Sur
un marché, le sens commerce pousserait à mener vite beaucoup de transactions. Celui
de la prudence inviterait à prendre le temps de vérifier la légalité de chaque
échange. En matière d’art, où placer le curseur entre ces deux objectifs
contraires ?
Il
n’aura échappé à personne que les biens meubles peuvent circuler physiquement
et juridiquement (facture, reçus, certificats, actes sous-seings privés...)
alors que les immeubles ne peuvent circuler que juridiquement et avec le
formalisme de l’acte notarié.
L’immeuble
est immobile comme son nom l’indique, lequel vient du latin
« immobilis », traduit par « qui ne bouge pas » ; le
terme meuble vient aussi du latin « movibilis » qui est la contraction de
movere et mobilis, et se traduit par « qui peut être déplacé ».
Pendant
longtemps l’immeuble, et plus précisément « la terre » a constitué,
dans un monde rural et agricole le seul patrimoine des familles. Il fallait
donc le protéger contre les cessions douteuses et appauvrissantes. C’est le
droit civil qui se chargea de cette protection et s’en charge encore
aujourd’hui. C’est pour cela qu’il est d’usage de dire que le droit civil est
le « droit de la richesse immobile ». Pour protéger l’immeuble
et son vendeur, quoi de mieux que l’acte notarié, les divers registres, les
diagnostics et les délais qui font pester toute personne qui a un jour, vendu
ou acheté un immeuble ? La sécurité juridique de la transaction est à ce
prix : vérifier demande du temps même si la technologie actuelle donne un
peu d’élan à la transaction.
Qu’en
est-il des biens meubles ? Ceux que l’on peut appeler les marchandises
(dont font partie œuvres d’art, objets de collection et antiquités), vont
circuler et vite, entre les mains des marchands (lato sensu). Le but
d’un marchand n’est généralement pas d’acheter pour stocker pendant des années,
mais d’acheter pour revendre le plus tôt possible ; c’est d’ailleurs la
répétition de l’acte d’achat pour revendre qui permet de qualifier
juridiquement l’acte de commerce et celui qui l’effectue, de commerçant. Ce
dernier a donc besoin de transactions qui puissent se faire très rapidement
La
circulation et l’importance des transactions commerciales sont génératrices
d’un « marché », ici du marché de l’art.
Ces
marchands sont alors soumis au droit commercial (ou plus largement au droit des
affaires) et ce droit est dit « droit de la richesse circulante ». Ce
droit tend à favoriser davantage la rapidité des transactions.
Cependant,
les marchands ont besoin aussi de transactions juridiquement sécurisées, qui ne
soient pas remises en cause ; la conciliation des deux principes, rapidité
et sécurité s’impose donc.
Il
faut savoir, en droit des affaires en général et en droit du marché de l’art en
particulier, concilier les deux principes antagonistes que sont la rapidité des
transactions et la sécurité des transactions. Ces deux principes sont autant de
nature juridique qu’économique ; ils sont indissociables, inhérents à tout
marché commercial, sont incontournables et constituent une « quasi-loi »
du marché.
Ces
deux principes s’imposent et s’opposent. En effet, la sécurité exige du temps,
celui de procéder à de longues vérifications, à des formalités diverses, mais
exige aussi des moyens matériels et financiers. Qui va piano, va sano. A
l’inverse, la rapidité, elle aussi élément fondamental dans le marché de l’art,
va s’exonérer de trop formalisme et de procédures longues et lourdes. Elle peut
s’avérer dangereuse en ce qu’elle va conduire à négliger les précautions
élémentaires et à occulter les risques générés par la transaction elle-même ou
son contexte.
Il
convient toutefois de concilier les deux, car l’on n’imagine pas des
transactions commerciales dénuées de toute sécurité ou de toute rapidité.
Est
alors nécessaire un marché de l’art régulé, transparent, sain et crédible pour
attirer la confiance des acheteurs, laquelle fait le bonheur économique des
vendeurs. Personne d’ailleurs, aucune profession du marché de l’art, ne
revendique une totale absence de régulation, une totale absence d’obligations
légales et déontologiques. Une maxime prévaut : « le marchand est une
conscience qui accueille une confiance ». Un marché régulé va assurer la
sécurité juridique des transactions en empêchant leur éventuelle remise en
cause, voire leur nullité. Il évitera également que la transaction effectuée
n’entraine des dommages pour les parties ou ne fasse tomber ces dernières sous
le coup de la loi pénale. On aura alors recours à des moyens simplifiés et
rapides pour assurer la sécurité de la transaction : informations précises
données à l’acheteur, interrogation de fichiers, certificats d’expertises,
factures…
Mais
il faut également un marché dans lequel les biens culturels circulent
rapidement, c’est le propre de tout marché.
Quand
un marchand dispose de l’objet que veut un client, la transaction doit aller
vite, aussi bien pour le vendeur professionnel que pour l’acheteur
professionnel ou non.
Le
vendeur ne veut pas faire attendre son client par peur de le perdre et veut
encaisser rapidement le prix de vente et payer ses propres fournisseurs. De son
côté, l’acheteur souhaite être en possession rapidement du bien acquis soit
pour le revendre s’il est un professionnel, soit pour en jouir s’il est un
collectionneur ou simple amateur.
C’est
pour ces raisons qu’un professionnel du marché de l’art ne pourra jamais se
satisfaire, pour assurer la sécurité juridique de la transaction, des moyens
employés par le droit civil vus ci-dessus et qui sont autant de ralentisseurs
de transactions. La vitesse est limitée en droit civil et débridée en droit
commercial.
Admise
la nécessité de conjuguer les deux principes, se pose alors la question de
savoir quel poids donner à l’un et à l’autre ; c’est une question de
dosage, de recherche d’un équilibre vertueux.
Rapidité
et sécurité des transactions : un équilibre nécessaire
Il
faut ici un savant dosage et surtout une bonne connaissance des métiers et de
la pratique des professionnels du marché de l’art pour mettre le curseur de la
balance au bon endroit.
Si
l’on met trop l’accent sur la rapidité, la sécurité disparait et génère des
risques déjà évoqués, celui de ne pas respecter les obligations légales
imposées, celui de la nullité de la vente, celui de sanctions pénales, fiscales
ou douanières notamment.
Mais
si l’on privilégie la sécurité des transactions par la mise à charge des
marchands de trop nombreuses obligations au nom de la régulation du marché de
l’art, si l’on institue ici ou là le renversement de la charge de la preuve, si
les lois font des marchands d’art des auxiliaires des instances de contrôle et
de répression, alors les risques sont évidents : c’est la cessation
d’activité imposée à certains et l’extraterritorialité salvatrice choisie par
d’autres.
Quelle
est la situation aujourd’hui ? A quel endroit précis est placé le curseur
entre principe de rapidité et principe de sécurité des transactions ?
Il
nous semble, mais nombre de professionnels du marché de l’art en sont certains
pour le vivre tous les jours, que le curseur est mal placé et que la balance
penche davantage coté sécurité par l’effet d’obligations trop pesantes et
inadaptées à leurs professions.
Alors
pourquoi tant d’obligations ? Difficile de ne pas voir un lien de
causalité entre la charge des d’obligations et l’excès d’affirmations
péremptoires qui courent depuis longtemps à propos du marché de l’art !
S’appuyant sur des chiffres contradictoires, sur des montants arbitraires et
sur quelques affaires surmédiatisées, sont dénoncés régulièrement les maux
présumés d’un marché qui serait par nature criminogène : opacité,
insuffisance de régulation, porosité au blanchiment et au trafic de biens
culturels, et contribution au financement du terrorisme et au trafic d’armes.
Mais
d’obligations, point trop n’en faut, surtout de celles qui compliquent et
paralysent, celles qui sont inadaptées à la profession ou à la taille de
l’entreprise concernée et qui, de surcroit, coûtent cher quand elles ne sont
pas matériellement impossibles à exécuter. Entre trop d’obligations et pas
d’obligation du tout, il y a un équilibre à atteindre.
Le
marchand d’art au sens large, est d’abord tenu des obligations générales qui
pèsent sur tout vendeur dans un contrat de vente : obligations
d’information et de conseil, de délivrance de la marchandise, de garantie
contre les vices cachés et la non-conformité…
En
outre, ce même marchand est astreint à des obligations supplémentaires
spéciales, dictées par le fait que ses transactions relèvent du marché de
l’art.
Ce
marchand d’art sera alors tenu de participer à la lutte contre le blanchiment
et le financement du terrorisme : obligations posées par la Directive (UE)
2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la
prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de
capitaux ou du financement du terrorisme… » telle que modifiée par la 5?
Directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil.
Les
obligations imposées par ce texte figurent désormais dans le Code monétaire et
financier, notamment, (voir notamment, l’article L.561-2, 10°).
Il
devra ainsi rechercher l’identité du bénéficiaire effectif de la transaction,
la provenance du bien et des fonds et s’assurer de l’authenticité du bien objet
de la transaction.
Ce
n’est pas tout. Le Règlement (UE) 2019/880 du Parlement européen et du Conseil
du 17 avril 2019, concernant l’introduction et l’importation de biens culturels
(applicable, pour celles de ses dispositions qui entrent dans notre propos, au
plus tard le 28 juin 2025) va lui imposer de nouvelles obligations destinées à
renforcer la lutte contre le trafic international de biens culturels.
Pour
importer certains biens culturels, les marchands devront présenter une licence
d‘importation. À cette fin, ils devront faire une demande accompagnée des
pièces et des informations attestant que les biens culturels en question ont
été exportés conformément aux dispositions législatives et réglementaires
édictées par le pays d’où sont exportés lesdits biens. À défaut d’exécution de
leurs obligations, les marchands sont promis à des sanctions que le règlement
veut « effectives, proportionnées et dissuasives ».
Pour
satisfaire chacune de ces obligations, les marchands devront procéder à certain
nombre de recherches et formalités et donc y consacrer efforts, moyens
matériels et temps. Pourront-ils tous faire face à ces contraintes ?
À
l’heure où la diminution du nombre de normes et formalités est promise aux
agriculteurs, les professionnels du marché de l’art subissent l’inverse et ont,
de ce fait, saisi les pouvoirs publics. Verront-ils leurs difficultés prises en
compte ? Leurs demandes satisfaites ?
Pour
obtenir gain de cause, les agriculteurs ont des tracteurs, les professionnels
du marché de l’art n’ont à leur disposition que des tractations….
Gérard
Sousi
président de l’Institut Art & Droit