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SÉRIE « LE DÉFI DE L’EAU ». Une nouvelle réglementation attendue de toute urgence pour respecter les objectifs du plan eau

SÉRIE « LE DÉFI DE L’EAU ». Une nouvelle réglementation attendue de toute urgence pour respecter les objectifs du plan eau
Publié le 01/06/2024 à 10:59

La question de l'eau est un sujet central et croissant. C’est la raison pour laquelle, dans cette nouvelle série, le cabinet d’avocats Huglo Lepage a choisi d’aborder, pour le JSS, la question sous l’angle de la ressource comme sur celui des usages, sans oublier la qualité et donc la pollution impactée par les effets du dérèglement climatique. La réduction de la ressource en eau, surtout en eau disponible, rend inévitables les changements d'usage pour éviter les conflits les plus lourds et mettre en place le plus rapidement possible des solutions d'adaptation.

Ressource en eau en France : un état des lieux préoccupant ;

Une nouvelle réglementation attendue de toute urgence pour respecter les objectifs du plan eau


Afin d’atteindre les objectifs fixés sur une meilleure gestion de la ressource en eau, encore faut-il faire de cet enjeu une réelle politique publique, exprimée par une réglementation claire, efficace et incitative, permettant aux consommateurs d’évoluer et de modifier leurs habitudes. Tel n’est manifestement pas encore le cas, pointe l’avocate Madeleine Babès.

Une des premières conséquences visibles du dérèglement climatique réside dans les difficultés de gestion de la ressource en eau, ressource pourtant fondamentale pour tout être vivant. Cette affirmation est vraie à l’échelle nationale, mais a une résonnance particulière dans certaines régions plus impactées que d’autres : inondations dans le Pas-de-Calais, sécheresse sans précédent dans les Pyrénées-Orientales, la question de la gestion de ressource ne peut plus être ignorée.

C’est ainsi par exemple qu’un plan résilience eau spécial a été annoncé le 22 mai dernier par le Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de France, pour la région des Pyrénées-Orientales. La question du gaspillage de l’eau potable à des fins qui ne nécessitent pas une eau de cette qualité est très clairement posée.

Il faut bien comprendre en amont que pendant de très longues années, du fait d’intérêts économiques évidents, l’eau potable a été utilisée à des fins totalement inutiles mais qui permettaient  évidemment une vente d’eau considérable. En parallèle, l’utilisation des eaux de pluie est une évidence pour la culture et les usages domestiques en excluant bien évidemment l’usage alimentaire. Le gouvernement a décidé d’y venir très lentement, avec de nombreux obstacles, alors même que la massification de ces usages est indispensable.

Par ailleurs, la question de la disponibilité de la ressource en eau se pose, et pose donc celle de la réutilisation des eaux usées, dont certains pays comme l’Australie se servent abondamment. Sur ce plan également, la France accuse un immense retard que la nouvelle réglementation ne comble pas.

L’objectif impératif de gestion raisonnée de la ressource en eau

Parce qu’elle est une ressource fondamentale, si ce n’est la plus importante, le législateur a donné à l’eau un statut particulier, codifié à l’article L.210-1 du Code de l’environnement, consacrant le fait que « L'eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général ».

La lettre de cet article, assortie du contexte actuel de stress hydrique, impose de s’interroger sur une nouvelle gestion de la ressource en eau et sur les utilisation de l’eau potable, mais également des eaux non conventionnelles, définies dans un guide réalisé par le groupe de travail de l’association scientifique et technique pour l’eau et l’environnement (Atsee) comme des « types d’eaux autres que celles issues directement d’un prélèvement direct dans la ressource naturelle et faisant éventuellement l’objet d’un traitement approprié par rapport à l’usage ». Et le guide d’ajouter, à titre d’illustration qu’il peut alors s’agir des eaux usées traitées, des eaux de pluie, ou encore des eaux ménagères aussi appelées eaux grises.

Afin d’atteindre les objectifs fixés sur une meilleure gestion de la ressource en eau, encore faut-il faire de cet enjeu une réelle politique publique, exprimée par une réglementation claire, efficace et incitative, permettant aux consommateurs d’évoluer et de modifier leurs habitudes. Tel n’est manifestement pas encore le cas.

Sur le caractère peu incitatif, la suppression en 2023 de certaines aides financières de l'Etat pour les projets de récupération d'eau de pluie, comme le crédit d'impôt ou le dispositif MaPrimeRénov', n’était manifestement pas une mesure qui allait dans le bon sens. Actuellement, les collectivités territoriales (notamment des communes et des établissements publics de coopération intercommunale) et leurs établissements publics, sont venus pallier ce manque d’incitation nationale en octroyant, pour certains, des aides ou des subventions pour l’installation de récupérateurs d’eaux de pluie.

Sur l’aspect réglementaire ensuite, la prolifération de textes, parfois contraires, n’aide pas davantage. Le rapport interministériel intitulé « Faciliter le recours aux eaux non conventionnelles », rendu en juillet 2023, était pavé de bonnes intentions, et s’inscrivait logiquement dans le cadre du plan d'action pour une gestion résiliente et concertée de l'eau (dit plan eau), lancé par le président de la République le 30 mars 2023, et se voulant empreint d’une volonté de développer en masse le recours aux eaux non conventionnelles, « avec une cible de développement de 1 000 projets de réutilisation sur le territoire d'ici 2027 »[1].

Ce rapport proposait alors notamment de réexaminer la définition des eaux non conventionnelles, et d’inscrire cette réflexion dans un cadre communautaire. C’était une recommandation judicieuse sur le plan du droit et qui aurait permis une plus grande intelligibilité, et donc acceptabilité de la norme. Mais ce n’est pas dans ce sens que la règlementation a évolué.

L’amalgame qui est fait dans le guide de l’Atsee précité entre des eaux usées (ménagères ou non) et des eaux de pluie, pouvait déjà interroger. En effet, il est bien évident que l’utilisation d’eaux polluées ou d’eaux de pluie ne peut pas être le même, et que, par voie de conséquence, les régimes juridiques ne peuvent qu’être différents.

La distinction fondamentale entre les eaux usées et les eaux de pluie

En septembre 2020 déjà, l’Anses était saisie par la Direction générale de la santé (DGS), la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) et la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) d’une demande d’avis sur un projet de décret relatif à l'utilisation des eaux de pluie et à la mise en œuvre d'une expérimentation pour encadrer l'utilisation des eaux usées traitées.

Mais dès lors, l’Anses soulignait qu’il n’y avait pas de sens à mélanger les régimes juridiques des eaux de pluie et des eaux usées traitées. Entendant la remarque et alors à juste titre, le gouvernement avait renoncé à cet amalgame et le décret n°2022-336 du 10 mars 2022 ne concernait alors que les eaux usées traitées. Le sort des eaux de pluie était sorti de ce décret.

Puis rapidement, une volonté de simplification du décret de mars 2022 émergeait. Dans ce contexte, une consultation était lancée au printemps 2023, afin d’adopter un texte de simplification de la procédure d’autorisation pour la réutilisation des eaux usées traitées, faisant réapparaitre dans le débat le sujet des eaux de pluie, pour raisons inexpliquées et en réalité inexplicables. La logique du gouvernement interrogeait alors.

Puis cette interrogation se transformait rapidement en inquiétude bien concrète à la lecture du décret REUT du 29 août 2023[2], traitant tout à la fois du sort des eaux de pluie et des eaux usées non traitées, comme si le régime juridique était le même, et alors même que le public concerté y était opposé et que l’Anses répète depuis des années que ces types d’eau ne peuvent pas être traités de la même manière.

Dans ce contexte, commentant le décret REUT, le Président de l’IFEP, qui a saisi le Conseil d’Etat en vue d’obtenir l’annulation de ce texte, indiquait, et c’est extrêmement parlant, que « Priver les citoyens et les entreprises de l’utilisation de l’eau de pluie dans la maison et les bâtiments, notamment dans les toilettes, est une mesure difficilement compréhensible à l’heure où l’économie d’eau potable est un défi crucial ».

En effet, sur la question de l’utilisation des eaux de pluie, il ressort des dispositions de l’article L.1322-14 du Code de la santé publique que le législateur a entendu autoriser l’utilisation des eaux de pluies à usage domestique dans les locaux d’habitation. Or, l’article R.211-126 du Code de l’environnement, issu du décret REUT de l’été 2023, interdit clairement que les eaux de pluie soient utilisées à l’intérieur des locaux d’habitation et dans de nombreux ERP, ne distinguant pas entre les usages domestiques ou non domestiques.

Précisons d’ailleurs au passage qu’aucune information n’est donnée sur ce que pourraient être des usages non domestiques à l’intérieur de locaux d’habitation. En bref, cet article réglementaire a bien l’apparence d’un texte contraire à l’article de loi précité autorisant quant à lui l’utilisation des eaux de pluie dans les locaux d’habitation.

Dès lors qu’aucune distinction n’est faite entre les usages domestiques et non domestiques des eaux pluviales au sein de l’article R.211-126 du Code de l’environnement, on ne peut que s’interroger en l’état sur la réglementation applicable et considérer par prudence que l’utilisation des eaux pluviales est interdite de manière générale dans les locaux d’habitation, encore une fois, au mépris des règles posées par le législateur et intégrées au Code de la santé publique.

Force est alors de constater que l’objectif de simplification de la réglementation est totalement raté, mais pire encore, que la nouvelle règlementation va à contresens de la volonté affichée dans le plan eau d’utilisation raisonnée de la ressource en eau et du développement du recours à l’utilisation des eaux de pluie notamment. Une nouvelle réglementation est donc attendue de toute urgence pour respecter les objectifs du plan eau et être à la hauteur de l’enjeu environnemental de gestion de cette ressource si précieuse qu’est l’eau.

 

Madeleine Babès,
Avocate – Huglo Lepage Avocats



[1] Rapport interministériel CGAAER n°23059, IGEDD n°015021-01 et IGAS n°2023-040R : Faciliter le recours aux eaux non conventionnelles

[2] Décret n° 2023-835 du 29 août 2023 relatif aux usages et aux conditions d'utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées

 


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