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Soumission et vulnérabilité chimique : la FAGE aux avant-postes dans son rôle de prévention auprès des étudiants

Soumission et vulnérabilité chimique : la FAGE aux avant-postes dans son rôle de prévention auprès des étudiants
Publié le 25/05/2022 à 15:33

Bleuenn Laot et Jérémie Lavault sont respectivement chargée de mission et vice-président de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), première organisation étudiante de France regroupant 2 000 associations. Le 21 avril 2022, à l’heure où les « piqûres sauvages » dans les festivals et boites de nuit se multiplient, ils ont animé ensemble la table ronde « Soumission chimique, constat, enjeux et prévention » en compagnie de représentants des associations Act Right, Balance Ton Bar (BTB), Héroïne 95, et de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

 


 

En 2019, 522 cas de soumission chimique ont donné lieu à des dépôts de plaintes, selon la dernière étude publiée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). En préambule, en voici une définition fondamentale : « La soumission chimique (SC) est l’administration à des fins criminelles (viols, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vols) de substances psychoactives (SPA) à l’insu de la victime ou sous la menace. Les cas ne répondant pas à cette définition entrent dans la catégorie "vulnérabilité chimique" qui désigne l’état de fragilité dune personne induit par la consommation volontaire de SPA la rendant plus vulnérable à un acte délictuel ou criminel. On différencie les vulnérabilités par consommation de substances non médicamenteuses (SNM), substances médicamenteuses (SM) ou les deux à la fois (SM + SNM). »

 

 


Des fêtes parasitées

Très actifs sur les réseaux sociaux, les membres de Balance ton bar (Bruxelles, Paris, Grenoble…) recueillent des témoignages et sensibilisent aux agressions sexuelles commises à la suite d’une soirée. Ils orientent les victimes vers les contacts utiles pour ester en justice, pour suivre leur santé ou tout simplement en parler. Ils sont également à l’écoute des les violences sexuelles, sexistes, et les harcèlements. D’après leurs observations, depuis la rentrée 2021, le GHB, et plus globalement la soumission chimique, sont revenus sur le devant de la scène. La masse des témoignages démontre qu’il s’agit d’un réel problème de santé publique. Pourtant, il ne semble pas faire l’objet d’une gestion spécifique de la part des autorités. La plupart des personnes qui écrivent à BTB Paris ne savent pas vers qui se tourner. Elles n’arrivent pas à porter plainte, ni à faire réaliser des prélèvements ou quoi que ce soit, et ignorent comment réagir. Elles font le tour des organismes censés les aider, pour finalement se retrouver démunies face à leur problème. Il n’existe pas de recensement exhaustif des affaires. Il serait pourtant instructif de tenir un compte national des signalements. Un pic de violence est apparu à la suite du confinement. L’association BTB Paris recevait une centaine de témoignages par jour en octobre, novembre et décembre. Le phénomène sest calmé pendant les fêtes de Noël 2021 pour reprendre au Nouvel An. Dans les cas les plus durs, la personne est traumatisée, une assistance psychologique est alors nécessaire.

L’association Act Right estime également que des chiffres plus poussés sur les actes de soumission et de vulnérabilité chimique en milieu familial, amical, professionnel, estudiantin, seraient utiles. Fondée pour rendre la nuit plus sûre, mixte, inclusive et respectueuse de l’environnement, Act Right est très axée sur le secteur de la musique. Son intention est de créer un label, des formations, de faire de la prévention, mais aussi d’aider les professionnels à mettre en place des protocoles d’action concernant les violences et le harcèlement sexuel au sein de leurs entreprises et de leurs événements. L’association déplore que la faute soit attribuée à des boucs émissaires. En effet, les bars, les clubs, les salles de concert sont régulièrement pointés du doigt, or le fond du problème est sociétal. D’évidence, il prospère dans les lieux festifs, mais les moyens de lutte devraient plutôt se focaliser sur l’éducation des plus jeunes et sur la préparation des employés des salles qui accueillent les noctambules. Le premier réflexe d’un jeune ne sera pas nécessairement d’aller porter plainte, car il craindra d’atterrir en cellule de dégrisement et ainsi de rater la fenêtre temporelle assez courte d’une prise en charge efficace aux urgences.

Les victimes n’ont pas toutes la même réaction. Certaines ont besoin de s’exprimer, d’autres veulent rencontrer un médecin, être suivies psychologiquement, faire des démarches juridiques, etc. Cependant, toutes cherchent à comprendre ce qui s’est passé. Quelques-unes doutent et se demandent même si elles ne perdent pas la tête. Mais à partir du moment où les prélèvements révèlent quelque chose de concret, une réaction survient toujours. La plainte est un préalable, sans cette dernière, pas d’enquête, et sans enquête, les agresseurs se trouvent libres de récidiver indéfiniment.

 

 


Aspect médical

L’AP-HP a des experts qui mènent des analyses rétrospectives sur les cas avérés. Des services de consultation spécifiques pour les victimes existent. Soulignons qu’une victime qui porte plainte bénéficie d’une meilleure prise en charge par les médecins légistes et par les toxicologues. La soumission chimique sous-entend la préméditation d’un prédateur pour passer à l’acte en utilisant une substance comme arme et affaiblir sa proie. En revanche, la vulnérabilité concerne tout individu qui décide de son propre chef de prendre de l’alcool ou toute autre substance de manière excessive. Il endure des violences ou des actes alors qu’il s’est volontairement placé sous l’influence d’une molécule qui le rend manipulable.

Pour la soumission, le produit donné par ruse altère la volonté, le jugement, ou encore provoque une amnésie. Ensuite la victime est agressée. Le plus important est de savoir où l’ingestion par tromperie s’est passée. L’opinion publique imagine que les faits se déroulent dans une discothèque. Dans cet espace sombre, il y a du monde et personne ne sait qui a mis quoi dans un verre. La proie disparaît et ressurgit ailleurs plus tard. Mais l’avis général est faux. Les rares statistiques indiquent que la soumission chimique intervient principalement en milieu privé, alors que la vulnérabilité, elle, concerne d’abord les lieux festifs. Par ailleurs, sur l’ensemble des cas enregistrés pendant plusieurs années, l’emploi du GHB est détecté seulement dans 3 % d’entre eux. Cette substance n’est donc pas ce que l’on pourrait appeler génériquement « la drogue du violeur » en France. Dans la majorité des soumissions chimiques, le prédateur utilise un sédatif. Les benzodiazépines, couramment prescrites pour traiter lanxiété ou le sommeil, viennent en tête. Les molécules exploitées varient en fonction de la facilité à les détourner. De plus, les pratiques changent quand lANSM prend des mesures pour durcir la délivrance dun médicament. Le GHB ou le GBL sont corrosifs et sentent fort. Les faire boire à un individu à son insu demeure très compliqué. Toutefois, parallèlement à la vulnérabilité et à la soumission chimique, rappelons que l’alcool est consommé librement en quantité parfois déraisonnable. Sa présence, outre le jugement, modifie le potentiel des effets des autres substances ingurgitées. Actuellement, des attaques à la seringue sont perpétrées. En fonction du délai entre l’injection et les prélèvements, les produits inoculés ne sont pas toujours détectables.








Dans toutes ces situations, la notion de consentement n’est pas recevable. Car même si la personne donne son accord, son avis n’est pas valable étant donné qu’elle est sous influence. Certaines molécules modifient les émotions. D’autres, peut-être les pires, rendent totalement docile sans pour autant ôter la clairvoyance ni la conscience ; c’est-à-dire que la victime comprend son avilissement, mais se trouve dans l’incapacité de s’y opposer.

Il y a encore la chimie qui augmente la libido. Elle transforme en acceptable ce que la victime refuserait si elle était dans son état normal. Sa coopération embrouillée lui est alors subtilisée. La MDMA (ecstasy), par exemple, modifie les émotions. Elle provoque l’envie d’être aimé, d’être entouré. L’agresseur, en connaissance de cause (ou non), profite de cette attitude temporaire déclenchée par la substance. Il pourra éventuellement arguer que la personne consentante s’est jetée sur lui.

Dans l’ensemble, les analyses toxicologiques ne sont pas remboursées par la Sécurité sociale. Face à une suspicion, le médecin conseille à la victime de déposer plainte. Partant de là, elle est prise en charge par la justice aussi bien sur le plan médical que toxicologique. Quand elle consulte sous moins de 48 heures, une prévention est respectée ; des sérologies (hépatites) et des prélèvements sont pratiqués ; un traitement prophylactique anti-VIH est délivré. S’agissant du volet médical, la personne agressée se présente aux urgences médico-judiciaires avec une réquisition. Celle-ci recommande un examen et des prélèvements, à la demande de la police ou du parquet. Le coût de ces analyses est très élevé (600 à 900 euros pour une recherche de GHB). Dans le process établi par la société française de toxicologie, en cas de suspicion de soumission chimique, une cinquantaine de produits est recherché. Le sujet est interrogé sur ses consommations, sur le contexte, sur ses prises thérapeutiques ou addictives de médicaments. Les méthodes d’analyse employées désignent précisément le nom de la molécule incriminée. Cette information de base permet de vérifier si la victime en possède chez elle ou, si elle en a consommé la veille… et finalement de spécifier dans environ 50 % des affaires s’il s’agit de soumission ou de vulnérabilité chimique ; ainsi se pose le diagnostic. Cependant, la présence d’une substance n’implique pas forcément qu’elle soit à l’origine de la perte de contrôle.

 

 


Parer au danger

Comment se protéger dans les événements festifs ? Est-ce que le capuchon de verre est utile ? Antérieurement, il a été un bouclier, mais maintenant, les agresseurs utilisent des seringues ou d’autres subterfuges pour le contourner. De plus, insister sur la protection revient à reporter la responsabilité sur la cible. Se défendre est certes louable, mais n’entame pas l’impunité des agresseurs. Malheureusement, aucun lieu ne peut garantir une sûreté à 100 %, même s’il fait de la prévention, qu’il applique un protocole de sécurité et de prise en charge, et que les salariés sont formés. Néanmoins, plus les bonnes pratiques entrent dans les mœurs, plus elles sont apparentes et plus elles déconstruisent les préjugés de responsabilisation des victimes. Concrètement, tout organisateur de soirée devrait se renseigner à l’avance sur l’état d’esprit du personnel de l’endroit qu’il compte réserver par rapport à ce problème. L’insuffisance du capuchon de verre impose de se faire servir devant soi et de ne pas perdre de vue sa boisson. En réalité, il faut en assumer la traçabilité, la garder en contact visuel permanent. Si le verre est laissé sur une table le temps d’aller aux toilettes, une fois de retour, il ne faut plus y toucher. D’autre part, rester isolé revient à s’exposer. Souvent, c’est à la sortie que les choses se passent. Le danger guette ceux qui quittent une soirée seuls. Il est plus sûr de partir en groupe pour veiller les uns sur les autres. Dans les enquêtes, les amis, les témoins déclarent invariablement « à un moment donné, je lai perdu(e) de vue, je ne sais pas ce qu’il/elle est devenu(e) ».

Les solutions manquent. La réponse des pouvoirs publics tend à donner plus de poids à la police. Or, les victimes qui souhaitent enregistrer une plainte sont souvent orientées vers une simple main courante. Le traitement du sujet réclame une politique de prévention et de formation étendue à l’ensemble des structures sollicitées, les forces de l’ordre bien sûr, mais aussi les hôpitaux. Les moyens alloués sont primordiaux. Ainsi à Colmar, la préfète a mis en place un processus spécifique. Les agressés sont dirigés au sein du commissariat via un système de fléchage depuis lentrée. La personne qui a subi un viol ne passe pas par laccueil, mais va sans détour vers une salle dédiée. Elle est reçue dans un service où les gens ont été formés à l’accueil des victimes et au recueil de la parole. S’il s’agit d’une mère qui se présente avec trois enfants, le service s’en occupe. La plainte est directement déposée auprès de l’officier de police judiciaire (OPJ) concerné. Ce type d’organisation ne se conçoit évidemment qu’avec un volet budgétaire approprié.

Les affaires étudiées font apparaître que les agresseurs passent principalement à lacte dans le cadre privé. Le problème se corrige donc en partie par la préparation des futurs fêtards et des gérants d’établissements de détente. Dans le plan actuel d’éducation sexuelle, les élèves devraient suivre des sessions de sensibilisation du CP à la terminale, une fois par trimestre, mais le manque de personnel rend inatteignable cet objectif. En amont, des associations compétentes sont censées former les professeurs sur le sujet. Les agences régionales de Santé (ARS) et la médecine scolaire pourraient d’ailleurs participer au processus. Les cursus prévus traitent de la victime et de l’agresseur.

S’agissant des employeurs, quelle que soit leur taille, leur intérêt est de mettre en œuvre les obligations légales pour les entreprises de plus de 250 salariés en matière de harcèlement. En effet, dans l’hypothèse d’un contentieux, sans mesures de prévention prises à lavance, leur responsabilité civile risque d’être engagée. La question des violences ainsi que celle des harcèlements sexistes et sexuels ont leurs places dans le document unique d’évaluation des risques. Peuvent être également définis des actions de prévention, une politique, des sanctions, ou encore les motifs de déclenchement d’une enquête, etc. Un tel programme de gestion des risques implique l’accueil, l’écoute et l’orientation des personnes.






Le respect du consentement se situe au cœur de toutes ces violences, que ce soit en milieu festif ou non. Il mériterait d’être mis en avant tant dans l’enseignement que dans les campagnes de communication des pouvoirs publics à grande échelle pour sensibiliser la population. Sur un campus universitaire, par exemple, les différences d’âges et de cultures sont énormes. De ce fait, la notion de consentement est totalement disparate selon la nationalité, l’origine sociale et l’éducation. La prudence recommande donc d’y déployer un maximum d’information sur les bonnes pratiques.

Chaque année, l’ANSM rédige un rapport sur la soumission et la vulnérabilité chimique. Au début des années 2000, elle a mené des travaux visant à mettre au point une méthode préventive pour les victimes (coloration de la boisson, apparition de cristaux, modification du goût…). Mais pour l’heure, la Commission nationale des stupéfiants, malgré les attentes de la justice, de la police et du corps médical, n’a pas découvert de solution satisfaisante qui ne modifie pas complètement la fonction initiale du médicament pour lequel une molécule dévoyée a été synthétisée.

 


 

Vers une prise en charge des victimes adaptée

Une victime, qu’elle ait consommé de l’alcool ou non, n’est nullement responsable d’être ciblée. Son consentement ne se conçoit que libre et éclairé, autrement dit, jamais si elle se trouve en phase de vulnérabilité chimique. Des vagues d’agressions en milieu festif se sont produites dans les années 1990, dans les années 2000. Elles ont occasionné des réflexions et la mise en place de méthodes. Plus récemment, la période post-confinement a été accompagnée de manifestations du non-savoir-vivre ensemble qui se sont traduites par une augmentation globale des passages à l’acte. La commission des faits s’est déplacée de la boîte de nuit vers le bar, devenu par défaut le nouveau lieu de détente. Les agresseurs ont opéré dans les troquets de quartiers où ils étaient moins attendus. Les victimes sont des jeunes, des étudiants, mais aussi des personnes plus âgées, comme des collègues qui partagent un apéritif après le travail. Cela signifie qu’une campagne nationale de prévention sur la vulnérabilité et la soumission chimique doit englober toutes les générations et tous les phénomènes familiaux, privés, ou professionnels. De plus, il semble fondamental d’enseigner aux membres de la police et de l’hôpital qu’un individu qui arrive en situation de vulnérabilité ou de soumission chimique vit une urgence. Les prélèvements doivent être réalisés sans délai. Si le sujet attend 6 heures pour être examiné, la molécule présente ne sera vraisemblablement plus apparente dans son sang, ni dans ses urines. La suite de la procédure devient alors beaucoup plus compliquée pour lui. Aujourd’hui, les procédures ne sont pas assez strictement appliqués. Souvent, le policier n’a pas suivi de formation adaptée. Par exemple, il cherche à dissuader la victime de porter plainte parce qu’elle n’a pas de preuve et donc « ça ne sert à rien ». Il propose une main courante. Pour l’agressé, cela revient à ce que l’autorité, dont il espère a priori le soutien, considère que ce qu’il a subi est équivalent à un tapage nocturne. Le choc, l’amnésie, la perte de contrôle de soi, la honte, la culpabilité, ne peuvent pas se réduire à être fautif d’avoir bu un verre. À cela s’ajoutent l’empoisonnement, le péril pour sa santé et son psychisme, les réactions et quelquefois les rejets de la part de ses proches après coup. Cette multitude de conséquences potentielles demeure occultée. Le plan anti-GHB apparaît comme une réponse bien faible face à la quantité et à la diversité des témoignages. Il existe dans certaines universités des cellules de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Les victimes sont invitées à s’en rapprocher. Elles peuvent y recevoir un soutien tant financier que psychologique. Et surtout, il faut continuer à s’amuser. N’inversons pas les rôles, c’est aux prédateurs d’avoir peur.

 

C2M

 

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