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TRIBUNE. Décret « TUP » : ajouter de la difficulté à la difficulté

TRIBUNE. Décret « TUP » : ajouter de la difficulté à la difficulté
Publié le 24/07/2024 à 17:40

Les nouvelles contraintes auxquelles les entreprises s’exposent dans le cadre du décret n° 2024-751 du 7 juillet 2024 sur les opérations de transmission universelle du patrimoine et de clôture de liquidation amiable anticipée sont guidées par le souhait de freiner les sociétés frauduleuses qui veulent contourner les procédures de recouvrement dans le cadre des redressements fiscaux et sociaux, souligne Luc Athlan, vice-Président honoraire de l’AFJE.

Alors que depuis les 20 dernières années, le législateur a mis en place des dispositions visant à simplifier le droit des sociétés, le nouveau décret n° 2024-751 du 7 juillet 2024 impose de nouvelles contraintes dans le cadre des opérations de fusions (Transfert Universel du Patrimoine - TUP) ou de clôture des opérations de liquidation amiable anticipée.

Ces nouvelles contraintes sont guidées par le fait que ces dispositions seraient « …parfois détournées par des sociétés frauduleuses faisant face à des redressements fiscaux et sociaux dont elles cherchent à éluder les recouvrements », faisant ainsi peser un discrédit sur toutes les entreprises qui dans le cadre de ces opérations apparaitraient comme des fraudeurs potentiels !

Ce n’est pas la première fois que les gouvernements s’en prennent à ce type d’opérations de « TUP » qui apparaissaient déjà en 2013 « comme un des outils essentiels de la fraude fiscale ».

Cette disposition avait été introduites en avril 2013 en réaction à une actualité particulière qui concernait l’ancien ministre du Budget. Un projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière avait été déposé à l’Assemblée nationale au motif affiché de « renforcer l’efficacité des outils de lutte contre l’évasion fiscale aux niveaux national, européen et international ».

En juin 2013 un amendement était déposé par le député Yann Galut afin de réformer le régime de la « dissolution-confusion » au titre de l’article 1844-5 al. 3 du Code civil au motif que la TUP « …est aujourd’hui massivement détourné par des sociétés ayant recours à la fraude fiscale et au travail illégal, afin d’échapper aux sanctions qu’elles encourent » (sic). Cette disposition avait finalement été rejetée par le Conseil Constitutionnel considérant cette disposition comme un « cavalier législatif ».

Le gouvernement revient sur ces dispositions qu’elle étend aux opérations de clôture de liquidation amiable anticipée. Revenons sur ces dispositions.

Les difficultés liées à la nécessité imposée par le nouveau décret de publier l’opération de fusion au BODACC au lieu d’un Journal d’Annonces Légales (JAL)

Les opérations de fusion simplifiée (L. 236.11.1 du Code de commerce) comme celle de dissolution confusion (1844-5, al. 3 du code civil) qui entrainent un transfert universel du patrimoine (TUP) entre société confondue et la société confondante était un instrument performant de réorganisation des groupes de sociétés qui permettait en cette période de crise de simplifier rapidement et à moindre coût son organigramme.

Le procédé était plutôt simple, pour la dissolution confusion par exemple, dès lors qu’une société X détenait 100% d’une société Y et après avoir établi une déclaration de dissolution, il suffisait de publier un avis de dissolution dans un journal d’annonces légale. Cette publication faisait alors courir un délai de 30 jours à l’issue duquel passé le délai de 30 jours, s’il n’y avait pas eu d’opposition des créanciers, soit à l’adresse du siège social, soit auprès du greffe dans le ressort duquel la société est immatriculée, la société confondante (X) venait alors aux droits de la société confondue (Y).

Cette opération présentait l’avantage d’être rapide, efficace et à moindre coût, avec la particularité que nous pouvions programmer très exactement la date de publication de la publication de l’annonce légale et en conséquence la date de réalisation de l’opération de fusion (TUP).

Le nouveau décret ne le permettra pas. En effet, le nouveau texte vient remplacer la publication dans un journal d’annonces légales à une publication au BODACC, journal pour lequel il est difficile de prévoir la date de publication. Il conviendra d’adresser sa demande au Tribunal de commerce dans le ressort duquel la société est immatriculée, étant précisé que d’un greffe à l’autre les délais de publications au BODACC ne sont pas les mêmes, ils varient entre 48 heures au mieux et jusqu’à dix à quinze jours au pire. Il sera bien difficile dans ces conditions de prévoir très exactement la date de réalisation de la fusion.

Enfin, autre effet pervers de ce décret qui pourrait passer inaperçu, concerne la perte de revenus significatifs des entreprises qui étaient habilitées à publier dans leur journal d’annonces légales les opérations de fusions qui seront dorénavant publiées au BODACC. Le texte ne laisse pas de délai d’adaptation pour ces entreprises entre la date de publication au JO, le 8 juillet 2024 et sa date d’effet au 1er octobre 2024. En cette période compliquée, ce n’est pas un point positif.

Est-ce que pour autant cette publication au BODACC permettra de freiner les entreprises frauduleuses. Ce texte risque d’apparaitre comme un coup d’épée dans l’eau. Nous pouvons émettre des doutes sur les résultats escomptés de cette disposition. Une étude d’impact à ce sujet aurait été intéressante.

Par ailleurs, l’argument selon lequel la publication des annonces légales de fusions seraient plus transparentes au BODACC que les autres annonces légales ne peut pas être retenu dans la mesure ou la recherche d’une annonce légale déjà publiée est aussi simple sur le site du BODACC (www.bodacc.fr) que pour les autres annonces publiées dans un journal d’annonces légales que nous pouvons retrouver sur le site www.actulegales.fr.

Les difficultés qui peuvent être liées à la nécessité de produire une attestation de régularité sociale et fiscale de compte à jour au moment de la clôture de la liquidation amiable

Le décret ajoute une nouvelle contrainte dans le cadre de la clôture de la liquidation amiable anticipée en exigeant en plus du formalisme déjà lourd, la nécessité d’y ajouter la nécessité de présenter une attestation de régularité sociale et une autre attestation fiscale de compte à jour au moment de la clôture de la liquidation amiable.

La présentation de ces attestations permettrait « …d’éviter des détournements de procédure par des sociétés frauduleuses faisant face à des redressements fiscaux et sociaux dont elles cherchent à éluder les recouvrements. »

Il convient de rappeler que la dissolution amiable anticipée permet de mettre fin à la société. Les raisons qui guident cette procédure ne sont pas obligatoirement liées à un désir de fraude fiscale. C’est parfois la conséquence d’une situation comme la mésentente entre les associés ou tout simplement pour faire suite à la cession du fonds de commerce ou même tout simplement après la décision d’une cessation d’activité.

La procédure est déjà assez lourde. Il convient tout d’abord de tenir une première AGE afin de décider la dissolution amiable anticipée, de nommer le liquidateur, de fixer ses pouvoirs, de fixer le siège de liquidation et après que le liquidateur ai pu réaliser l’actif et solder le passif, il convient de tenir une AGO afin d’approuver les comptes de liquidation, de rembourser le capital social si les disponibilités le permet, répartir le boni s’il y en a un ou prendre en charge le mali, le cas échéant. Il y a également deux publications dans un journal d’annonces légales dans le ressort du siège social de la société, la première relative à l’ouverture de la dissolution et la seconde à la clôture de la liquidation amiable anticipée.

En quoi cette procédure permettrait d’éviter des redressement fiscaux et sociaux ? A moins de présenter un faux bilan de liquidation qui exposerait directement le liquidateur à une responsabilité pénale, les comptes de liquidation visés par un expert-comptable ne permettent pas toutes les fantaisies de fraude. Toute fausse opération pourrait également engager la responsabilité de l’expert-comptable, civile, pénale même disciplinaire dans le cadre de l’exercice de sa mission.

Avec « l’attestation de régularité sociale et fiscale de compte à jour au moment de la clôture de la liquidation amiable », nous ajoutons de la difficulté à la difficulté. S’il est vrai que cette attestation peut déjà être obtenue sur l’espace en ligne de l’entreprise, pour l’attestation URSSAF, encore faut-il avoir des salariés, ce qui n’est pas toujours le cas.

Un décret applicable très rapidement au 1er octobre 2024 !

La rapidité avec laquelle ce texte va être applicable au 1er octobre 2024 ne permet pas aux entreprises de s’organiser afin d’intégrer les nouvelles contraintes. Comment faire notamment si un groupe a prévu de restructurer des filiales internes à un groupe de sociétés dans le cadre de fusions simplifiées ou de dissolution confusion et qu’il ne peut plus comme avant gérer la date de la publication de la fusion dans un Journal d’Annonces Légales du fait de la publication au BODACC dont la date publication n’est pas immédiate et difficilement gérable.

En conclusion, il aurait été bien que les juristes d’entreprises soient contactés afin que nous puissions donner notre appréciation sur le projet de texte et y apporter les aménagements pratiques qui puissent convenir à chacun. Il aurait été intéressant également qu’une étude d’impact soit réalisée afin d’apprécier les modifications qui seront apportées le texte.

Enfin, et de manière plus générale, nous pouvons constater que les réformes en droit des sociétés se font au rythme d’un balancier. Tantôt, nous rencontrons l’accumulation de réformes compliquées et difficiles à mettre en place et quelques années plus tard, après le constat d’échec de ces dispositions, elles sont supprimées presque en totalité avec le message haut et fort qu’il faut « simplifier le droit des sociétés » ! Alors prenons un peu d’avance et ne rendons pas les choses plus compliquées encore.

Luc Athlan,

Vice-Président honoraire de l’AFJE

Chargé d’enseignement droit des sociétés

à la Faculté de Paris- Saclay et à l’IDA d’Aix en Provence



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