La question de l'eau est un sujet central et croissant. C’est la raison pour laquelle, dans cette nouvelle série, le cabinet d’avocats Huglo Lepage a choisi d’aborder, pour le JSS, la question sous l’angle de la ressource comme sur celui des usages, sans oublier la qualité et donc la pollution impactée par les effets du dérèglement climatique. La réduction de la ressource en eau, surtout en eau disponible, rend inévitables les changements d'usage pour éviter les conflits les plus lourds et mettre en place le plus rapidement possible des solutions d'adaptation. Ressource
en eau en France : un état des lieux préoccupant ;
Une
nouvelle réglementation attendue de toute urgence pour respecter les objectifs
du plan eau
|
En
mars 2024, France Stratégie a publié un rapport extrêmement documenté sur les
usages de l’eau dans l’Hexagone, qui montre à quel point le sujet est majeur
pour le vivant, mais aussi pour les activités économiques, qu’elles
soient énergétiques, agricoles ou industrielles, souligne l'avocate Corinne Lepage.
Où
en est la ressource en eau en 2024 ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que l'état
des lieux est plus que préoccupant.
La
base du calcul est celle de l'eau renouvelable - soit 0,01% de l'eau sur terre - qui provient de l’évapotranspiration (évaporation
des eaux de surface et des terres, transpiration des plantes). Cette
évapotranspiration monte dans l'atmosphère se condense pour former des nuages
et retombe sous forme de précipitations.
L’eau
renouvelable est donc celle issue des précipitations dans un territoire auquel
s'ajoutent les flux entrants des territoires voisins dont on retire
l'évapotranspiration. Elle représente 40 % de l'eau précipitée en France.
Ce
volume d'eau renouvelable s’est élevé entre 1990 et 2018 à 210 milliards de m3,
soit 33 milliards de m² de moins que dans la période de 1990 – 2001 soit une
baisse de 14 % en 20 ans. Elle s’explique essentiellement par la réduction des
précipitations; la situation, par exemple des Pyrénées Orientales est
particulièrement catastrophique. Mais également, la réduction des glaciers et
la baisse des chutes de neige réduit le débit de certains fleuves comme le
Rhône qui a vu son débit choir de 30 %, avec pour corollaire une pollution plus
concentrée.
Face
à cette réduction de la ressource, qu'en est-il des prélèvements ? Tout
d'abord, il faut distinguer l’eau prélevée et l'eau consommée. Le prélèvement
d'eau correspond au volume d'eau douce extrait définitivement ou temporairement
d'une source souterraine ou de surface et transportée sur les lieux d'usage. L'eau
consommée est celle qui ne retourne pas
directement à la ressource - c’est à dire aux eaux de surfaces et aux nappes
soit du fait de l'évapotranspiration, soit du fait de l'utilisation.
L’eau
prélevée : un concept à manier avec précaution
Les
31 milliards de m3 d'eaux prélevées peuvent paraître modestes par
rapport aux 210 milliards de ressources disponibles. Mais la grande difficulté
vient de ce que la comparaison moyennée n'a que peu d'intérêt.
En
effet, à l’évidence, tous les territoires ne sont pas impactés la même manière
et dans certains territoires, les prélèvements peuvent être supérieurs à la
ressource disponible.
Par
ailleurs au cours de l'année, les ressources évoluent, se réduisent
considérablement en période d'étiage et peuvent donc devenir préoccupantes du
fait de leur insuffisance.
D'autre
part, si la distinction eau prélevée et eau consommée est importante, il ne
faut jamais oublier que l'eau qui est prélevée n'est pas restituée toujours
dans les mêmes conditions bactériologiques et chimiques de celles dans
lesquelles elle a été prélevée. L'eau peut être restituée polluée par des produits chimiques ou il peut
également s'agir de pollutions bactériologiques ou microbiennes. L’eau très
abondante utilisée dans les centrales nucléaires est restituée à une
température plus élevée qui peut avoir des conséquences sur les écosystèmes et
même des usages de l’eau en aval .
Enfin,
le moment du prélèvement et le moment de la restitution peuvent être différents
dans le temps. A ceci s'ajoute le fait que la restitution ne se fait pas
nécessairement dans les mêmes conditions que le prélèvement. Ainsi, le concept
d’eau prélevée doit être manié avec précaution car il recouvre une réalité qui
est différente de l’eau avant le prélèvement.
Une
surexploitation de l’eau l’été
Pour
apprécier l’existence ou non d’une surexploitation, l’agence européenne de
l’environnement a défini un indice d'exploitation de la ressource en eau qui
est le rapport entre la consommation
d'eau sur un territoire et la ressource renouvelable disponible.
On
considère qu'il y a surexploitation lorsque l'indice dépasse 40 %. En moyenne,
la France en est loin, sauf l’été, dans le pourtour méditerranéen, où cet
indice peut dépasser 40 %, ce qui porte
directement atteinte aux besoins des écosystèmes. Ceux-ci sont précisés dans la définition de débits
minimums dans les cours d'eau qui sont imposés dans la réglementation pour
préserver les équilibres écologiques et permettre également le fonctionnement
économique en aval.
Les
débits d'étiage résultent d’accords sur des
débits minimum que les acteurs du territoire acceptent de laisser dans les
cours d'eau. Mais ce débit est davantage fixé en fonction des besoins des
acteurs que de ceux des écosystèmes et la définition d’un niveau mensuel ajoute
aux conséquences souvent négatives de ce niveau pour les milieux
Peut-on
augmenter les volumes d’eau ?
La
question de l'augmentation des volumes d’eau douce disponible se pose donc de
manière évidente comme celle d’une meilleure utilisation de l’eau potable.
Notre prochain article sera, du reste, consacré à la question de l’utilisation
des eaux grises et des eaux de pluie aux
lieux et place de l’eau potable chaque fois que cela est possible.
Mais,
en amont, est-il possible d’augmenter les volumes d’eau douce ? Deux systèmes
existent.
Le
premier est largement utilisé dans les pays du Sud et il s'agit du dessalement
de l'eau de mer. Ce système est très peu utilisé en France et conséquences
écologiques ne sont pas neutres qu’il s’agisse d’une très forte consommation
énergétique ou des rejets des saumures.
La
deuxième méthode est celle des stockages d’eau. La France compte 670 000 retenues
et réserves d’artificielles : les barrages, les retenues en dérivation, les
retenues collinaires.
Les
réserves sont alimentées, outre les eaux de pluie, par le pompage dans les
cours d’eau ou dans les nappes. Elles servent à la production d’électricité bien
sûr mais aussi la régulation des crues, l'alimentation en eau potable ou à l'irrigation.
Il
existe aujourd'hui un suivi par satellite qui permet d'avoir des informations
en temps réel sur les volumes, les taux de remplissage et les utilisations. La
capacité de stockage cumulée s'élève à 18 milliards de m3 en France
avec de grandes variations dans le temps selon les conditions météo.
Ces
stockages ne sont pas sans incidence sur les milieux : contribution à la
rupture des continuités écologiques, dégradation de la qualité de l'eau du fait
de la prolifération bactérienne et algale, modification du cycle de l'eau en
augmentant la quantité d'eau évaporée et en diminuant de fait la quantité d'eau
dans les milieux aquatiques, risque de drainage des milieux et de disparition
des zones humides…
Les
transferts interbassins sont limités compte tenu de leur coût et de leur faible
acceptabilité. En conséquence, la masse d'eau disponible ne peut évoluer que
très modérément dans le sens d'une augmentation et c'est plutôt une réduction
qu'il faut attendre. Le travail est donc
à faire du côté des prélèvements et de la consommation.
Des
prélèvements très irréguliers
Compte
tenu de ce qui précède, et de la baisse à prévoir, c’est évidemment dans les
usages que les efforts doivent être accomplis.
L’observatoire
national des prélèvements quantitatifs en eau de l'Office français de la
biodiversité recense les prélèvements de l’ordre de 10 000 m³ par an
(7 000 m³ dans les zones en tension, ce qui exclut les forages domestiques
très modestes individuellement mais qui dans les zones sous pression peuvent
avoir un effet collectif non négligeable).
Les
prélèvements se répartissent de la manière suivante en France : énergie :
47 %, eau domestique : 14 %, agriculture : 11 %, canaux : 18 %, industrie
construction : 8 % (dont les data centers qui sont de très gros
consommateurs, tertiaire marchand : 1 %, loisirs : 1 %.
Les
prélèvements se font de manière très irrégulière dans toute la France.
Ainsi,
sur le secteur de la production d'énergie qui représente 47 % des prélèvements,
80 % se situent dans le bassin Rhône Méditerranée en raison de la très forte
concentration de centrales nucléaires dans la vallée du Rhône.
Les
prélèvements agricoles sont concentrés sur le même bassin Rhône-Méditerranée,
le Bassin Loire-Bretagne et l'Adour-Garonne à hauteur de 87 %.
Cette
grande disparité explique les différences d’un bassin à l’autre avec des
extrêmes en termes de prélèvements de 0,9 % dans le bassin Artois-Picardie le
plus faible de France et 16,5 % en Rhône-Méditerranée.
14
milliards de m3 pour le secteur énergétique
Le
secteur énergétique est le premier secteur en termes de prélèvements dans les
eaux de surface à hauteur de 14 milliards de m3. Cette eau sert au
refroidissement des centrales nucléaires, avec de fortes disparités entre
celles qui sont dotées d’aéroréfrigérants qui fonctionnent en circuit fermé et
celles qui n’en sont pas dotées qui rejettent beaucoup plus d’eaux réchauffées, chimiquement et radiologiquement chargées.
L’utilisation
de l’eau passe, selon France stratégie, de 233 m3/kWh pour les
secondes à 11 m³ kWh pour les premières, soit 10 fois moins. Ce sont
essentiellement les premiers systèmes à circuit ouvert qui sont présents dans
la vallée du Rhône, expliquant que cela représente 75 % des prélèvements du
secteur énergétique et 38 % du total des prélèvements.
S’agissant
des prélèvements à usage agricole, ne sont en réalité comptabilisés que ceux
qui concernent l'irrigation car les prélèvements destination des animaux
restent marginaux et ne sont pas comptabilisés
En
2020, 3 milliards de m3 ont été prélevés pour l'irrigation dans la
France métropolitaine, soit 11 % des prélèvements totaux majoritairement dans
les eaux de surface (58 %). Cela représente 2 000 m3 d'eau
prélevée par hectare de surface irriguée.
Les
cultures de surface sont les légumes, les vergers et le soja, le maïs et les
pommes de terre qui demandent le plus d'eau. Mais, calculé globalement, c'est
le maïs qui représente la plus grosse consommation d'eau irriguée soit 39 % des
surfaces irriguées en France, alors que les fruits et légumes ne représentent
que 15 %. Ceci devrait très clairement à l'avenir poser la question du bien-fondé du maintien de ce type de
culture extrêmement coûteuse en eau dont l’usage est l’alimentation du bétail.
Rappelons en effet que si 44 % de l'eau
d'irrigation sert à l'alimentation humaine, 39 % sert à l'alimentation animale.
Là aussi, la question du bol alimentaire et de la part de viande dans ce bol
alimentaire est très clairement posée.
L'étude
démontre qu'entre 2010 et 2020 le nombre d’exploitations ayant recours à
l’irrigation a considérablement augmenté en particulier dans le bassin Artois
Picardie. L’augmentation des températures explique cette tendance à la hausse
avec un record d’irrigation dans les bassins Loire Bretagne Adour Garonne.
Concernant
les eaux domestiques, les prélèvements sont stables à environ 14% des
prélèvements totaux et se font essentiellement
dans les eaux souterraines. Il n’en demeure pas moins que la pratique des
forages domestiques s’accroît sans que la réglementation ne soit respectée
puisqu’il semblerait que forages sur 50 seulement ne soit déclarés.
Cette
situation a bien entendu très difficile la comptabilité du nombre de mètres
cubes prélevés qui seraient de l’ordre de 200 millions de mètres cubes par an
soient 5 % du volume d’eau potable prélevée pour l’usage domestique
Les
prélèvements industriels sont, pour leur part, finalement très modestes en
termes quantitatifs par rapport à ce qui précède. Ils concerne essentiellement
la chimie , la pharmacie et l'alimentaire avec une baisse des prélèvements
totaux liés à la désindustrialisation mais aussi à l'amélioration des procédés.
Quant
aux autres prélèvements, ceux pour le secteur tertiaire restent faibles, 67%
des prélèvements pour les loisirs concernent les espaces verts, les stades, les
golfs et la production de neige artificielle.
Il
faut ajouter des prélèvements croissants pour les data center. Telle
est donc la situation des prélèvements qui permet de voir sur quels secteurs il
est possible d’agir de manière efficace pour alléger la charge des
prélèvements.
Les
fuites à l’origine de 20 % des prélèvements des eaux domestiques
Y
a-t-il une différence lorsque l’on passe de l’eau prélevée à l’eau consommée? Comme
on l'a rappelé précédemment, toute l'eau prélevée n'est pas consommée.
Si
l’on regarde la répartition sectorielle des consommations, elle est très
différente de celle des prélèvements. 62 % de l'eau consommée en France
métropolitaine et en Corse l’est pour l'agriculture, sans restitution au milieu,
puisqu’il y a une évapotranspiration.
Suivent
l'énergie (14 %), l'eau domestique (12 %), l'industrie (9 %), le reste étant de
l'ordre de 1%.
Les
bassins versants où les consommations d'eau sont les plus élevées sont
Adour-Garonne 1 milliard de m3, Rhône-Méditerranée 1,5 milliards de
m3 et Loire-Bretagne 0,8 m3.
Quant
à l'outre-mer, les prélèvements s'élèvent à 416 millions de m3 dont
61% destinés à la production d’eau potable pour les ménages, 21 % à
l'irrigation agricole, 17% aux industries et seulement 1 % à l'énergie
puisqu'il n'y a pas de centrale nucléaire.
Il
faut donc reprendre chacun des secteurs dont il vient d’être question, en
commençant par les eaux domestiques qui posent une vraie difficulté en raison
des fuites des réseaux d’eau potable qui représenterait 20 % des prélèvements
des eaux domestiques, sachant que la consommation d’eau des ménages est de
l’ordre de 12 %. Quel que soit le choix comptable, et même si les fuites
retournent au milieu par définition, il y a néanmoins des pertes et un coût
pour les collectivités qui méritent un effort tout particulier.
Dans
le secteur industriel, s'agissant des secteurs industriels, le plus gros
consommateur est la chimie pharmacie
devant l'agroalimentaire qui représente 23 % de l'eau potable, puis la
métallurgie 12 %, le textile 8 %, les déchets 2 % et le reste étant inférieur à
1 %.
Le
nucléaire en circuit ouvert du fait de l'eau rejetée représente la consommation
la plus élevée, l'évaporation forte additionnelle est importante et représente
près de 1 % du volume rejeté dans la vallée du Rhône. Mais le nucléaire en
circuit fermé représente 22 % de la
consommation nationale en raison du plus grand nombre de centrales.
L’eau
à usage agricole, une question inflammable
Reste
le plus gros consommateur d’eau : l’agriculture. Les consommations
dépendent ici du système d'irrigation choisi. Le goutte-à-goutte et l’aspersion
n’ont évidemment pas les mêmes conséquences en termes de consommation ; par
ailleurs l’usage et l’utilité de l’irrigation varie beaucoup d'une culture à
l'autre.
Ainsi,
pour la vigne, l'irrigation est destinée à gérer le taux d'alcool du vin et les
qualités organoleptiques alors que les grandes cultures de maïs ne peuvent se
développer sans irrigation. Ceci explique que l’aspersion soit le mode d’irrigation
le plus répandu, soit 87 % de la surface totale irrigable, alors que la
micro-irrigation comprenant la micro-aspersion et le goutte-à-goutte ne
représente que 8 %.
Certes,
une partie de l'eau qui ruisselle rejoint les milieux mais la plus grande
quantité de l’eau est absorbée par les plantes elles-mêmes.
La
question de l’eau à usage agricole est éminemment inflammable et le sujet des
méga bassines a été abondamment abordé lors des troubles récents ayant affecté
le monde agricole.
Le
surplus d’évaporation lié au stockage dans les plans d’eau artificiels est de l’ordre
d’un milliard de m3 par an sur 18 milliards de capacité de stockage cumulée,
soit 5 %. cette estimation n'est qu'une estimation qui permet néanmoins de comprendre
que plus les retenues sont importantes, plus le surplus d'évaporation est
considérable. La situation est particulièrement préoccupante lorsque les
retenues sont alimentées par les nappes souterraines car il s’agit alors d’une
perte sèche.
Ce
très rapide état des lieux, établi une fois encore sur la base du rapport de
France Stratégie, montre comment le sujet est majeur pour le vivant bien sûr,
mais aussi pour les activités économiques, qu’elle soit énergétique agricole ou
industrielle.
C’est
la raison pour laquelle nous publierons régulièrement un certain nombre
d’articles faisant le point des enjeux et des solutions s’il y en a concernant
d’une part la ressource et sa qualité mais aussi les transformations que les
activités humaines doivent inexorablement subir pour s’adapter aux temps
nouveaux.
Corinne Lepage
Avocate fondatrice
Huglo Lepage avocats