JUSTICE

Saisi par un justiciable, le CSM prononce un blâme à l’égard d’un magistrat

Saisi par un justiciable, le CSM prononce un blâme à l’égard d’un magistrat
Publié le 14/06/2024 à 17:55

L’organe chargé de garantir l'indépendance de l'autorité judiciaire a prononcé hier cette sanction disciplinaire à l’égard d’un juge d’instruction qui a omis de rendre, en l’espace de trois ans, l’ordonnance venant clore l’information judiciaire à l’égard d’un mis en examen. Le magistrat « n’a pas été à la hauteur des exigences attendues », a-t-il estimé. 

« C’est la première fois, depuis l’instauration de la saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature par un justiciable [en 2008], que la procédure aboutit au prononcé d’une sanction disciplinaire. »

Le constat vient du CSM lui-même. L’organe chargé de garantir l'indépendance de l'autorité judiciaire a en effet prononcé, jeudi 13 juin, un blâme avec inscription au dossier à l'encontre d’un magistrat.

Dans cette décision inédite, le Conseil considère que ce magistrat, en ne trouvant pas le temps de rendre une ordonnance de clôture pendant une période de deux ans et neuf mois, a manqué à ses devoirs.

Pas de « durée raisonnable de l’information judiciaire », selon le justiciable

À l’origine de cette affaire, une saisine du CSM en 2022, à l’encontre de ce magistrat, par un individu qui avait été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire dans une procédure ouverte depuis 2010. 

Alors que le procureur de la République avait requis son renvoi devant le tribunal correctionnel et qu’il incombait au juge d'instruction en poste dans ce tribunal entre le 2 septembre 2019 et le 1er juin 2022, de rendre une ordonnance de règlement pour clore l’information judiciaire, l’individu reprochait à celui-ci de ne pas avoir réalisé cet acte. 

Il invoquait à l’appui de sa plainte une « absence de durée raisonnable de l’information judiciaire » et une « inaction fautive » caractérisant un manquement du magistrat à son devoir de diligence - laquelle fait d’ailleurs l’objet d’une action en responsabilité de l’Etat, aujourd’hui pendante. 

De son côté, entendu par la commission d'admission des requêtes et le rapporteur du conseil, le magistrat, s’il n’a pas nié qu’il avait pour mission de procéder au règlement de ce dossier, a en revanche justifié sa carence par sa charge de travail et par une succession d'événements personnels douloureux.

Inopérant, juge le CSM, qui relève que ces circonstances ne « sauraient affranchir » le magistrat du devoir de diligence auquel il était astreint. « En s’abstenant de rendre l’ordonnance de clôture de l’information (...), en dépit des alertes de sa hiérarchie comme des objectifs fixés par celle-ci et de ses propres engagements, réitérés à plusieurs reprises, M. X a gravement manqué à son devoir de diligence », affirme l’organe constitutionnel.

Devoir qui impose d’agir « dans un délai raisonnable, en traitant toutes les affaires dont il est saisi en fonction des moyens dont il dispose et en alertant le cas échéant sa hiérarchie sur les obstacles rencontrés », rappelle le Conseil.

D’autres manquements retenus

Le justiciable auteur de la saisine invoquait en outre un manquement par le magistrat instructeur à son devoir de diligence, de légalité et de rigueur « au regard des annonces faites au titre de l’imminence de la clôture de l’information judiciaire ». Selon lui, bien que le magistrat ait plusieurs fois indiqué qu’il allait clôturer l’information judiciaire avant son départ en détachement, il n’en aurait, en réalité, jamais eu l’intention. 

Une affirmation démentie par le magistrat lors de ses auditions et à l’audience. Le CSM observe cependant qu’ « il est constant que [ce dernier] s’est engagé à plusieurs reprises à rendre l’ordonnance de règlement relative à l’information judiciaire ouverte (...) Or, au regard de l’ampleur du travail qu’impliquait la rédaction de l’ordonnance de règlement, qu’il n’avait pas même débutée, il est manifeste qu’[il] n’était pas en mesure de respecter les engagements qu’il avait pris oralement et par courriel. »

À ce titre, le Conseil considère que si ces engagements « non suivis d’effet » ne relèvent pas des devoirs de légalité, de rigueur et de diligence, comme le soutenait le requérant, ils caractérisent en revanche un manquement manifeste par le magistrat à son devoir de loyauté à l’égard de sa hiérarchie, qui implique de l’ « informer loyalement de l’évolution des procédures dont il a la charge », mais aussi à son devoir de délicatesse à l’égard du justiciable, qui lui impose « le respect et la prévenance envers autrui ».

Le magistrat « n’a pas été la hauteur des exigences attendues »

Au terme de ses développements, le CSM estime sans détour que le juge d’instruction visé par la plainte « n’a pas été à la hauteur des exigences attendues d’un magistrat instructeur en charge d’un cabinet financier, en dépit de la diminution des saisines de son cabinet dont il a bénéficié ». In fine, le couperet tombe : les « différents manquements » retenus à l’encontre du juge d’instruction « justifient le prononcé d’un blâme avec inscription au dossier ». 

Bien que la décision ait été, pour l’heure, peu commentée publiquement, « la montagne accouche d’un souriceau : tout ça pour ça », note un internaute sur le réseau social X (ex-Twitter). Précisons qu’en France, le blâme constitue la plus faible sanction disciplinaire, sans réelle conséquence directe pour le magistrat, si ce n’est figurer dans son dossier. Ce qui ne signifie pas que sa carrière ne peut pas s'en trouver affectée. En l’occurrence, le magistrat, épinglé pour ses manquements en tant que juge d’instruction, pourrait ainsi avoir du mal à être admis à un poste similaire. 

A noter également que l’organe constitutionnel ne retient pas, dans sa décision, « l’altération frauduleuse de la vérité » qui était également avancée au titre des griefs disciplinaires. Sur ce point, la personne à l’origine de la requête se basait sur une ordonnance qui rejetait sa demande de modification de contrôle judiciaire et dans laquelle le magistrat visait à tort une autre demande, pointant qu’il s’agissait là pour le magistrat de s’exonérer d’un délai de cinq jours prévu par le Code de procédure pénale. Elle soutenait en outre que les pièces justificatives jointes à sa demande n’avaient été ni cotées au dossier ni communiquées au parquet.

Cependant, pour le CSM, les manquements disciplinaires prétendus ne sont « pas caractérisés ». Ainsi, de nouveau, pas de manquement au devoir de légalité, affirme-t-il, car aucune des pièces de la procédure ne permet « de caractériser une intention frauduleuse » et aucune décision de justice « n’a constaté une violation grave et délibérée d’une règle de procédure ». 

Le magistrat échappe également au manquement à son devoir de rigueur puisque, selon le Conseil, l’erreur dans les dates « n’est pas de nature à nuire au bon déroulement de l’information judiciaire », et l’absence de transmission au parquet des pièces jointes au soutien de la demande de mainlevée du contrôle judiciaire « ne peut fonder un manquement au devoir de rigueur par [le magistrat] dès lors que celui-ci n’est pas le rédacteur de l’ordonnance de soit-communiqué litigieuse ».

La plupart des plaintes sont « mal orientées »

Rappelons que le CSM ne se prononce que sur les dossiers dont il est saisi, que ce soit par le garde des Sceaux, les Premiers présidents ou les procureurs généraux, mais aussi, depuis la révision constitutionnelle de 2008, par les justiciables.

Dans son « Bilan stratégique du rapport annuel de performances 2023 », le Premier président de la Cour de cassation Christophe Soulard soulignait que l’examen des plaintes est assuré par trois commissions d’admission des requêtes, chargées de se prononcer sur leur recevabilité. « En 2023, ces commissions ont enregistré 498 plaintes et rendu 499 décisions, contre 352 plaintes et 355 décisions en 2022 (...) Après dix années de fonctionnement, seuls 9 dossiers, 8 au siège et 1 au parquet, ont donné lieu à une décision de renvoi devant la formation disciplinaire compétente. » À l’époque, et avant la décision d’hier, donc, aucun des magistrats poursuivis selon ce mode n’avait fait l’objet d’une sanction disciplinaire. 

Le CSM s’en explique fréquemment dans ses rapports d’activité : la plupart des demandes seraient « mal orientées » et outrepasseraient ses pouvoirs ou mettent en cause des personnes à l’égard desquelles il n’est pas matériellement compétent, explique-t-il dans un communiqué publié dans la foulée de sa décision, hier. En cause, également, selon lui : une « confusion » entre la dénonciation du comportement fautif d’un magistrat et la contestation du contenu d’une décision de justice, qui ne relève pas d’une procédure disciplinaire. 

« Pour autant, dans certaines situations, le Conseil a regretté de ne pas disposer de pouvoirs d’investigation, la loi organique faisant reposer sur le justiciable la preuve des manquements disciplinaires dénoncés », nuance le CSM, qui ajoute ceci dit que la loi organique du 23 novembre 2023 est venue modifier les prérogatives du Conseil en matière de saisine directe des justiciables. « En effet, le Conseil pourra désormais saisir le ministère de la Justice aux fins d’enquête administrative conduite par l’Inspection générale de la justice lorsque cela lui semble nécessaire au regard des faits dénoncés. »

Bérengère Margaritelli

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