L’organe chargé de garantir l'indépendance de
l'autorité judiciaire a prononcé hier cette sanction disciplinaire à
l’égard d’un juge d’instruction qui a omis de rendre, en l’espace de trois ans,
l’ordonnance venant clore l’information judiciaire à l’égard d’un mis en
examen. Le magistrat « n’a pas été à la hauteur des exigences
attendues », a-t-il estimé.
« C’est la première fois, depuis
l’instauration de la saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature
par un justiciable [en 2008], que la procédure aboutit au prononcé d’une
sanction disciplinaire. »
Le constat vient du CSM lui-même. L’organe chargé de
garantir l'indépendance de l'autorité judiciaire a en effet prononcé, jeudi 13
juin, un blâme avec inscription au dossier à l'encontre d’un magistrat.
Dans cette décision inédite, le Conseil considère que ce
magistrat, en ne trouvant pas le temps de rendre une ordonnance de clôture
pendant une période de deux ans et neuf mois, a manqué à ses devoirs.
Pas de « durée raisonnable de l’information
judiciaire », selon le justiciable
À l’origine de cette affaire, une saisine du CSM en
2022, à l’encontre de ce magistrat, par un individu qui avait été mis en
examen et placé sous contrôle judiciaire dans une procédure ouverte depuis
2010.
Alors que le procureur de la République avait requis
son renvoi devant le tribunal correctionnel et qu’il incombait au juge
d'instruction en poste dans ce tribunal entre le 2 septembre 2019 et le 1er
juin 2022, de rendre une ordonnance de règlement pour clore l’information
judiciaire, l’individu reprochait à celui-ci de ne pas avoir réalisé cet
acte.
Il invoquait à l’appui de sa plainte une « absence
de durée raisonnable de l’information judiciaire » et une « inaction
fautive » caractérisant un manquement du magistrat à son devoir de
diligence - laquelle fait d’ailleurs l’objet d’une action en
responsabilité de l’Etat, aujourd’hui pendante.
De son côté, entendu par la commission d'admission des
requêtes et le rapporteur du conseil, le magistrat, s’il n’a pas nié qu’il
avait pour mission de procéder au règlement de ce dossier, a en revanche
justifié sa carence par sa charge de travail et par une succession d'événements
personnels douloureux.
Inopérant,
juge le CSM, qui relève que ces circonstances ne « sauraient affranchir »
le magistrat du devoir de diligence auquel il était astreint. « En
s’abstenant de rendre l’ordonnance de clôture de l’information (...), en dépit
des alertes de sa hiérarchie comme des objectifs fixés par celle-ci et de ses
propres engagements, réitérés à plusieurs reprises, M. X a gravement manqué à
son devoir de diligence », affirme l’organe constitutionnel.
Devoir qui
impose d’agir « dans un délai raisonnable, en traitant toutes les
affaires dont il est saisi en fonction des moyens dont il dispose et en
alertant le cas échéant sa hiérarchie sur les obstacles rencontrés », rappelle le Conseil.
D’autres
manquements retenus
Le justiciable auteur de la saisine invoquait en outre
un manquement par le magistrat instructeur à son devoir de diligence, de
légalité et de rigueur « au regard des annonces faites au titre de
l’imminence de la clôture de l’information judiciaire ». Selon lui,
bien que le magistrat ait plusieurs fois indiqué qu’il allait clôturer
l’information judiciaire avant son départ en détachement, il n’en aurait, en
réalité, jamais eu l’intention.
Une affirmation démentie par le magistrat lors de ses
auditions et à l’audience. Le CSM observe cependant qu’ « il
est constant que [ce dernier] s’est engagé à plusieurs reprises à rendre
l’ordonnance de règlement relative à l’information judiciaire ouverte (...) Or,
au regard de l’ampleur du travail qu’impliquait la rédaction de l’ordonnance de
règlement, qu’il n’avait pas même débutée, il est manifeste qu’[il] n’était pas
en mesure de respecter les engagements qu’il avait pris oralement et par
courriel. »
À ce titre, le Conseil considère que si ces
engagements « non suivis d’effet » ne relèvent pas des devoirs
de légalité, de rigueur et de diligence, comme le soutenait le requérant, ils
caractérisent en revanche un manquement manifeste par le magistrat à son devoir
de loyauté à l’égard de sa hiérarchie, qui implique de l’ « informer
loyalement de l’évolution des procédures dont il a la charge », mais aussi à
son devoir de délicatesse à l’égard du justiciable, qui lui impose « le
respect et la prévenance envers autrui ».
Le magistrat « n’a pas été la hauteur des
exigences attendues »
Au terme de ses développements, le CSM estime sans
détour que le juge d’instruction visé par la plainte « n’a pas été à
la hauteur des exigences attendues d’un magistrat instructeur en charge d’un
cabinet financier, en dépit de la diminution des saisines de son cabinet dont
il a bénéficié ». In fine, le couperet tombe : les « différents
manquements » retenus à l’encontre du juge d’instruction « justifient
le prononcé d’un blâme avec inscription au dossier ».
Bien que la
décision ait été, pour l’heure, peu commentée publiquement, « la
montagne accouche d’un souriceau : tout ça pour ça », note un
internaute sur le réseau social X (ex-Twitter). Précisons qu’en France, le
blâme constitue la plus faible sanction disciplinaire, sans réelle conséquence
directe pour le magistrat, si ce n’est figurer dans son dossier. Ce qui ne signifie pas que sa carrière ne peut pas s'en trouver affectée. En
l’occurrence, le magistrat, épinglé pour ses
manquements en tant que juge d’instruction, pourrait ainsi avoir du mal à être
admis à un poste similaire.
A noter également que l’organe constitutionnel ne retient pas, dans sa décision, « l’altération frauduleuse de la vérité » qui
était également avancée au titre des griefs disciplinaires. Sur ce point, la
personne à l’origine de la requête se basait sur une ordonnance qui rejetait sa
demande de modification de contrôle judiciaire et dans laquelle le
magistrat visait à tort une autre demande, pointant qu’il s’agissait là pour le
magistrat de s’exonérer d’un délai de cinq jours prévu par le Code de procédure
pénale. Elle soutenait en outre que les pièces justificatives jointes à sa
demande n’avaient été ni cotées au dossier ni communiquées au parquet.
Cependant, pour le CSM, les manquements disciplinaires
prétendus ne sont « pas caractérisés ». Ainsi, de nouveau, pas
de manquement au devoir de légalité, affirme-t-il, car aucune des pièces de la
procédure ne permet « de caractériser une intention frauduleuse »
et aucune décision de justice « n’a constaté une violation grave et
délibérée d’une règle de procédure ».
Le magistrat échappe également au manquement à
son devoir de rigueur puisque, selon le Conseil, l’erreur dans les dates « n’est
pas de nature à nuire au bon déroulement de l’information judiciaire »,
et l’absence de transmission au parquet des pièces jointes au soutien de la
demande de mainlevée du contrôle judiciaire « ne peut fonder un
manquement au devoir de rigueur par [le magistrat] dès lors que celui-ci n’est
pas le rédacteur de l’ordonnance de soit-communiqué litigieuse ».
La plupart des plaintes sont « mal orientées »
Rappelons que le CSM ne se prononce que sur les
dossiers dont il est saisi, que ce soit par le garde des Sceaux, les Premiers
présidents ou les procureurs généraux, mais aussi, depuis la révision
constitutionnelle de 2008, par les justiciables.
Dans son « Bilan stratégique du rapport annuel de
performances 2023 », le
Premier président de la Cour de cassation Christophe Soulard soulignait que
l’examen des plaintes est assuré par trois commissions d’admission des
requêtes, chargées de se prononcer sur leur recevabilité. « En 2023,
ces commissions ont enregistré 498 plaintes et rendu 499 décisions, contre 352
plaintes et 355 décisions en 2022 (...) Après dix années de
fonctionnement, seuls 9 dossiers, 8 au siège et 1 au parquet, ont donné lieu à
une décision de renvoi devant la formation disciplinaire compétente. » À l’époque, et avant la décision d’hier, donc, aucun des magistrats poursuivis
selon ce mode n’avait fait l’objet d’une sanction
disciplinaire.
Le CSM s’en
explique fréquemment dans ses rapports d’activité : la plupart des demandes
seraient « mal orientées » et outrepasseraient ses pouvoirs ou mettent
en cause des personnes à l’égard desquelles il n’est pas matériellement
compétent, explique-t-il dans un communiqué publié dans la foulée de sa
décision, hier. En cause, également, selon lui : une « confusion »
entre la dénonciation du comportement fautif d’un magistrat et la contestation
du contenu d’une décision de justice, qui ne relève pas d’une procédure
disciplinaire.
« Pour
autant, dans certaines situations, le Conseil a regretté de ne pas disposer de
pouvoirs d’investigation, la loi organique faisant reposer sur le justiciable
la preuve des manquements disciplinaires dénoncés », nuance le CSM,
qui ajoute ceci dit que la loi organique du 23 novembre 2023 est venue modifier
les prérogatives du Conseil en matière de saisine directe des justiciables. « En
effet, le Conseil pourra désormais saisir le ministère de la Justice aux fins
d’enquête administrative conduite par l’Inspection générale de la justice
lorsque cela lui semble nécessaire au regard des faits dénoncés. »
Bérengère Margaritelli