Afin d’atteindre les
objectifs fixés sur une meilleure gestion de la ressource en eau, encore
faut-il faire de cet enjeu une réelle politique publique, exprimée par une
réglementation claire, efficace et incitative, permettant aux consommateurs
d’évoluer et de modifier leurs habitudes. Tel n’est manifestement pas encore le
cas, pointe l’avocate Madeleine Babès.
Une des premières
conséquences visibles du dérèglement climatique réside dans les difficultés de
gestion de la ressource en eau, ressource pourtant fondamentale pour tout être
vivant. Cette
affirmation est vraie à l’échelle nationale, mais a une résonnance particulière
dans certaines régions plus impactées que d’autres : inondations dans le
Pas-de-Calais, sécheresse sans précédent dans les Pyrénées-Orientales, la
question de la gestion de ressource ne peut plus être ignorée.
C’est ainsi par exemple qu’un plan résilience eau
spécial a été annoncé le 22 mai dernier par le Ministre de la transition
écologique et de la cohésion des territoires de France, pour la région des
Pyrénées-Orientales. La question du gaspillage de l’eau potable à des fins qui
ne nécessitent pas une eau de cette qualité est très clairement posée.
Il faut bien comprendre en amont que pendant de
très longues années, du fait d’intérêts économiques évidents, l’eau potable a
été utilisée à des fins totalement inutiles mais qui permettaient évidemment une vente d’eau considérable. En
parallèle, l’utilisation des eaux de pluie est une évidence pour la culture et
les usages domestiques en excluant bien évidemment l’usage alimentaire. Le
gouvernement a décidé d’y venir très lentement, avec de nombreux obstacles, alors
même que la massification de ces usages est indispensable.
Par ailleurs, la question de la disponibilité de
la ressource en eau se pose, et pose donc celle de la réutilisation des eaux
usées, dont certains pays comme l’Australie se servent abondamment. Sur ce plan
également, la France accuse un immense retard que la nouvelle réglementation ne
comble pas.
L’objectif impératif de gestion raisonnée de la
ressource en eau
Parce qu’elle est une
ressource fondamentale, si ce n’est la plus importante, le législateur a donné
à l’eau un statut particulier, codifié à l’article L.210-1 du Code de
l’environnement, consacrant le fait que « L'eau fait partie du patrimoine
commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la
ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt
général ».
La
lettre de cet article, assortie du contexte actuel de stress hydrique, impose
de s’interroger sur une nouvelle gestion de la ressource en eau et sur les
utilisation de l’eau potable, mais également des eaux non conventionnelles,
définies dans un guide réalisé par le groupe de travail de l’association
scientifique et technique pour l’eau et l’environnement (Atsee) comme des
« types d’eaux autres que celles issues
directement d’un prélèvement direct dans la ressource naturelle et faisant
éventuellement l’objet d’un traitement approprié par rapport à l’usage ». Et le guide d’ajouter, à titre
d’illustration qu’il peut alors s’agir des eaux usées traitées, des eaux de
pluie, ou encore des eaux ménagères aussi appelées eaux grises.
Afin d’atteindre les objectifs fixés sur une meilleure
gestion de la ressource en eau, encore faut-il faire de cet enjeu une réelle
politique publique, exprimée par une réglementation claire, efficace et
incitative, permettant aux consommateurs d’évoluer et de modifier leurs
habitudes. Tel n’est manifestement pas encore le cas.
Sur le caractère peu incitatif, la suppression en 2023 de certaines
aides financières de l'Etat pour les projets de récupération d'eau de pluie,
comme le crédit d'impôt ou le dispositif MaPrimeRénov', n’était manifestement pas
une mesure qui allait dans le bon sens. Actuellement, les collectivités
territoriales (notamment des communes et des établissements publics de
coopération intercommunale) et leurs établissements publics, sont venus pallier
ce manque d’incitation nationale en octroyant, pour certains, des aides ou des
subventions pour l’installation de récupérateurs d’eaux de pluie.
Sur l’aspect réglementaire ensuite, la prolifération de
textes, parfois contraires, n’aide pas davantage. Le rapport interministériel
intitulé « Faciliter le recours aux eaux non conventionnelles »,
rendu en juillet 2023, était pavé de bonnes intentions, et s’inscrivait
logiquement dans le cadre du plan d'action pour une gestion résiliente et
concertée de l'eau (dit plan eau), lancé par le président de la République le
30 mars 2023, et se voulant empreint d’une volonté de développer en masse le
recours aux eaux non conventionnelles, « avec une cible de
développement de 1 000 projets de réutilisation sur le territoire d'ici 2027 ».
Ce rapport proposait alors notamment de réexaminer la
définition des eaux non conventionnelles, et d’inscrire cette réflexion dans un
cadre communautaire. C’était une recommandation judicieuse sur le plan du droit
et qui aurait permis une plus grande intelligibilité, et donc acceptabilité de
la norme. Mais ce n’est pas dans ce sens que la règlementation a évolué.
L’amalgame qui est fait dans le guide de l’Atsee précité entre
des eaux usées (ménagères ou non) et des eaux de pluie, pouvait déjà interroger.
En effet, il est bien évident que l’utilisation d’eaux polluées ou d’eaux de
pluie ne peut pas être le même, et que, par voie de conséquence, les régimes
juridiques ne peuvent qu’être différents.
La distinction fondamentale entre les eaux usées et les
eaux de pluie
En
septembre 2020 déjà, l’Anses était saisie par la Direction générale de la santé
(DGS), la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature
(DGALN) et la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) d’une
demande d’avis sur un projet de décret relatif à l'utilisation des eaux de
pluie et à la mise en œuvre d'une expérimentation pour encadrer l'utilisation
des eaux usées traitées.
Mais dès
lors, l’Anses soulignait qu’il n’y avait pas de sens à mélanger les régimes
juridiques des eaux de pluie et des eaux usées traitées. Entendant la remarque
et alors à juste titre, le gouvernement avait renoncé à cet amalgame et le
décret n°2022-336 du 10 mars 2022 ne concernait alors que les eaux usées
traitées. Le sort des eaux de pluie était sorti de ce décret.
Puis rapidement, une volonté
de simplification du décret de mars 2022 émergeait. Dans ce contexte, une
consultation était lancée au printemps 2023, afin d’adopter un texte de simplification de la procédure d’autorisation pour
la réutilisation des eaux usées traitées, faisant réapparaitre dans le débat le
sujet des eaux de pluie, pour raisons inexpliquées et en réalité inexplicables.
La logique du gouvernement interrogeait alors.
Puis cette interrogation se transformait rapidement en
inquiétude bien concrète à la lecture du décret REUT du 29 août 2023,
traitant tout à la fois du sort des eaux de pluie et des eaux usées non
traitées, comme si le régime juridique était le même, et alors même que le
public concerté y était opposé et que l’Anses répète depuis des années que ces
types d’eau ne peuvent pas être traités de la même manière.
Dans ce contexte, commentant le décret REUT, le Président
de l’IFEP, qui a saisi le Conseil d’Etat en vue d’obtenir l’annulation de ce
texte, indiquait, et c’est extrêmement parlant, que « Priver les
citoyens et les entreprises de l’utilisation de l’eau de pluie dans la maison
et les bâtiments, notamment dans les toilettes, est une mesure difficilement
compréhensible à l’heure où l’économie d’eau potable est un défi crucial ».
En effet, sur la question de l’utilisation des eaux de
pluie, il ressort des dispositions de l’article L.1322-14 du Code de la santé
publique que le législateur a entendu autoriser l’utilisation des eaux de
pluies à usage domestique dans les locaux d’habitation. Or, l’article
R.211-126 du Code de l’environnement, issu du décret REUT de l’été 2023,
interdit clairement que les eaux de pluie soient utilisées à l’intérieur des
locaux d’habitation et dans de nombreux ERP, ne distinguant pas entre les
usages domestiques ou non domestiques.
Précisons
d’ailleurs au passage qu’aucune information n’est donnée sur ce que pourraient
être des usages non domestiques à l’intérieur de locaux d’habitation. En bref,
cet article réglementaire a bien l’apparence d’un texte contraire à l’article
de loi précité autorisant quant à lui l’utilisation des eaux de pluie dans les
locaux d’habitation.
Dès lors qu’aucune
distinction n’est faite entre les usages domestiques et non domestiques des
eaux pluviales au sein de l’article R.211-126 du Code de l’environnement, on ne
peut que s’interroger en l’état sur la réglementation applicable et considérer
par prudence que l’utilisation des eaux pluviales est interdite de manière
générale dans les locaux d’habitation, encore une fois, au mépris des règles
posées par le législateur et intégrées au Code de la santé publique.
Force est alors de constater que l’objectif de simplification de la
réglementation est totalement raté, mais pire encore, que la nouvelle
règlementation va à contresens de la volonté affichée dans le plan eau
d’utilisation raisonnée de la ressource en eau et du développement du recours à
l’utilisation des eaux de pluie notamment. Une nouvelle réglementation est donc
attendue de toute urgence pour respecter les objectifs du plan eau et être à la
hauteur de l’enjeu environnemental de gestion de cette ressource si précieuse
qu’est l’eau.
Madeleine Babès,
Avocate – Huglo Lepage Avocats
Décret n° 2023-835 du 29 août 2023 relatif aux usages et aux conditions d'utilisation
des eaux de pluie et des eaux usées traitées