saluer le renfort
des responsabilités respectives des propriétaires comme des maires certains points
restent à préciser ou rappeler.
Concernant
la capture d’un animal par exemple, la compétence des agents de la police
municipale procède des arrêtés de police du maire, selon l’article
L. 511-1 du Code de la sécurité intérieure. En revanche, lorsqu’un risque
de danger se profile, ce sont alors les agents des SDIS, chargés de la
protection des personnes, des biens et de l’environnement, qui interviennent,
conformément à l’article L. 1424-2 du CGCT. Pour la responsable de la
Commission ouverte Droit et Animaux, « il serait utile de faciliter
l’intervention des forces de l’ordre quand un animal échappé est vu sur une
propriété privée en l’absence de l'occupant ».
Sur
la question de la restitution de l’animal, l’avocate voit un vide juridique
qu’il serait intéressant de combler. En effet, selon l’article L. 211-24
du CRPM, « les fonctionnaires et agents mentionnés au L. 212-13
peuvent restituer sans délai tout animal identifié selon l’article L. 212.10
s’il n’a pas été en fourrière ». Une compétence qui ne s’applique pas
aux agents de la police municipale ni aux gardes champêtres « faute
d’être visés à l’article L.212-13 ».
En
outre, selon qu’il soit ou non identifié, l’animal amené en fourrière peut être
rendu à son propriétaire s’il est réclamé dans un délai de huit jours suivant
sa capture. Dans le cas contraire, il est considéré comme abandonné et devient
alors la propriété du gestionnaire qui peut choisir de garder l’animal dans la
limite des capacités d’accueil, ou demander l’avis d’un vétérinaire nommé par
préfet qui tranchera entre céder l’animal à une association de protection, ou
l’euthanasier. Si l’urgence est caractérisée, le délai contradictoire avant
l’euthanasie n’est pas obligatoire d’après l’article L.211-11, 13 et 16 du CRPM,
indique Marie-Bénédicte Desvallon.
Autre
point soulevé, la gestion des registres des fourrières. Aux termes de l’article
R. 214-30-3 du CRPM, chaque fourrière se voit dans l’obligation de tenir
un registre d’entrée et de sortie des animaux qui doit être conservé durant
trois ans après la sortie de l’animal. Lorsque des refuges assurent la gestion
du service public de fourrière, les registres sont des documents administratifs
pouvant être communiqués, comme l’a rappelé la Commission d’accès aux documents
administratifs.
Enfin,
la responsable de la Commission ouverte Droit et Animaux préconise de revoir la
catégorisation des animaux en divagation. Sous l’empire du Code pénal de 1810,
une amende de 250 à 600 francs était prévue pour tout détendeur d’animal de
compagnie qui laisse divaguer des animaux « malfaisants ou féroces ».
Une formule qui perdure aujourd’hui encore dans le CGCT en son article L.
2212-2 : « la police municipale doit notamment prendre soin
d’obvier ou de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés
par la divagation des animaux malfaisants ou féroces ».
À
l’aune des risques pour l’animal en divagation et de sa reconnaissance en tant
qu’être sensible, pour autant qu’il n’ait pas été abandonné, les termes « malfaisants »
ou « féroces » ne sont définitivement plus adaptés selon l’avocate.
Allison
Vaslin